L’acte de “conserver” est particulièrement ancien. Le concept de “conservation préventive”, qui regroupe les actes prévenant les dégradations, est bien plus récent et fait l’objet d’un enseignement universitaire depuis encore moins de temps1 .
Les leçons de l’expérience
Lorsque la sous-direction de l’Archéologie, en 1970, a conçu en carton ondulé des boîtes gigognes destinées aux fouilleurs, elle s’engageait dans une voie de “normalisation” des conteneurs, rompant avec des pratiques de récupération d’emballages usagés et disparates. Quelques décennies plus tard, les recherches en conservation préventive ont démontré la nocivité du carton ondulé pour la conservation à long terme du patrimoine mobilier. L’idée fut donc d’imaginer un système de rangement identique, mais cette fois-ci en polypropylène alvéolaire (PP), matière déjà employée à cette fin en Amérique du Nord et au Québec en particulier2 . Des essais physiques ont été réalisés, comparant la résistance mécanique des boîtes en polypropylène alvéolaire et de leurs “jumelles” en carton ondulé. La différence de résistance était patente à l’issue de tous les essais réalisés en milieu humide, au profit des boîtes en polypropylène alvéolaire. Divers tests comparant leur comportement au feu ont montré que si les deux produits sont classés M4, dans certaines conditions le PP ne s’enflammait pas mais fondait, tandis que le carton, lui, s’enflammait. Leur usage s’est donc progressivement répandu dans diverses réserves archéologiques ou dépôts.
Celui de Marseille, rue Salengro, eut à subir une crue particulièrement importante en septembre 2000 : une vague a déferlé dans le rez-de-chaussée, balayant tout sur son passage, boîtes comprises. Il y eut deux catégories de boîtes : celles placées sur les étages supérieurs des étagères qui sont restées en place, insensibles à l’humidité et celles qui, tombées à terre, ont quand même maintenu en cohésion les collections qu’elles contenaient. Les étiquettes renseignant sur le contenu étaient protégées par des pochettes transparentes adhésives, collées sur les boîtes. Après plusieurs jours dans une eau mêlée à celle des égouts et autres polluants, les boîtes en PP ont permis de sauvegarder une part très importante des archives du sous-sol marseillais3 . Ces faits nous ont incités à proposer une expérience aux auditeurs d’un stage à Marseille en octobre 2002, destiné aux professionnels des musées, organisé à la demande de Danièle Giraudy, directrice des musées de Marseille. Les participants ont eu à conditionner une collection factice dans divers emballages, adaptés où non, sans savoir qu’ils les retrouveraient le lendemain dans une barge remplie d’eau simulant une inondation. Les “collections” rangées dans les boîtes en PP furent maintenues en cohésion tandis que les autres étaient dispersées.
Une nouvelle organisation
Dès lors, il s’est agi de tenter de concevoir, pour les archives, de nouvelles formes de boîtes dans ce nouveau matériau. Les Archives départementales du Var ont testé avec succès l’emploi de ces boîtes d’un nouveau type pour leur usage quotidien4 . L’inondation de Draguignan et de sa région a fourni l’occasion d’en élargir le champ d’application. Lorsque les AD83 sont intervenues pour sauver les archives de la Communauté d’agglomération dracénoise, les matériaux classiquement employés (buvard, non-tissé polyester…) se sont rapidement trouvés en quantités insuffisantes au regard du nombre d’archives. Dans un premier temps, les boîtes en PP ont été pliées pour effectuer un transvasement des archives détrempées en ne perdant pas les données inhérentes à chaque carton. Puis, pénurie de matériel oblige, les boîtes en PP ont été employées dépliées et les documents ont été posés directement dessus. Progressivement, la surface disponible sur les tables a manqué et il a fallu superposer les plaques de PP correspondant aux boîtes dépliées.
II ressort de cette expérience plusieurs avantages inattendus :
- le papier qui sèche ne colle pas aux boîtes en polypropylène ;
- il est possible de poser à même le sol des plaques de PP, même sur une moquette trempée par une inondation, ce qui est impossible avec un buvard ;
- le déplacement des boîtes dépliées comprenant des documents est possible. Leur structure rigide, légère, permet d’assurer les mouvements d’œuvres seules.
Par la suite, nous n’avons pas remarqué d’apparition particulièrement spectaculaire de micro-organismes ; ceux qui sont apparus après une semaine ne semblent pas avoir été
contaminés à cause des boîtes et ont pu être expédiés dans les entreprises spécialisées pour les traitements de masse. Ces deux expériences, tant en archéologie qu’en archivistique, montrent qu’il est possible de mettre en œuvre une pratique cohérente en conservation préventive et de prévoir l’irréparable lié à une catastrophe naturelle. Livrées à plat, ces boîtes peuvent être stockées et servir à une future “unité mobile d’intervention” d’acteurs du patrimoine qui, dans l’esprit du “Bouclier bleu”, pourraient intervenir sur d’autres lieux sinistrés. La “conservation prévisionniste” : un nouveau concept qui prolonge la “conservation préventive”.
Jacques REBIÈRE
Directeur du Laboratoire de conservation, restauration et recherches / Centre archéologique du Var
et Carole YVER
Conservateur-restaurateur, Archives départementales du Var
- Master de Conservation préventive, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. ↩
- J. Rebière, J. Lemaire, D. Fromageot, N. Pichon: L’emploi de caisses en polypropylène alvéolaire pour un stockage prolongé du patrimoine, un mode de prévention de certains sinistres ?, in Prévention 2000. La prévention des sinistres dans les aires de stockage du patrimoine, actes du colloque internationat, Draguignan-Figanières, 7-10 novembre 2000, éd. Jacques Rebière / William Mourey, Draguignan 2003, pp. 207-218. ↩
- L. De Boisséson, M. Bouiron: Origines et conséquences de l’inondation du 19 septembre 2000 au dépôt archéologique municipal de Marseille, in Prévention 2000. La prévention des sinistres dans les aires de stockage du patrimoine, actes du colloque international, Draguignan-Figanières, 7-10 novembre 2000, éd. Jacques Rebière / William Mourey, Draguignan 2003, p 107-112. ↩
- Fournies par l’entreprise Cartonnages Michel, gamme de boîtes Gigarch®. ↩