Boulogne-sur-Mer n’est plus seulement le premier port de pêche français. Elle fait partie de ces cités dont le paysage urbain contemporain raconte tout un passé et même, son avenir. Depuis l’antiquité, ce port ouvert sur la Manche et la Mer du Nord, au plus près de l’archipel britannique, a attiré les conquérants les plus déterminés : César, Napoléon, Hitler ont marqué de leurs empreintes imposantes ce site qui domine les bords du plus modeste de nos fleuves côtiers, la Liane.
Celle-ci sillonne paisiblement au creux de la boutonnière du Boulonnais, faille d’effondrement qui découpe le paysage verdoyant doucement vallonné qui habille le bassin du Weald-Boulonnais, une formation jurassique recouverte d’épaisses couches sédimentaires du crétacé qui se poursuit outre-Manche dans le Wessex. Souvent, les accidents géologiques annoncent les tourments de l’histoire.
À Boulogne-sur-Mer, la sauvegarde et la valorisation du littoral prennent une telle importance que c’en est devenu une affaire d’État. Durant les 40 dernières années, deux maires ont été ministres de la Mer. En particulier, Guy Lengagne s’est employé à mobiliser l’appareil d’État au service d’une politique pour la mer, cause vitale pour la Planète, pour la France et… pour Boulogne-sur-Mer. En fusionnant l’Institut scientifique et technique des pêches maritimes avec le Centre national d’exploitation des océans pour fonder l’IFREMER en 1984 puis en faisant adopter la loi Littoral à l’unanimité du Sénat et de l’Assemblée Nationale en 1986, Guy Lengagne a donné des impulsions décisives qui permettent à la France de se situer à la pointe dans le monde en matière de développement durable maritime et littoral.
Depuis, cette ambition oblige la municipalité et la communauté urbaine à réparer les blessures et les meurtrissures infligées à leurs patrimoines naturels et bâtis par le temps, par les guerres et par les vicissitudes de l’économie locale. Il fallait, pour cela, coordonner quatre politiques de requalification et de valorisation du patrimoine historique, du patrimoine maritime naturel, du patrimoine maritime bâti et de l’axe fluvial de la Liane. S’il reste encore à faire, un point peut être fait sur les efforts considérables qui ont été engagés au fil des décennies. Cette histoire agitée se raconte au fil des pas du voyageur qui descend des hauteurs de la vieille ville jusqu’aux bords de la Manche et de la Liane.
Aujourd’hui, le patrimoine confère à la ville un indéniable attrait touristique. Dominés par sa basilique et son beffroi construit sur l’emplacement du castrum romain de Gesoriacum, la Haute Ville, son château féodal et ses remparts évoquent la rudesse des temps médiévaux. La basilique Notre-Dame de Boulogne qui trouve ses origines dans le récit d’une découverte miraculeuse, rapporté dans un manuscrit conservé à la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris, avait déjà été reconstruite au XIIe siècle, par la comtesse de Lorraine. Son fils Godefroy de Bouillon, devenu premier souverain de Jérusalem, a rendu la ville célèbre jusqu’en Terre-Sainte si bien qu’elle resta, des siècles durant, lieu de pèlerinage royal. Cette crypte a été entièrement rénovée à l’occasion d’un concours ouvert en 2009. Depuis la réouverture de son immense crypte en 2015, les collections exposées dans ses réseaux explorent dix siècles de découvertes archéologiques, d’art sacré, de sculptures, d’orfèvrerie, de lapidaires, etc.
C’est là le résultat d’une performance scénographique due à l’architecte en chef des monuments historiques, Lionel Dubois et à l’atelier d’architecture de Catherine Frénak et de Béatrice Jullien, associées aux plasticiens experts de la lumière de l’agence 8’18’’, qui ont su établir le dialogue entre ces collections et les fresques qui couvrent les parois et les voûtes de la crypte. Le parcours est jalonné par les mobiliers qui émettent une lumière suffisante et assurent la régulation climatique nécessaire à la conservation des œuvres.
En contrebas, la Basse Ville et l’embouchure de la Liane forment avec les falaises un front littoral pour le moins éclectique façonné par l’histoire tourmentée des XIXe et XXe siècles. Alentour, la colonne de la Grande-Armée à Wimille et le château de Pont-de-Briques témoignent encore des ardeurs napoléoniennes face à la détermination anglaise. Blockhaus et casemates rappellent les pires moments vécus par cette citadelle : durant la Deuxième Guerre mondiale, Boulogne-sur-Mer a connu 146 bombardements et son siège, fin mai 1940, a été un des derniers épisodes de la campagne de France avant l’évacuation du corps expéditionnaire britannique à Dunkerque. Les bords de la Liane avaient été, quant à eux, en prolongement du port, artificialisés sans grand souci d’esthétique au service de la pêche, de la construction navale, de l’industrie et du commerce.
Depuis 1980, une politique volontaire de l’État, de la ville puis de la communauté urbaine tend à rendre leur juste place à la faune et à la flore et à harmoniser le patrimoine bâti.
