Le décret du 5 février 1999 3/3

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En matière de permis de construire dans le champ de visibilité d’un monument historique ou en zone de protection du patrimoine, l’architecte des bâtiments de France a un délai d’un mois en général, de quatre mois maximum en cas de décision motivée en ce sens de sa part, pour formuler son avis. Et si le délai d’instruction du permis de construire est alors de trois mois en général, de cinq mois dans le cas où l’architecte des bâtiments de France a fait connaître son intention d’utiliser le délai précité supérieur à un mois et pouvant aller jusqu’à quatre mois, toute délivrance tacite de ce permis de construire se trouve exclue, de ce seul fait que l’on se trouve en abords de monument historique ou en zone de protection du patrimoine (article R421-19 c et e).

En raison de cette impossibilité d’un permis tacite, la prolongation de fait, lorsque le préfet de région est saisi, du délai d’instruction dudit permis, ne présente pas ici d’inconvénient grave. Tel n’aurait pas été le cas en secteur sauvegardé.

Dans le cas d’un permis de construire en secteur sauvegardé, l’architecte des bâtiments de France n’ayant qu’un délai d’un mois pour formuler son avis sur la demande de permis et le délai d’instruction de ce permis au titre du seul secteur sauvegardé n’étant que de deux mois, il fallait, du fait de la procédure nouvelle d’instruction complémentaire par le préfet de région, conjurer le risque inhérent à la délivrance tacite du permis de construire .

Sauf bien sûr à voir s’appliquer une raison particulière d’exclusion de la délivrance tacite (abords de monuments, site inscrit ou classé, ou application des a, b, f, g, de l’article R 421-19), le permis de construire peut être obtenu tacitement en secteur sauvegardé.

Pour parer à cette difficulté, le décret du 5 février 1999 adopte ici le même système de “suspension” du délai de délivrance tacite que pour le permis de démolir en secteur sauvegardé. Tel est l’objet de l’article R 313-17-2 nouveau du Code de l’urbanisme. Il ménage expressément, en cas de recours à la procédure de réexamen par le préfet de région de l’avis de l’architecte des bâtiments de France sur un permis de construire en secteur sauvegardé, une suspension, pendant un délai maximum de quatre mois, du délai (de trois mois si n’est en cause que le seul secteur sauvegardé) au terme duquel le permis de construire serait normalement réputé accordé, sauf à pouvoir invoquer l’un des motifs énumérés à l’article R 421-109.

Évocation par le ministre de la Culture

Le ministre chargé des abords des monuments historiques, des zones de protection du patrimoine, de l’architecture dans les secteurs sauvegardés dispose d’un pouvoir d’évocation mis à jour et renforcé, qu’il convient de préciser en distinguant l’évocation d’un avis d’architecte des bâtiments de France exercée d’emblée et l’évocation qui vient se brancher sur l’instruction complémentaire engagée auprès du préfet de région.

L’évocation d’emblée par le ministre

Le ministre peut évoquer proprio motu une affaire relevant du pouvoir d’avis de l’architecte des bâtiments de France en zone de protection du patrimoine, en secteur sauvegardé ou en abords de monument historique.

En zone de protection du patrimoine, aux termes de l’article 71 de la loi 83-8 du 7 janvier 1983, le ministre “compétent” peut évoquer tout dossier dont l’architecte des bâtiments de France est saisi au titre de son pouvoir d’avis conforme dans la zone.

Cette disposition subsiste. Et dans sa rédaction modifiée par le décret du 5 février 1999, l’article 9 du décret n° 84-304 du 25 avril 1984 précise désormais que le ministre compétent est le ministre chargé de la culture, et non plus le ministre chargé de l’urbanisme
(auquel s’associait dans certains cas le ministre chargé de la Culture). Le dernier alinéa de cet article 9, en disposant que le ministre de la Culture use de son pouvoir d’évocation en application de l’article 71 de la loi, montre qu’il en est ainsi que l’on soit dans la procédure d’appréciation du cas par le préfet de région ou hors de celle-ci et que, dans cette seconde hypothèse, doit s’appliquer aussi la notification de l’évocation au pétitionnaire, au maire et à l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation quand ce n’est pas le maire. Ce bon dispositif doit s’accommoder de l’inadvertance de rédaction dans la combinaison de l’article 14 du décret du 5 février 1999 avec les IV et VI de l’article 15 du même décret.

