La lettre du président

Ensemble, améliorons la vie de tous les jours

Les nombreuses publications récentes ayant pour thème « l’aménagement du territoire », sont accompagnées de photographies qui méritent une attention particulière. Nous sommes loin des images qui illustraient, il y a encore peu de temps, les ouvrages sur ce thème. Où sont les pleines pages sur les grands réseaux à la conquête du paysage, sur les techniques de pointe traçant la voie vers un monde moderne et sur la nostalgie de nos villes anciennes ?

L’évolution de la technologie fut rapide et très brutale, on en mesure aujourd’hui les conséquences.

Le grand voyage dans l’urbanisme des “temps modernes”, celui d’un autre “monde” n’a pas conduit aux fins espérées, on en reconnaît maintenant les limites et, au-delà, quelques excès dont les conséquences portent gravement atteinte aux équilibres sociaux et environnementaux.

Plus que les textes mêmes, les illustrations révèlent un besoin de qualité de vie et de paix. Paradoxalement, l’avenir semble tourné vers le passé comme pour tenter de renouer avec nos lieux d’origine :

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, (…) et puis est retourné plein d’usage et de raison, vivre entre ses parents le reste de son âge ! »

Si le voyage semble toucher à sa fin, il n’est cependant pas terminé : les limites apparaissent simplement dans l’espace et dans le temps. Il n’est pas dans notre propos de juger d’une telle odyssée mais d’insister sur les revers et les nouvelles orientations envisagées. On commence à en voir les premières images, encore superficielles, mais aux couleurs chatoyantes et rassurantes.

Nous avions presque oublié que le territoire avait une histoire. Nous avions presque oublié que, dans le domaine de l’aménagement aussi, nous avons une “culture”, qu’au delà de l’économie et des techniques (malgré un souci permanent d’esthétique, il faut le reconnaître) il y a, dans tout aménagement une dimension “humaine” vitale pour notre société. Nous avions oublié la dimension “sacrée” de l’espace révélée par Mircéa Eliade avec « Notre monde se situe toujours au centre » et dans « La Poétique de l’Espace » de Gaston Bachelard comme la « Dimension cachée » d’Edward T. Hall (« c’est moins le surpeuplement qui nous menace que la perte de notre identité »). Nous avions oublié que, tout comme le langage, notre mode d’occupation de l’espace est chargé de sens, qu’il est un équilibre subtil et qu’il conditionne notre vie en société. En regardant depuis le hublot d’un avion le jeu complexe de l’occupation du territoire, qui n’a pas eu le sentiment de découvrir une forme d’écriture très élaborée racontant, à celui qui saurait la lire, la vie en société ?

L’explosion de la technologie nous a rapidement amené à rationaliser le traitement de l’espace. Le territoire fut souvent réduit à l’état de machine censée fonctionner suivant des “schémas” simples (pour ne pas dire simplistes) faits de réseaux et de composantes particulières appelées “zones”. Il est facile d’imaginer l’effet désastreux que pourrait avoir la suppression brutale de l’orthographe et la simplification à outrance du langage sous prétexte de faciliter les modes de relation. Dans le domaine de l’espace (de vie) les conséquences d’une telle révolution se mesurent aux taux de délinquance, dans les “ghettos” que sont devenues certaines “zones”, aux déséquilibres entre les campagnes
et agglomérations, et au sentiment général d’une atteinte à la qualité des paysages.

Il suffit de constater à quel point le mot “urbanisme” et le mot “béton” ont aujourd’hui une connotation négative. Il est extrémement rare de rencontrer quelqu’un qui, pour situer son habitation, vous indique “la zone UBH du POS”. Malgré les mutations dans le traitement de l’espace, les mots désignant les lieux de vie n’ont pas changé et font toujours référence à la rue, au hameau, au village, à la place, à la ville… alors que ces derniers sont absents des documents de gestion courante de l’espace.

Les mutations brutales d’un monde encore profondément ancré dans les traditions ont favorisé un sentiment de nostalgie et encouragé des mouvements de réaction fondés sur une vision parfois idéalisée du passé. Les protections du patrimoine se sont considérablement développées et sont de plus en plus réclamées par la population (sondage « Le Monde » septembre 1993).

Au delà de l’intérêt immédiat de ces protections, on peut s’interroger sur l’attitude d’une société qui consiste à se doter de “servitudes” (la majorité des protections sont en “annexes servitude” des PO.S.) pour se protéger de ses propres aménagements. Au-delà d’une certaine limite, on entrerait dans un processus absurde et stérile. Daniel Le Couëdic dénonçait récemment l’attitude qui consiste à « embaumer » nos vieux bourgs hors de toute réalité économique.

L’urbanisme des “temps modernes” est une odyssée dont on mesure aujourd’hui les limites à ne pas dépasser sans risquer de déséquilibrer “le navire”. Le débat lancé sur l’aménagement est une escale qui donne l’occasion d’observer, non seulement le chemin parcouru mais le “territoire de la Nation” dans son ensemble.

C’est l’occasion de se rappeler son histoire, son évolution et d’en mieux comprendre les détours et les subtilités afin de mieux… naviguer. C’est enfin l’occasion de se préparer à un nouveau départ.

Alain MARINOS
Président de l’association nationale des architectes des bâtiments de France

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