À la même époque, en 1980, à l’entrée nord de la ville, la pointe de la Crèche a été acquise par le Conservatoire du littoral. Ces 30 hectares constituent un site d’intérêt paysager et culturel.
Le fort de la Crèche est une batterie de côte de type Séré de Rivières dont la construction, achevée en 1879, s’est fondée sur les restes d’un dispositif dû à Napoléon constitué du fort de Terlincthun, aujourd’hui détruit, et d’un fort en mer, à l’extrémité de la pointe, dont il ne reste que les fondations. La pointe de la Crèche, la falaise et ses replats, les prairies naturelles et semi-naturelles ont été rendus aux fleurs, aux oiseaux et aux poneys. Parcourue par le sentier du littoral, par beau temps, elle offre au promeneur une vue panoramique sur la côte anglaise.
En fondant, en 1990, Nausicaa, un Centre national de la mer, Guy Lengagne a confié à Jacques Rougerie le soin de poser à l’embouchure de la Liane, voisine du site boulonnais de l’Ifremer, une vitrine qui permet au grand public de mieux comprendre et d’agir au service de la biodiversité dans les océans. Près de 30 ans plus tard, à l’été 2018, Guy Lengagne, à 85 ans, vient de céder la présidence de la SEM Nausicaa après avoir mené à bien, l’extension du Grand Nausicaa, toujours confiée à Jacques Rougerie. L’architecture imaginée par Jacques et Sophie Rougerie emprunte ses formes bioniques au monde marin : les coques protectrices enveloppantes aux textures tantôt nacrées tantôt striées, tranchées par une faille lumineuse, évoquent les courbes d’une raie Manta déployant ses ailes vers l’horizon marin.
Dès 2002, Guy Lengagne avait passé le relais à Frédéric Cuvilier à la mairie où le grand œuvre se poursuit. À l’heure où s’achèvent les travaux liés à l’aménagement du grand Nausicaa à l’entrée maritime de la ville, un autre projet de l’Axe liane prend forme de l’autre côté du fleuve. Tout avait commencé par un projet d’aménagement confié à Pierre-Louis Carlier, l’architecte lillois. Depuis, une SEM d’aménagement a été créée pour prendre la suite pour l’aménagement du quartier « République-Epreron » où l’arrêt du transport maritime transmanche a laissé nombre de friches urbaines. Tandis que les activités industrielles sont concentrées et redéployées à Capécure, il s’agit, à partir de l’étude de définition de la place de la République par l’atelier Choiseul de restructurer la gare maritime, d’en garder le cœur et de créer sur ce site de 7 hectares, une grande salle de spectacle, à la fois palais des congrès et espace réservé aux musiques actuelles, complétée par une surface polyvalente qui accueillera expositions, espace de rencontres et co-working (Bouda), etc. Il s’agit aussi de poursuivre la dépollution de la Liane et de la débarrasser des algues vertes apparues à sa surface en 2010 pour revaloriser ses abords et la rendre pleinement à ses riverains, aux pêcheurs, aux sportifs (Centre Sportif pour les kayakistes, complexe sportif Damrémont, skate park, etc.) et… aux oiseaux. Il s’agira également d’assurer au site un traitement paysager et une mise en lumière qui en feront le pendant, en vis-à-vis du Grand Nausicaa et de ses jardins. Tel est le sens de la mission confiée à Arietur, agence d’architecture installée à Wimereux, qui s’appuiera sur le bureau d’étude V2R environnement dont le siège est à Saint-Martin-Boulogne et Lyum (ex neolight) de Paris. Il reste sur le littoral boulonnais une plaie ouverte : avec la fermeture des hauts fourneaux de Comilog et l’ouverture du tunnel sous la Manche, le port de Boulogne a beaucoup perdu de son activité de transport maritime et notamment le transport de passagers avec la Grande-Bretagne. Cela laisse d’importantes friches à valoriser dans l’immense port de Boulogne qui s’étendait sur 890 hectares répartis sur les communes d’Outreau. Un rééquilibrage des trois vocations : pêche, marchandise et plaisance doit intervenir, sans doute au bénéfice du port de plaisance qui ne compte que 800 anneaux. Boulogne-sur-Mer qui a attiré tant de grands conquérants aux appétits guerriers se trouve de nos jours au carrefour de plusieurs axes de cabotage au Sud et à l’Est de l’archipel britannique, sur le front atlantique et en mer du Nord pour ces navigateurs pacifiques de plus en plus nombreux qui n’ont d’autre ambition que de découvrir les peuples d’Europe en sillonnant les mers.
Le chemin est encore long et les efforts sont importants pour cette commune de 43 000 habitants, même si elle a su devenir un pôle scientifique et culturel de rayonnement international. Inlassablement, au fil des décennies, comme elle l’a toujours fait au fil des siècles, elle va chercher dans son passé, dans la mer et maintenant dans les grands fonds océaniques, grâce à Nausicaa et à l’Ifremer, des ressources, de nouveaux métiers pour sa jeunesse, bref, des raisons d’espérer et de renaître encore et encore.