Dans le cas d’un secteur sauvegardé, c’est la loi récente du 28 février 1997 qui introduit la possibilité d’évocation par le ministre de la Culture.

Aux termes du 5e alinéa nouveau de l’article L 313-2 du Code de l’urbanisme, le ministre de la Culture peut désormais évoquer en secteur sauvegardé tout dossier d’autorisation de travaux dont l’architecte des bâtiments de France “est saisi”.

Aux abords de monuments historiques, le pouvoir d’évocation hors procédure saisissant le préfet de région mérite un commentaire particulier.

Ce pouvoir résulte des termes de l’article 13bis, 4e alinéa, de la loi du 31 décembre 1913 modifiée par la loi du 28 février 1997. Cette possibilité d’évocation conduit à un avis conforme du ministre et elle s’applique :

  • dès que l’architecte des bâtiments de France a été saisi d’une demande de permis de construire (article R 421-38-4, 1e alinéa), d’une déclaration de travaux (article R 422-8 renvoyant à l’article R 421-38-4) ou d’une demande de permis de démolir ou d’autorisation d’installation et travaux divers (4e alinéa de l’article 13bis) ;
  • dès que l’architecte des bâtiments de France a été saisi d’une demande d’avis émanant du préfet de département pour des travaux soumis à celui-ci en application du 1er alinéa de l’article 13ter de la loi de 1913, dans la rédaction issue du décret 95-667 du 9 mai 1995 ; cette seconde possibilité d’évocation par le ministre constitue une procédure proprio motu distincte du recours ouvert au demandeur auprès du ministre lorsque le préfet de département s’est abstenu de lui répondre dans les quarante jours du dépôt de sa demande ou lorsque cette réponse ne lui a pas donné satisfaction (2e et 3e alinéas de l’article 13ter).

Dans les cas d’évocation ainsi indiqués, l’autorisation ou le permis ne peuvent être octroyés au pétitionnaire qu’en cas d’accord exprès du ministre.

L’évocation pendant l’instruction par le préfet de région

Le ministre peut évoquer alors que le préfet de région a été saisi par le maire (ou l’autorité compétente si ce n’est le maire) d’une demande tendant à ce que soit réexaminé l’avis de l’architecte des bâtiments de France. La procédure d’évocation en ce cas résulte du décret du 5 février 1999.

Que l’on soit en secteur sauvegardé, en abords ou en zone de protection, cette évocation fait qu’il devient indispensable d’obtenir l’accord exprès du ministre.

La décision du ministre d’évoquer le dossier doit être notifiée au pétitionnaire, au maire et à l’autorité compétente si ce n’est pas le maire, aux termes des dispositions des articles R 421-38-4 et R 430-12-1 (permis de construire et de démolir en abords de monuments), R 313-17 2, R 313-19-3, R 421-38-,R 430-10 (autorisations de travaux en secteur sauvegardé), R 421-38 6 —II, R 430-13 du Code de l’urbanisme et 9 du décret 84-304 du 25 avril 1984 (zone de protection du patrimoine).

La notification faite au pétitionnaire que le ministre a évoqué le dossier précise à son intention que le délai d’instruction est suspendu jusqu’à ce que le ministre se soit expressément prononcé lorsqu’il s’agit en abords de monuments historiques d’une demande de permis de démolir (article R 430-12-1 dernier alinéa) et en secteur sauvegardé d’une demande d’autorisation de travaux en application de l’article L 313-2 (article R 313-17-2 dernier alinéa).


