Millau, l’effet viaduc quinze ans après

L’Aveyron est longtemps resté une contrée reculée, isolée, à l’écart de toutes les routes. Sauvages, préservés, sa nature, ses paysages attiraient les militants du Larzac, quelques audacieux épris de grands espaces, tandis que son riche patrimoine préhistorique, médiéval, templier séduisait quelques rares initiés et passionnés de culture et d’histoire. Cet isolement a évidemment forgé le caractère de ce département sublime et contrasté. Un isolement auquel l’A75 n’avait su remédier et que le viaduc a définitivement rompu.

Ingénieur : Michel Virlogeux
Architecte : Norman Foster
Réalisation : Eiffage
Durée des travaux : 3 ans (2001-2004)
Longueur totale : 2 460 mètres
Largeur totale : 343 mètres
Pile la plus haute : 245 mètres
Poids du tablier en acier : 36 000 tonnes
Coût : 400 millions €

L’A75, surnommée « La Méridienne », est née de la volonté de l’État de créer un nouvel axe nord-sud vers l’Espagne et la Méditerranée, reliant Clermont-Ferrand à Béziers, en traversant six départements. Prolongement logique du plan pour le développement du Massif Central lancé en 1975 par le président de la République Valéry Giscard d’Estaing, elle est venue bouleverser la donne en désenclavant le Massif Central et la région aveyronnaise, progressivement livrée aux automobilistes, par tronçons, de 1989 à 2014. Il est à noter que, par la volonté du ministère de l’Équipement de préserver et de mettre en valeur le patrimoine paysager, cette autoroute fut la première en France à bénéficier de la politique du « 1 % paysage et développement ». C’est-à-dire qu’à chaque kilomètre du tracé, une enveloppe équivalant à 1 % du coût du tracé a été mise à disposition des acteurs locaux pour le financement d’actions en faveur des territoires traversés, soit un total de 6 millions d’euros permettant de financer des projets locaux visant à la valorisation économique, touristique et culturelle du territoire.

De là, la mise en valeur d’itinéraires de découverte, de villages étapes et de Perles Vertes dans le but avoué d’informer, de sensibiliser, d’accueillir les usagers et donc de promouvoir le tourisme. Avec ces nouveaux outils, l’autoroute est ainsi devenue une invitation à la découverte des territoires qu’elle traverse. Les « Itinéraires de Découverte » ont été conçus en parallèle de l’A75 sans trop s’en écarter, afin d’offrir un parcours continu d’une trentaine de kilomètres entre deux échangeurs, dont la durée n’excède pas une heure. De Clermont-Ferrand à Béziers, six itinéraires ont ainsi été proposés. Quant aux « Perles Vertes », c’est un réseau de six villes (Issoire, Saint-Flour, Saint-Chély, Marvejols, Lodève et Pézenas) décidées à inciter l’automobiliste à quitter l’autoroute le temps d’une visite ou d’un week-end.
Autre particularité de cette Méridienne, sur 150 km, l’automobiliste roule à plus de 800 mètres, voire 1 000 mètres d’altitude. Cette autoroute compte ainsi une vingtaine d’ouvrages d’art exceptionnels dont une quinzaine de ponts ! Sur la Truyère dans le Cantal (1993), le viaduc de Verrières (2001) dans l’Aveyron, le viaduc de Garrigue (2000) et bien sûr le viaduc de Millau, inauguré le 14 décembre 2004 avec ce slogan « Millau s’ouvre au monde ».

Le viaduc, une aventure paysagère

Le viaduc de Millau est un ouvrage multi-haubané (c’est à-dire qu’un ensemble de câbles soutient le tablier), il enjambe le Tarn qui formait jusqu’alors dans le paysage une trouée de près de deux cents mètres difficilement franchissable.
En détournant le trafic du centre-ville, il a supprimé le point noir de Millau (un sinistre et fameux bouchon qui pouvait rajouter quatre heures au moindre trajet, ce qui a longtemps dissuadé quiconque d’emprunter l’A75) et favorisé la circulation et donc, par ricochet, l’essor économique et touristique de l’Aveyron. Entre causse du Larzac et causse rouge, au cœur du Parc naturel régional des Grands Causses, il offre un saisissant contraste tout en s’insérant magnifiquement dans le paysage ; gracieux, léger et pourtant gigantesque. Michel Virlogeux, également concepteur du pont de l’île de Ré (1988), du pont de Normandie (1995) et Norman Foster, à qui l’on doit, entre autres le Millenium Bridge à Londres, ont conçu ici un ouvrage d’art qui s’avère être une véritable œuvre d’art que les touristes viennent admirer. Le viaduc de Millau fait désormais partie intégrante du paysage aveyronnais, dépassant largement son rôle de « simple » franchissement.
La taille de cette brèche béante creusée par la Tarn et les vents violents qui soufflent dans la vallée ont obligé les ingénieurs et les architectes à se dépasser, à multiplier prouesses et records. Là dessus, tout a été dit.

