Atelier 3
Rapporteurs-animateurs
Bertrand CREUCHET
DDE 13
Olivier GODET
SDA 34
Les participants ont réfléchi à la définition du concept de ville et au poids des forces économiques et sociales sur ses processus de productions Ils se sont interrogés sur le rôle de l’État et des collectivités publiques dans la maîtrise de l’urbanisation et sur l’apport spécifique des AUE.
De la ville à la ville territoire
L’éclatement des fonctions urbaines. C’est une banalité de dire que le fait urbain a envahi le territoire. L’ensemble des intervenants se sont accordés pour estimer que les nouveaux modes de communication (transport, information…) ont fait éclater la ville traditionnelle. Ces fonctions sont assurées aujourd’hui par des équipements qui sont établis en réseaux à l’échelle du territoire, sans référence formelle à la ville classique, la ville-centre : gares, centres commerciaux, zones d’activité, hôpitaux, universités, cités dortoirs (collectives ou pavillonnaires) etc… fonctionnent de manière autonome. Chaque élément répond à des logiques sociales et économiques sectorielles, qu’il s’agisse d’aspiration à un mode de vie ou de la réponse aux règles de morale elles n’ont plus de lien avec les formes urbaines traditionnelles et échappent à la maîtrise communale.
Un nouveau modèle urbain, la ville-territoire. Les participants se sont interrogés pour savoir si la forme d’urbanisation issue de cette révolution des techniques et des modes de vie peut encore s’appeler la ville. Parce qu’une définition, c’est déjà une problématique, la ville se limite-t-elle aux structures urbaines de l’aube du XXe siècle, à son centre historique qui renvoie à des fonctions d’échanges relativement limitées spatialement ?… Ou au contraire une agglomération aux grandes infrastructures peut-elle prétendre au statut de ville ? Ville historique et idéale ou ville réelle au cœur d’un nœud de réseaux ? Au concept de ville s’est substitué celui de la ville-territoire, espace complexe difficile à gérer et à contrôler espace violent parfois, espace aux limites floues, dissociées des limites administratives. Pour certains, les problèmes de la ville sont devenus ceux de l’aménagement du territoire.
Le “problème” urbain
La transformation des modes de vie. Les conséquences de cette évolution de la ville peuvent être positives : l’accès à une plus grande mobilité signifie également un meilleur accès aux équipements, aux loisirs, etc. Mais les conséquences négatives sont connues : ségrégation croissante entre groupes sociaux (jeunes et vieux, riches et pauvres), entre activités, entre zones d’habitat et de travail. Les migrations alternantes croissent démesurément et les transports accaparent une part de plus en plus grande de l’énergie et du temps.
Déficit d’appropriation. Le mode de relation du citadin avec le sol de la ville et le territoire environnant a été bouleversé ; à des parcellaires anciens, traces de modes d’organisation sociale, a succédé le zonage fonctionnel dont le sens est déconnecté de la réalité singulière de chaque ville. À l’appropriation physique de la ville, s’est substitué une appropriation consumériste avec, en corollaire, un déficit d’appropriation culturelle : les deux tiers des citadins d’aujourd’hui n’ont pas de racines urbaines.
Un espace déstructuré. Les difficultés de la ville que nous connaissons ne sont-elles pas un phénomène lié à une croissance trop ? Ses conséquences négatives sont relevées par la majorité des intervenants : banalisation des formes architecturales et urbaines (disparition de la silhouette particulière de chaque ville), consommation excessive de l’espace (en vingt ans autant qu’en mille ans), pression sur les espaces naturels sensibles (littoral, montagne, mitage de l’espace agricole). Certains intervenants ont souligné l’échec relatif des politiques menées depuis vingt ans dans ces domaines.
Il convient aujourd’hui de gérer la mobilité et non plus d’accompagner la sédentarité. Le rôle des éléments d’identité et d’appropriation (monuments, points forts urbains…) sont donc d’autant plus important.
La surdétermination par l’économique et le social
Qui fait la ville ? La ville se fait, parfois très vite, sous la poussée d’acteurs très différents. Si, en terme fonctionnel, ce développement peut paraître cohérent, il semble spatialement désordonné.
Le poids des forces économiques. La production de l’espace est de plus en plus tributaire d’acteurs économiques puissants. Cela n’est pas nouveau, mais l’ampleur des phénomènes en cause et la difficulté croissante à instaurer un contrôle collectif le rend préoccupant. Pour certains, c’est la mise en concurrence des communes, induite par le mode de répartition de la taxe foncière, qui s’oppose à une planification territoriale cohérente. En ce sens, la décentralisation n’a fait qu’aggraver le phénomène. D’autres insistent sur la clef des politiques urbaines qu’est le contrôle du foncier, toujours plus difficile pour des collectivités locales endettées. Enfin, les entités économiques travaillent aujourd’hui à des échelles qui dépassent le cadre communal.