La loi de 1997 ayant été commentée dans ses principes dans un précédent article, on s’en est tenu ici à l’ingrat exposé de dispositions réglementaires d’application.

Quelques observations complémentaires permettent de revenir sur l’originalité d’une telle procédure.

C’est consciemment qu’elle a été présentée comme “un complément d’instruction” et que les mots “recours” ou “appel” n’ont guère été employés. Il a paru utile de prévenir, même dans le vocabulaire, un risque de confusion avec les recours du droit commun administratif. Il va de soi que ceux-ci restent ouverts, au terme du processus de décision intégrant les avis étudiés ici : recours gracieux ou hiérarchique contre les autorisations d’urbanisme délivrées au nom de l’État, recours gracieux contre les autorisations d’urbanisme délivrées par le maire au nom de la commune, recours contentieux devant le juge administratif contre lesdites autorisations d’urbanisme (avec, le cas échéant, contentieux “en appel”).

Mentionner une instruction complémentaire, c’est aussi souligner que l’esprit n’est ni celui d’un recours hiérarchique, ni celui d’une doléance contentieuse.

S’il est prévu une intervention du préfet de région, c’est parce que fonctionne auprès de lui la nouvelle commission régionale du patrimoine et des sites. Il ne s’agit pas de faire surgir un degré hiérarchique. Ce serait incompatible avec les principes généraux de la déconcentration. Cela créerait au surplus un porte-à-faux avec le caractère “interdépartemental”, le cas échéant, des directions “régionales” des affaires culturelles. Surtout, ce serait hors de saison compte tenu de la matière à apprécier.

L’esprit n’est pas non plus celui du contentieux, non seulement parce que celui qui demande le complément d’instruction n’a pas grand chose à voir avec celui qui aura “l’intérêt à agir” requis pour contester en fin de parcours la décision, mais encore parce que le “complément d’instruction” ne prémunit pas contre les risques contentieux.

L’avis du préfet de région, substitué à celui de l’architecte des bâtiments de France, pourra, lui aussi, être soumis à la censure du juge administratif, à l’occasion d’un recours contre la décision d’urbanisme sur laquelle il vient se greffer.

Certains pensent que la procédure instituée par la loi du 28 février 1997 ne sera que fort peu utilisée. Cela ne la priverait pas de son intérêt.

Il est en premier lieu normal d’ouvrir une issue éventuelle, même si elle existe surtout pour le principe. La loi a grand raison de songer au maire appelé à prendre une décision relevant du Code de l’urbanisme au nom de sa commune. Lorsque cette décision se borne à traduire, en vertu d’une “compétence liée”, l’avis défavorable ou les sévères prescriptions de l’architecte des bâtiments de France, il paraît cohérent qu’avant de risquer de se trouver, à l’occasion par exemple d’un recours gracieux ou contentieux, impuissant à changer quoi que ce soit, le maire ait pu être à même d’exiger de l’État qu’il prenne une précaution supplémentaire, sous forme d’un examen plus approfondi de la question.

Il est en second lieu important d’afficher de cette façon que l’architecte des bâtiments de France n’a pas à se priver d’un éventuel soutien et que l’examen à plusieurs d’une affaire délicate présente plus de chances d’aboutir à une démarche réaliste et qui fasse progresser durablement la bonne cause.

En fait, le fondement essentiel de la procédure nouvelle, c’est la reconnaissance du besoin d’accorder à notre patrimoine et notre architecture l’attention la plus soutenue qui puisse être. Les divergences d’appréciation sont ici inhérentes à la matière. Mais l’enjeu de la sauvegarde du cadre de vie mérite bien, le cas échéant, le détour bénéfique de la discussion dans une instance à même de rechercher la meilleure solution.

Loin d’entreprendre sur les pouvoirs de l’architecte des bâtiments de France, la nouvelle commission va lui insuffler l’état d’esprit qui y règnera et renforcer ainsi d’autant la conviction déjà grande de celui qui se trouve en première ligne !

Philippe PRESCHEZ
Centre des hautes études de Chaillot