Le patrimoine et le risque d’inondation

Villegailhenc, Aude, Mars 2009- Image Google.
Villegailhenc, Aude, Mars 2009- Image Google.

Dans un contexte où l’évolution des conditions climatiques s’oriente vers des évènements de force grandissante, la question de préservation du patrimoine bâti et paysager s’impose. Milieux urbains, villages ou monuments sont confrontés à des évènements hors norme qui, même s’ils sont annoncés, s’avèrent très dévastateurs. À de rares exceptions près, les stigmates perdurent après le retour au calme, parfois de façon irréversible.

Villegailhenc, Aude, Mai 2009 - Image Google.

Rappelons que l’inondation est un phénomène naturel qui, de tous temps, a impacté l’usage des territoires. Mais certains cumulent une géomorphologie de bassin versant ainsi qu’un réseau hydrographique dense, conditions propices à de violentes et très rapides inondations lors de précipitations intenses de type cévenol ou autre.

Le château de l’Isle (XVIe) de Saint-Denis-en-Val (Loiret) inscrit à l’inventaire des monuments historiques en 1925 a été rendu à l’état de ruine par une crue de la Loire en 1866. L’ensemble vient d’être classé au printemps. Cette extension de protection revêt tout autant une valeur mémorielle qu’une valeur patrimoniale et historique.

« Une brèche s’est produite dans une levée de la Loire. Elle a provoqué une entrée d’eau extrêmement importante qui a littéralement coupé le château en deux. Récemment, nous avons demandé le classement pour en faire un marqueur des inondations toujours possibles. Il devient ainsi un témoignage des dégradations que peut subir un bien culturel protégé. » Virginie SERNA, archéologue, conservateur en chef du patrimoine.

Dans le département de l’Aude, le bourg de Villegailhenc est situé à la confluence de deux cours d’eau dont un à débit temporaire. Ce village a néanmoins subi les importantes inondations de 2018 où des précipitations exceptionnelles se sont abattues sur le bassin carcassonnais. En aval de son centre historique, le pont a généré la montée très rapide des eaux, phénomène associé au facteur aggravant des embâcles.

À la décrue, les désordres sur le bâti et la démolition programmée du cœur de village par décision préfectorale font résonance auprès des habitants sinistrés comme un second traumatisme après celui de la perte humaine. Dans un tel cas, les décisions en faveur de la sécurité civile s’imposent, sans égard pour le patrimoine bâti aux abords du monument de la commune, petite église du XIIe insérée dans la trame urbaine. Aujourd’hui, le centre ancien est amputé du plusieurs îlots médiévaux. De grand murs pignons aveugles siègent dans l’attente du projet de (re)qualification d’un espace public devant rester libre. N’ayant pu s’opposer à la démolition, l’ABF de l’Aude sera garant d’un projet qualitatif par le biais de son avis conforme, Villegailhenc étant dotée d’un périmètre délimité des abords.

Entre l’inondation et le réaménagement, les actions des services de l’État sont déterminantes : gestion de cellule de crise, mise en œuvre de la procédure accélérée de catastrophe naturelle, bilan des hauteurs d’eau, évaluation vénale des biens, activation du fonds Barnier, présence de l’EPF, etc.

Villegailhenc. Photo aérienne du centre bourg après inondation : bâti identifié « à déconstruire » en 2019.

Mais qu’en est-il de sa vision prospective ? Existe-t-il une réflexion au-delà des zonages des plans de prévention des risques, des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux, des plans de gestions des risques d’inondations ? Et quelle représentation de la dimension patrimoniale et culturelle de nos territoires dans ces documents de gestion ?

Faisant suite aux inondations de Prague et de Dresde en 2002, la Directive européenne 2007/60/CE relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation demande aux états membres de prendre en compte la gestion des inondations et de leurs conséquences dommageables sur la santé humaine, l’environnement, le patrimoine culturel et l’activité économique. La dichotomie entre ces quatre notions n’est nullement formulée. Mieux encore, la directive les énonce à valeur égale.

Le croisement des politiques publiques s’impose comme une première approche. En effet, la gestion du risque découle de l’expérience et de l’expertise : modification du PPRi, reconnaissance des territoires à risque important (TRI), mise en place de programmes d’actions et de prévention (PAPI). Par ailleurs, le patrimoine architectural et paysager est aussi résultante des conditions de son environnement, facteurs d’identité : maillage des rues par rapport aux cours d’eau, volumétrie du bâti, typologies des toitures, matériaux, etc.

La politique de gestion du risque et la politique de protection du patrimoine sont indépendantes et gérées par plusieurs ministères : l’Intérieur, la Transition écologique et solidaire et la Culture. Elles sont néanmoins intimement liées, s’appliquant in fine à certaines mêmes zones du territoire. Aussi, sur des enjeux se superposant, la mutualisation des outils de lecture s’avère indispensable.

