Le viaduc de Souzain, la protection impossible

Le 27 juin 1995, le viaduc de Souzain, construit par l’ingénieur Harel de la Noë et inscrit le 21 décembre 1993 à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques, était démoli. Coût de la destruction : quatre millions de francs.

Situé à la sortie de Saint-Brieuc, ce viaduc de deux cent soixante dix mètres de long franchit à trente mètres de haut la vallée du Gouët et relie la côte de Plévin à Pont-de-Gouët. Le viaduc de Souzain avec les ponts du Toupin, de Douvenant, de Cesson, le boulevard de la corniche, les gares ferroviaire et routière forme, au début du siècle, un ensemble exceptionnel d’équipement urbain, associant circulation sur route et sur rail. En ville la passerelle métallique, le pont au-dessus de la rue Gouedic complètent ce réseau qui allie esthétique et technique.

Un siècle de précurseurs

À l’origine de cette réalisation, un enfant du pays, nommé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées pour les Côtes-du-Nord, convaincu d’œuvrer pour désenclaver sa Bretagne natale et faire entrer dans le circuit économique du XXe siècle : Harel de la Noë. Dans ce dispositif original, comparable aux réalisations de Morbier en Franche-Comté, le viaduc de Souzain occupe une place prépondérante. Constitué d’une double série d’arches liaisonnées à mi-hauteur par un voile de béton à parement de maçonnerie, le pont repose sur un principe de construction novateur. Non seulement il est élevé principalement en ciment armé, mais chacune des vingt-deux piles est formée de deux groupes de quatre piliers. Le coffrage des piliers est constitué de briquettes alternées en ciment armé et en terre cuite. Ce début de standardisation dans la construction industrielle a facilité la mise en œuvre et accéléré le chantier. Enfin des pilettes soutiennent le tablier. Cet ouvrage marque le début de l’utilisation à grande échelle du ciment armé. Le procédé fut inventé en 1868 par un horticulteur français qui désirait alléger les bacs à fleurs.

Le viaduc de Souzain en 1955 a fait l’objet d’un élargissement de la voie et de travaux de consolidation qui ont malencontreusement précipité l’érosion interne. En effet, à cette époque, les contre-ventements métalliques, établis à l’origine entre les poteaux, ont été sectionnés au ras de la maçonnerie et remplacés par des liaisons en béton armé. Ce confortement devait réduire les contraintes imposées aux armatures. L’accroissement du trafic routier, le support de charges non prévues à la création ont aggravé les désordres dus au temps. Dès 1990, le département signalait le mauvais état de l’ouvrage et, en décembre 1992, il était fermé à la circulation par crainte que la rupture d’une pile ne cause l’effondrement d’un arc. Compte tenu du système de répartition des charges, un accident de ce type aurait entraîné, comme dans un chateau de cartes, la chute de l’ensemble.

Construire pour l’éternité !

Les fissures verticales des piles qui vont s’accentuant laissent entrevoir des désordres encore plus graves au cœur de l’ouvrage. Le béton est en partie désagrégé et les armatures métalliques corrodées. La restauration ne pouvait être envisagée que dans sa totalité. C’était là l’occasion d’ouvrir une étude approfondie sur les dégâts subis par un ouvrage en béton du début du siècle. C’était l’heure de lancer un chantier expérimental pour la mise au point de remèdes spécifiques. Cette restauration exemplaire aurait contribué à la sauvegarde d’ouvrages protégés au titre des monuments historiques, comme l’église, de Perret au Raincy ou le couvent de La Tourette de Le Corbusier, et qui posent question.

Il avait été envisagé l’étaiement des pilettes les plus endommagées avant d’engager la restauration de l’ensemble, préconisée par une étude préalable des fondations au tablier. Il s’agissait également de prévoir les incidences de la circulation du XXe siècle susceptibles de conduire à des tranformations inévitables.

Cette première tranche de travaux pouvant être incorporée à la restauration ultérieure globale restait d’un montant inférieur à celui de la démolition. Ce n’était qu’un début de financement. Cette solution ne fut pas retenue.

En mai 1995, le maire de la commune prenait un arrêté de péril pour ouvrage menaçant ruine. Il n’était plus temps pour l’architecte des bâtiments de France d’intervenir, le temps courait.

En juillet de la même année, les cyclistes du Tour de France roulaient allègrement en contre-bas d’un monument disparu.

Véra PROSZYNSKA
journaliste

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