La ville haute de Granville enserrée dans ses remparts domine la ville basse et le port à l’Ouest. Elle commande l’accès à la pointe du Roc au nord. Cette situation confère à cette ville portuaire une vocation défensive. Elle n’a pas été épargnée depuis le XVIe siècle par les convoitises des Chouans et des Anglais.
Dès le XVIIIe siècle, la ville de trois mille habitants doit se développer sur le site aride et battu par les vents de la pointe du Roc. L’implantation de la caserne Bazeilles y est décidée, en 1750, sur une emprise limitée par la mer et un rempart. L’importance de l’implantation militaire ne cessera de croître. L’armée représente 10 % d’une population de quinze mille habitants lorsque le dernier régiment la quitte en 1983.
Le site de onze hectares occupe une situation magnifique, ancré sur un rocher de granit avançant vers la mer. Cinq casernes y ont été bâties : Bazeilles en 1750, Gênes-Champagne en 1777, toutes deux inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, Polotsk-Belfort en 1876, Solférino Bir-Hakeim en 1860 et, enfin, Tobrouk.
Un projet urbain
Comme ailleurs, en pareil cas, le traumatisme social et économique est catastrophique. Cependant, un projet de collège constitue une opportunité pour la ville. En 1985, le financement dépend encore de l’État qui en favorise l’implantation sur le site avec
l’accord de la ville. Ce projet constitue le début de la reconquête des terrains et bâtiments militaires. Ce nouvel équipement nécessite la création d’une voie qui facilitera “l’irrigation” de l’ensemble et améliorera la liaison entre les villes haute et basse, sans toutefois porter atteinte à la perception générale de l’ensemble. Elle a été financée par le Conseil général.
La limite des remparts franchie, la reconversion du site était amorcée : l’implantation de programmes publics et privés peut se développer.
Deux programmes de logement se réalisent :
Un premier programme d’une quarantaine de logements est réalisé dès 1985 dans l’hôtel des sous-officiers ; aujourd’hui la dernière reconversion est en cours sur la caserne Gênes-Champagne par l’implantation d’un programme bénéficiant des avantages fiscaux de la loi Malraux.
La caserne Bazeilles, d’une superficie de deux mille cinq cent me est réhabilitée en 1989 pour devenir le tribunal de commerce. Un foyer de jeunes travailleurs de quatre-vingt-neuf lits avec salles de restauration, géré par la SA HLM, occupe, en 1991, deux mille m2 dans la caserne Tobrouk. Parallèlement, la ville développe plusieurs programmes sociaux ou publics de trois mille six cents m2 dans le bâtiment Polotsk datant de 1876. Elle implante l’ANPE en 1992, l’AFPA. en 1995 puis la CCI.
La réalisation de ces programmes met en évidence la grande capacité de reconversion de ces bâtiments. Il s’agit de constructions de granit présentant une structure de murs
porteurs espacés de six mètres et demi. Ils sont traversés par un couloir central. Chaque travée comporte deux fenêtres. Les murs du couloir ne sont pas porteurs. Les planchers ont été conservés. Les différents architectes se sont donc affranchis du couloir central, tantôt supprimé pour créer des salles de quatre-vingt-dix m2 environ, tantôt décalé pour en rompre la rigidité par des décrochements, des arrondis ou des apports de lumière naturelle (cloisons vitrées).
La qualité des bâtiments, leur bon état d’entretien, tant au niveau des couvertures que des menuiseries, l’intérêt de la structure ont donc permis de réaliser des opérations à un coût limité à quelques percements de refends et à l’aménagement intérieur.
La conservation et la création
Implanté dans et autour de la caserne Solférino Bir-Hakeim, le collège André Malraux par son ampleur et son intérêt urbain constitue à l’évidence l’élément marquant : il s’agit d’un programme de huit mille m2. La réhabilitation représente sept millions de Francs et la construction neuve vingt millions de Francs (valeur 87). Le projet a été primé en 1987 au palmarès de l’innovation. Le parti de l’architecte (Monsieur Leceney) permet, là aussi, la reconversion optimale des bâtiments, qu’il s’agisse de la caserne elle-même, utilisée pour les salles de cours, ou des garages à structure lamellée-collée, transformés en gymnase et piste de course.
Les bâtiments de 1860 sont accompagnés d’une reconversion de l’infirmerie pour abriter l’administration et de bâtiments neufs voués à la restauration. La salle de restauration offre une vue panoramique dominant la mer, à une hauteur de cinquante mètres. Des galeries vitrées relient l’ensemble. Il en résulte une composition autour d’un patio qui contribue à protéger des conditions climatiques parfois difficiles et à adoucir l’impression générale qui pourrait résulter de la rigueur de la composition et de la qualité du matériau. La structure ancienne de “chambrée” traditionnelle se prête à l’aménagement de salles de
cours. Les décalages et contours atténuent la rigidité et permettent de diversifier les volumes, tendance renforcée par l’apport des éléments arrondis.
On peut rechercher, à partir de cette opération, les composants d’une réussite. Il apparaît que l’opportunité d’un équipement public a permis de déclencher la reconquête du site et établir la confiance dans son avenir. Il s’agissait bien d’un choix politique impliquant la ville et l’État qui ont décidé de préférer cette implantation à une installation en centre-ville, puis de transformer ces terrains en quartier de ville. Le programme et la volonté politique ont ici prévalu sur les aspects techniques et contribué à une réelle préservation du patrimoine demeuré vivant. Cependant, l’étalement dans le temps reste un facteur primordial, à la fois parce qu’il permet de provoquer les opportunités et parce qu’il tend à équilibrer le développement d’un nouveau site pour l’insérer dans l’agglomération.
Olivier GODET