Dans le contexte lié à la transition énergétique, la rénovation thermique de l’architecture du XXe siècle représente un enjeu stratégique majeur pour atteindre les objectifs de réduction de consommation énergétique d’ici 2050. La question de la réhabilitation énergétique des immeubles labélisés « architecture contemporaine remarquable » nous amène aujourd’hui à interroger la nature des interventions sur des bâtiments construits à une époque où la question énergétique se posait différemment. À travers l’analyse énergétique fine d’une opération de logements sociaux, il apparaît alors que l’intégration de la variable d’occupation dans les simulations énergétiques constitue une étape préalable fondamentale, permettant d’envisager des solutions efficaces et adaptées au cas par cas, alternatives à la réhabilitation lourde systématique.
À l’occasion du programme de recherche financé de 2016 à 2020 par le ministère de la Culture « Architecture du XXe siècle, matière à projet pour la ville durable du XXIe siècle »1 , qui aspire à une redéfinition des approches stratégiques en matière d’intervention en réhabilitation énergétique dans le logement social aujourd’hui, l’objectif de notre étude a été d’élaborer une méthodologie permettant de définir les stratégies d’intervention les plus adaptées à la diversité de l’architecture du XXe siècle. Dans une opération de logement social, il s’agissait de comparer l’impact des contributions internes des occupants sur la performance énergétique avec les résultats issus de l’application de scénarios d’utilisation conventionnels selon la norme française RT2012. La démarche de recherche associait donc la variation de différents modèles de comportement occupant basés sur des données réelles, aux informations techniques et constructives sur le bâtiment.
Le cadre réglementaire
De manière générale, la réglementation thermique (RT2012) s’emploie encore aujourd’hui à présenter des exigences de résultats calquées davantage sur les rapports dimensionnant les systèmes de contrôle et de régulation que sur l’apport thermique réel de la valeur d’usage des bâtiments, notamment dans le logement. Son application impose l’utilisation de méthodes de calcul conventionnelles référencées (DPE, Méthode TH BCE), certifiantes d’un niveau de performances énergétiques à atteindre, en mêlant l’analyse de données de calcul “réelles” avec celles des données prédéterminées issues de scénarios d’usages hypothétiques. Même si ces méthodes tiennent compte en partie des usages observés dans le fonctionnement d’un logement (grâce au bilan de consommation énergétique), elles minimisent cependant l’impact des variations réelles de l’occupation humaine et des temps d’activité. En effet, ces valeurs estimées et répertoriées, pour la plupart d’entre elles par secteurs d’activité (maison individuelle, logement collectif, restauration, bureaux, etc.), se basent essentiellement sur des méthodes de calcul souvent caractérisées par des approches déterministes, voire même probabilistes : “Th-B-C-E ex” (Thermique Consommation d’Énergie Existant)2 .
Elles mettent donc en exergue un ensemble de scénarios d’usage “par défaut” qu’il reste difficile d’interpréter dans des cas d’analyses thermiques et énergétiques “fines”. Leur application limite (de fait) le calcul des apports internes dans le logement à la seule présence de ses occupants, sans prise en compte réelle des comportements et des usages observés. La variable d’occupation des habitants est donc simplifiée et moyennée dans le calcul, et sa valeur ne reflète pas toujours les résultats observés des scénarios d’usages dans un logement3 .
L’étude de cas de la résidence la Salamandre, un modèle d’innovation du XXe siècle
La résidence « La Salamandre », conçue par l’architecte André Wogensky et Sud Atelier Architecture, fait partie des Modèles Innovation proposés en France pendant trois campagnes de concours (en 1973, 1974 et 1975) et destinés à une production « en série » sur tout le territoire4 . Inaugurée en 1979, l’opération regroupe quatre cent vingt-deux logements (dont cent cinq en accession à la propriété et trois cent dix-sept mis en location par un bailleur social). Le programme regroupe quatre cent vingt-deux logements : cent cinq en accession à la propriété (cinquante-quatre HLM, cinquante PSI) et trois cent dix-sept en locatif pour l’Office Public d’HLM de Roubaix (deux cent soixante-quatorze HLMO, quarante-trois ILM). En 1994, quinze ans après son inauguration, l’ensemble de logements de la partie locative fut l’objet d’une rénovation. Ayant pour objectifs de pallier au vieillissement des matériaux de façade et aux problèmes d’étanchéité de nombreux joints, les travaux menés sur l’opération ont toutefois transformé considérablement l’architecture du projet d’origine. La pose d’une isolation sur la totalité des façades en partie extérieure (ITE), le remplacement des anciennes menuiseries en bois par du PVC ainsi qu’un nouveau revêtement de finition en terre cuite ont marqué une rupture brutale avec l’ensemble des qualités architecturales et paysagères d’origine de ce modèle d’innovation. Ce choix systématique de solutions techniques, lourdes de conséquences sur une telle opération, a suscité notre interrogation quant à la pertinence des méthodes conventionnelles et standardisées de réhabilitation. En ce sens, l’opération de La Salamandre a représenté l’occasion de mettre à l’épreuve l’hypothèse de recherche initiale et d’envisager une démarche alternative aux interventions lourdes.L’intégration de la variable d’occupation dans la méthodologie d’analyse fine de La Salamandre
La correcte évaluation des performances énergétiques des logements sociaux représente donc une étape fondamentale pour l’identification des actions que l’architecte peut entreprendre. L’évaluation des besoins et des performances énergétiques d’un bâtiment existant représente une opération complexe qui nécessite l’utilisation d’outils et de méthodes de calculs fiables, capables de produire des résultats encore plus proches des réalités observées dans l’existant. Le développement du numérique dans le domaine de l’architecture et de la construction nous permet aujourd’hui de répondre à ce défi, grâce à l’intégration de l’information tout au long du processus du projet.
