Bien avant que la “petite roche” ne s’appelle La Rochelle, le site était occupé par quelques familles de pêcheurs installées au bord de l’étier principal qui remonte encore le parc Charruyer, mais barré depuis par la digue du moulin.
L‘échouage de leurs embarcations amarrées à des pontons sommaires, constitués de perches plantées dans la vase, se situait approximativement au point le plus haut, face à l’actuelle place de Verdun.
La ville, créée ex nihilo dans la première moitié du XIIe siècle, doit sa fortune à la pertinence de son implantation, fruit de l’observation des phénomènes météorologiques, du relief et du mouvement des marées associés : au jusant, le trop-plein des marais, submergés par le flot, s’écoule par les étiers, ainsi le hâvre d’échouage est naturellement désenvasé par les courants de chasse confluants qui encadrent la “petite roche”. Contrairement aux autres villes majeures de la façade atlantique blotties au fond d’un estuaire profond, le port de La Rochelle tire son avantage de son ouverture directe face au large, simplement protégé de la houle par de longs cordons de galets arrachés aux falaises calcaires.
L’expansion urbaine
La ville florissante, peu à peu bloquée à l’intérieur de ses remparts, va se développer ensuite sur des zones plus basses et plus marécageuses, situées à proximité, en repoussant les installations des pêcheurs d’huîtres à Port-Neuf ou sur les rivages des marais perdus des Minimes.
Alors que les extensions successives des remparts de la cité historique sont achevées depuis le début du XVIIIe siècle, il faudra attendre une cinquantaine d’années après la révocation de l’Édit de Nantes pour que la ville, enfin renaissante, entreprenne la construction des quais du vieux port indispensables à l’essor du commerce triangulaire. Elle s’engage ensuite à l’extérieur dans des aménagements portuaires d’envergure, annonçant les grands chantiers des bassins à flots de l’ère industrielle.
À partir de cette période, les archives municipales nous livrent les premiers témoignages des submersions qui affectent les rives du vieux port : de septembre 1785 à février 1957, plus d’une douzaine de tempêtes, d’une violence comparable à Xynthia, sont relatées avec précision.
Zone de solidarité
Jean-Louis Borloo a rappelé que la zone de solidarité définie en avril dernier, qui permet à chaque habitant de bénéficier, s’il le souhaite, d’un engagement de l’État d’acquérir son bien, est maintenue. À l’intérieur de cette zone de solidarité, une étude détaillée des parcelles qui pourront être soumises à déclaration d’utilité publique, avec pour objectif une expropriation, au cas par cas et sous le contrôle du juge, a été faite à la lecture du rapport d’expertise. Un certain nombre d’éclairages et d’engagements ont été apportés par les élus, sans remise en cause des principes généraux de l’expertise propre à assurer la sécurité des personnes. Les parcelles devant faire l’objet de la procédure d’enquête publique en vue d’une expropriation seront définitivement communiquées dans un délai de quinze jours. À compter de cette date, les habitants de la zone de solidarité dont les parcelles sont soumises à la déclaration d’utilité publique ainsi que ceux dont les parcelles ne sont pas soumises à la déclaration d’utilité publique en vue de l’expropriation, c’est-à-dire tous les habitants de la zone de solidarité, auront un délai d’un mois pour confirmer ou non leur intention de procéder à la vente amiable. En ce qui concerne les parcelles soumises à enquête publique, la déclaration d’utilité publique sera prise et la procédure d’expropriation, parcelle par parcelle, se fera sous le contrôle du juge.
L’abus de croissance
En quelques heures, dans l’après-midi du 27 février 2010, le baromètre a chuté de 1010 à 975 HP, annonçant la tempête qui dévastera, la nuit suivante, les côtes charentaises et vendéennes. Si les rafales, plus faibles qu’en 1999, n’ont provoqué, en comparaison, que des désordres sans conséquences dramatiques sur le couvert boisé et sur les toitures, Xynthia, conjuguant les effets d’un vent moins violent mais d’une marée à fort coefficient, a provoqué une montée des eaux, au-delà de toutes les prévisions, sur la frange littorale présentant un relief peu prononcé. Cette fois des zones d’urbanisation récente, des extensions pavillonnaires et des équipements publics (station d’épuration notamment) ont été très gravement endommagés. Depuis les années 1970, l’expansion urbaine amorcée au siècle de l’industrie a investi massivement les aires marécageuses qui absorbaient autrefois la montée du flot, notamment sur la rive opposée du chenal, occupée par le marais perdu des Minimes.
Le projet du plus vaste port de plaisance de l’Atlantique en front de mer s’apparente en réalité à une vaste opération immobilière qui interdit, par l’édification de ses digues de protection, la submersion des anciennes zones humides qui sont désormais totalement investies par l’étalement urbain.
Cependant, le tribut à payer est très lourd car l’histoire récente nous a montré la grande vulnérabilité de ces défenses côtières face aux assauts des tempêtes de 1999 et 2010. En outre, on peut craindre que le projet d’extension du port des Minimes, qui va couvrir prochainement un tiers de la rade en affectant un paysage remarquable, n’accentue la montée des flots au fond du vieux port par un effet d’entonnoir, et ne remette en cause la conservation des flots les plus exposés du centre ancien de La Rochelle, situés en secteur sauvegardé. Dans le PADD en cours d’étude, la ville affiche néanmoins son intention « d’anticiper sur les évolutions à venir des risques de submersion ». Pourtant, il semble qu’à l’inverse de la sagesse des premiers occupants du site, les aménageurs se refusent à prendre en compte les limites d’exploitation du site, cependant que la ville, imperturbable, continue son étalement sur des estrans naturellement submersibles qui absorbaient auparavant les surcôtes et la protégeaient.
Ici, à La Rochelle, bien au-delà des discours sur le photovoltaïque qui nous éloignent du vrai débat de fond, nous sommes au cœur de la mise en œuvre des principes du développement durable et de la préservation de l’environnement et du patrimoine urbain.
Max BOISROBERT
ABF, chef du STAP Charente-Maritime