Un modèle sociologique prégnant. Un autre déterminant fort de l’urbanisation a été relevé dans le nivellement des modes de vie par un modèle sociologique dominant, celui du pavillonnaire, de la maison secondaire. Générateur d’une surconsommation de l’espace, de surcoûts d’équipements publics importants et de l’étirement des transports. Ce mode d’habitat renforce les conséquences de l’éclatement des services et des équipements qui font la ville. C’est la logique du réseau viaire, de la dispersion des équipements, de l’occupation de l’espace qui tend à négliger la qualité et les caractères spécifiques de la ville.
Face à ces questions le politique et le culturel apparaissent décalés
La difficulté de penser la ville. Difficulté d’abord à penser un décalage entre une conception, un modèle de la ville hérité du passé et une réalité différente. La ville centre-historique est encore le référent mental dominant. On note une aspiration diffuse à un modèle urbain type “village” ou “quartier” car la ville est d’abord le lieu où une communauté de gens différents peuvent vivre ensemble.
L’image des villes en recherche. Certains participants ont insisté sur ce point : la difficulté ou l’insistance des villes à retrouver ou à se fabriquer une image témoigne d’un manque de symboles, de repères, de limites de la ville.
L’organisation politique et administrative émiettée. Une question a été débattue : la décentralisation a-t-elle modifié la qualité de la production urbaine ? Globalement, la réponse est non pour beaucoup. Les tendances lourdes ne semblent pas avoir été modifiées sensiblement. L’émiettement des centres de décision a rendu difficile la planification urbaine. Si la décision s’est rapprochée des citoyens, c’est au prix d’un manque de cohérence et d’une mise en concurrence des collectivités. La durée et l’imbrication des mandats électifs ne sont pas forcément cohérents avec la durée nécessaire au projet urbain. Devant le jeu complexe des acteurs, la nécessité d’un renforcement du débat local sur l’urbanisme, d’une analyse renforcée des phénomènes urbains et sociaux est patente.
Certains se sont demandé également si l’organisation des services de l’État répond aux nouveaux enjeux. L’État, dont les objectifs par essence privilégient les vertus républicaines, tantôt en position de contrôle de l’application des lois, tantôt promoteurs de politiques sectorielles (logement…) n’est pas toujours un acteur décisif.
Les enjeux pour l’État et le corps des AUE
Nous avons distingué cinq points de réflexion :
La légitimité de l’État. Une première question fondamentale a été posée d’emblée : quelle légitimité peut avoir l’État alors que la responsabilité de l’urbanisme est dévolue aux communes ? Cette question a été prolongée par une autre : l’État a-t-il des objectifs cohérents en urbanisme ?
Nécessité de cohérence. Le premier rôle de l’État, pour beaucoup d’intervenants, est d’abord la mise en cohérence des différentes politiques et interventions sur la ville. Travail aux coutures, là où il y a un vide, un manque, travail aux limites entre territoires ou domaines d’activité. Cohérence aussi de l’action des différents services de l’État. Les AUE ont là un grand rôle à jouer : architectes et urbanistes ont l’habitude de l’intervention pluridisciplinaire sur l’espace, de la synthèse entre différents regards sur la ville.
L’État arbitre. Ce rôle, est aussi celui issu des fonctions régaliennes de l’État. On peut développer l’application des lois et, en premier lieu, celles concernant l’urbanisme et l’aménagement, l’équilibre, la solidarité, la cohérence des politiques nationales, l’unité sociale, l’identité culturelle.
La connaissance et la mémoire. Autre aspect souvent cité dans la discussion : notre rôle est aussi d’être spectateurs, observateurs. C’est aussi une responsabilité de l’État d’édifier une somme de connaissance et d’analyse des phénomènes urbains qui permettent à la fois de participer à l’aide à la décision et de garder la mémoire dans la durée des processus (forcément longs) qui édifient la ville. L’État a un rôle prospectif qu’il peut gérer dans la durée. Les AUE peuvent être maîtres d’œuvre de l’analyse des problèmes de la ville et du traitement de l’interface entre développement quantitatif et qualitatif.
Qualité et savoir-faire. Une spécificité de notre intervention sur la ville est fortement marquée dans la discussion : une approche qualitative des problèmes spatiaux et, notamment, en ce qui concerne l’espace public. Les AUE ont vocation à constituer un corps d’experts de l’art de l’espace. Ce rôle d’expertise d’un corps de professionnels apparaît indispensable à la légitimité de l’action de l’État. Réfléchir à de nouveaux outils, adapter ceux qui existent, impulser de nouvelles pratiques plus qualitatives et moins réglementaires paraissent indispensables. Ce savoir-faire doit être exploité, tant dans l’intérêt de la politique qualitative de l’État que dans l’émergence d’une meilleure maîtrise locale du phénomène urbain.
En conclusion, le rôle des AUE ne serait-il pas de “faire en sorte que le cadre de vie et le paysage, et globalement les facteurs patrimoniaux, soient porteurs d’un nouveau mode de développement ?” (Faucheur in Séminaire ENSP oct. 93). Dans le rôle d’expertise de l’État, comme dans celui de conseil des collectivités locales, leur formation en fait les promoteurs privilégiés d’une politique qualitative de l’aménagement.