Il est donc possible :
- d’optimiser des systèmes complexes sous des contraintes diverses tout en contrôlant les paramètres en jeu ;
- de produire et de tester les interventions sur des modèles partagés ;
- de mettre en place l’échange collaboratif entre différents acteurs.
À partir de notre objet d’étude nous avons construit la maquette numérique informée grâce aux méthodes BIM. La démarche interopérable a permis le partage et l’implémentation des données matérielles et thermiques relatives à l’analyse précise de l’enveloppe des parties accession comme location. En partant des investigations menées sur le terrain ainsi que de l’analyse des données d’archives de La Salamandre, la démarche choisie a pu prendre en considération l’ensemble du contexte environnemental de l’opération ainsi que son fonctionnement global, tout en tenant compte de l’ensemble de ses particularités.
Une phase d’enquête successive a permis de construire de manière détaillée l’ensemble des profils habitants retenus pour notre étude. Une importante campagne de récolte des données relatives aux modes de vie des ménages nous a permis de recueillir l’historique de consommation des habitants. Par le biais du questionnaire d’enquête mis au point, les ménages ont pu faire part de leurs habitudes d’occupation, d’usage et de consommation. Un intérêt a également été porté sur les éventuelles modifications habitantes apportées aux logements et traduisant, pour la plupart, une attention particulière à leur confort énergétique. En vue d’implémenter des modèles comportementaux dans les simulations énergétiques dynamiques (SED), une planification rigoureuse des apports énergétiques (qu’ils soient liés à l’utilisation du chauffage, de l’eau chaude, des équipements ou de la présence humaine) nous a permis de synthétiser les facteurs d’usage et d’appropriation des habitants dans leur logement. La méthodologie de recherche mise en place identifiait six logements types composés de ménages différents, dont un T3 de 78m² qui servit de cas témoin, situé au sixième étage en partie locative et occupé par une famille de deux adultes et un enfant sensible aux questions d’économie d’énergie.
De la réhabilitation lourde à l’intervention stratégique minimale
Pour cette d’application, nous avons notamment pu comparer les SED du logement témoin en distinguant l’état d’origine (avec le profil d’occupation réel) de l’état existant (avec le profil d’occupation de la RT2012). Nos résultats ont montré que la seule modification des facteurs impactant les apports internes, la consommation énergétique, le confort thermique ou encore la présence des occupants équivalait parfois au gain et niveaux de performances attendus par une intervention en réhabilitation lourde des logements. En effet, le besoin de chauffage exprimé dans le logement à l’état d’origine, c’est-à-dire sans pose d’une ITE et sans remplacement de menuiseries, s’élevait à 76,2 kWh.m²/an (soit 5943,6 kWh annuels), contre 78kWh.m²/an (soit 6084 kWh annuels) à celui analysé pour l’état existant, sous le profil d’occupation standard de la RT 2012.
Le remplacement des menuiseries extérieures comme alternative efficace à l’ITE
En guise d’alternative à l’ITE, l’hypothèse formulée d’une intervention visant à remplacer uniquement les menuiseries de l’opération de la Salamandre deviendrait donc plausible, car l’intégration des facteurs de variations au profil d’occupation réel, couplée à l’intervention unique sur les menuiseries favoriseraient une économie de 21 kWh/m²/an en termes de besoin en chauffage dans le logement. Au vu de ce résultat, l’approche stratégique, caractérisée par la méthodologie d’analyse au cas par cas, privilégie alors le remplacement des menuiseries extérieures à l’intervention en sur-isolation extérieure de la résidence Salamandre. Il n’était donc pas nécessaire de massifier la rénovation énergétique des bâtiments selon les méthodologies de projet conventionnées. Un recours à une analyse “fine” au cas par cas (selon les mesures réelles des variables d’occupation dans le logement) aurait été alors plus judicieux, afin de préserver les qualités architecturales et matérielles d’origine.
- A. Mastrorilli, R. Zarcone, S. Chenafi, T. Colonneau, (2020). Systèmes dynamiques pour la rénovation énergétique du patrimoine architectural du XXe siècle, In Repenser l’innovation : Connaître et gérer le legs du logement social expérimental et innovant de la décennie 1968-1978. Rapport final du programme pluriannuel de recherche 2016-2020, « Architecture du XXe siècle, matière à projet pour la ville durable du XXIe siècle », pp. 76-90. ↩
- Méthode mise en place par le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) en 2008 suite à la RT2005. ↩
- Plusieurs études scientifiques montrent les divergences entre les systèmes d’évaluation énergétique stationnaires et dynamiques et leur influence sur la valeur finale en termes de besoin énergétique. Ces études ont constitué une base théorique de réflexion pour cette recherche. Pour une bibliographie détaillée cf. Systèmes dynamiques… cit., p. 90. ↩
- Cf. R. Klein, C. Bauer, Modèles innovation, innovation modèle ? In Repenser l’innovation… cit., pp. 7-38. ↩