Parmi les territoires français à forte valeur patrimoniale, le bassin de la Loire est identifié comme assise de quatorze territoires à risque important d’inondation. À ce titre, l’Établissement Public Loire (EPL) a travaillé sur la vulnérabilité des biens culturels patrimoniaux. Aujourd’hui, un outil est mis en place, issu du projet, cofinancé par l’EPL et l’Union Européenne, et réalisé en lien avec la DRAC pour la partie inventaire. La méthode comporte deux volets : le patrimoine est recensé et qualifié en fonction du degré d’exposition au risque, puis une méthode d’autodiagnostic de vulnérabilité du bien est mise à disposition des communes et propriétaires, aidés par l’UDAP ou la CRMH. Les caractéristiques de l’aléa sont décrites afin de mieux comprendre comment il peut impacter l’édifice. Sont ensuite repérés sur site les points sensibles dans le bâtiment et dans ses abords. Cet outil didactique pose les questions concrètes. Enfin, les résultats permettent de caractériser précisément la vulnérabilité du bien. Les mesures sont alors proposées pour la réduire et préserver la valeur du patrimoine. Grâce à cet outil, les communes identifient les mesures organisationnelles en amont d’une inondation et peuvent les intégrer dans leur Plan communal de Sauvegarde. En parallèle, les plans de sauvegarde des biens culturels sont affinés.

Sur la thématique de l’inondation en Île-de-France, L’Établissement public territorial de bassin (ETPB) Seine Grands Lacs anime depuis 2015 les ateliers d’élaboration de la Stratégie locale de gestion du risque d’inondation (SLGRI). De ces travaux est né le site EPISEINE120, outils à l’attention des professionnels, élus et particuliers. L’objectif du dispositif est de communiquer, sensibiliser et préparer à une prochaine crue majeure de la Seine et de ses affluents. En mobilisant des partenaires locaux, la démarche vise à déployer des actions à leur échelle. En faveur de la sauvegarde du patrimoine culturel et artistique, l’EPTB Seine Grands Lacs a lancé une étude pour identifier les sites en zone inondable (Seine, Marne) conservant des biens culturels en Île-de-France. En exemple, trois territoires ont été étudiés : le XIIe arrondissement de Paris, l’île de Chatou (78) et le Val-de-Marne.

La question des enjeux est multifactorielle suivant les notions de la valeur du bien et du facteur risque. Mais il arrive que l’eau soit composante de la valeur patrimoniale. Le château de Maintenon au bord de l’Eure, illustre le cas du patrimoine comme enjeu prioritaire à défendre. Le monument du XIIe subit des modifications jusqu’au XVIIe, les jardins de Le Nôtre composent aujourd’hui avec le long plan d’eau en perspective. Deux bras d’eau entourent le château à l’ouest et à l’est : les aménagements hydrauliques cadrent cet ensemble. Ils structurent l’espace et produisent un effet miroir de l’édifice, le mettent en valeur et renforcent sa monumentalité. L’eau est acheminée par canaux depuis l’Eure et la Voise, l’un de ses affluents.

Le château de Maintenon vu à travers l’aqueduc. Huile sur toile, François-Edmée Ricois (1795-1881). Source Wikipedia
)

Lorsqu’en 2013 le complexe hydraulique de la commune fait l’objet d’une étude à la demande du syndicat intercommunal, des problèmes surviennent. La gestion des vannes d’alimentation des canaux du site est repensée, prenant en compte le risque inondation au détriment de la ligne d’eau formant miroir autour du château. Initiée par la DRAC, une étude a produit des solutions permettant d’intégrer l’enjeu patrimonial et la préservation de hauteur d’eau en complément de l’étude hydraulique en cours. La régulation des niveaux et du miroir d’eau du château est aujourd’hui assurée. Ce cas est l’exemple même d’une conciliation possible et pérenne entre la préservation du patrimoine monumental et paysager, et la gestion du risque.

Quel que soit l’intensité du risque d’inondation, réduire la vulnérabilité du patrimoine culturel devient essentiel au regard des phénomènes climatiques, plus nombreux, plus agressifs. La meilleure approche se décline autour des trois volets suivants : récolement des éléments de connaissance (recensement du patrimoine et de l’aléa environnemental), quantification du risque par le degré d’exposition, et enfin élaboration des actions à mener.

L’anticipation est le mot d’ordre de cette démarche propre à chaque territoire, mais dont la déclinaison nationale s’avère le meilleur atout en faveur d’une vision globale et dynamique de la préservation de notre patrimoine.

Dans le même dossier