L’effet viaduc, des retombées touristiques

Le viaduc est devenu une destination touristique en soi. Avant même sa mise en service, il avait déjà accueilli un demi-million de visiteurs (les visites guidées, mises en place en juin 2002 par l’Office de tourisme, avaient attiré 3 900 personnes en 2002, 25 500 en 2003 et 31 500 en 20041 ). Même si depuis 2008, « l’effet viaduc » semble s’être un peu essoufflé (avec une baisse brutale de 30 % de la fréquentation touristique cette année-là), le département annonce tout de même 1 million de visiteurs par an sur l’aire d’autoroute de Brocuéjouls, tandis que les deux espaces muséographiques Eiffage (Viaduc Espace Info sous le viaduc et Viaduc Expo sur l’aire de Brocuéjouls) ont encore accueilli 400 000 visiteurs en 2014.
Cette aire du viaduc de Millau, accessible depuis l’autoroute (A75, sortie n°45) ou depuis Millau par la D911 et aménagée dans une ancienne ferme caussenarde, est, elle aussi, une véritable destination, en tout cas une étape incontournable. Tout a été pensé pour accueillir et retenir le touriste à commencer par un belvédère offrant une vue imprenable sur le viaduc. Complété par un espace d’information touristique, un espace de découverte de l’Aveyron, des grands sites de Midi Pyrénées, et des Causses et Cévennes (ensemble classé par l’Unesco en 2011 au patrimoine mondial !), une boutique de la compagnie Eiffage proposant toutes sortes de produits dérivés à l’effigie du viaduc, sans oublier l’espace de restauration rapide mais gourmande ouvert par le chef étoilé Michel Bras.
Le viaduc a généré de nouvelles activités et entraîné les visiteurs le long de multiples chemins de randonnée (à pied, à cheval et à vélo) qui sillonnent la vallée de part et d’autre de l’ouvrage. Les points de vue ne manquent pas ! Tous plus saisissants les uns que les autres. En été, les bateliers du viaduc font toujours sensation (vue d’en bas) ainsi que les balades en autogyre (un drôle d’engin à michemin entre l’hélico et l’ULM pour une vue d’en haut).
Les chiffres montrent bien que, malgré la baisse, le viaduc est venu doper la fréquentation de nombreux sites touristiques comme le village classé de Peyre qui offre l’un des plus beaux points de vue qui soient sur le viaduc jusqu’aux caves de Roquefort, l’abbaye de Conques ou Micropolis, ce qui élargit considérablement le périmètre de rayonnement du viaduc. Seule réelle déception à cette heure, la « Halle Viaduc », espace dédié aux événementiels et aux expositions, située au centre de Millau et inaugurée fin 2007 qui ne semble pas remplir ses objectifs et peine à attirer du public, contrairement au musée ou au beffroi de Millau.

L’impact touristique reste évident même si les chiffres ont tendance à se stabiliser à la baisse… Au moment du pic de fréquentation, la ville de Millau avait du mal à satisfaire la demande en hébergements, les établissements hôteliers ont dû réagir, s’adapter, investir. La qualité de l’hébergement, aujourd’hui suffisant, s’est nettement améliorée au fil du temps et répond aujourd’hui aux exigences de confort et de prestations modernes, les partenaires locaux (Parc naturel régional des Grands Causses, Offices de tourisme, CDT, collectivités locales) ayant décidé de miser sur un tourisme durable et de qualité, condition sine qua non pour que perdure « l’effet viaduc ». En 2012, Millau comptait vingt hôtels et hôtels-restaurants, proposait 673 chambres pour environ 1 350 lits (dont un hôtel de 30 chambres ouvert en mai 2007, un de 49 chambres ouvert en juin 2008 et un de 36 chambres ouvert en mai 2009, associé à une résidence de tourisme d’une vingtaine de chalets). Sur l’ensemble du Sud-Aveyron on dénombrait 90 hôtels (dont une vingtaine non homologués). Depuis 2010, le taux d’occupation des hôtels millavois connaît une stagnation, voire une légère amélioration, un chiffre encourageant si l’on considère que le contournement a aussi pour effet de détourner les touristes ! À signaler également, que les campings et l’hôtellerie « de plein air » conservent de très bons résultats de fréquentation, bénéficiant des nouvelles habitudes des clientèles nationale et européenne.
Nous l’avons dit, depuis 2008, l’effet s’essouffle et s’il est évident que les touristes venus en masse prendront leur temps pour revenir (à commencer par les groupes et autres voyages organisés qui ne font plus le plein), il ne faut pas oublier que cette chute de fréquentation découle directement de la crise et que l’Aveyron souffre, comme toutes les régions (du monde), de la baisse du pouvoir d’achat. Nul doute qu’une embellie générale viendrait profiter à cette région décidément attractive. Tous ces chiffres, même mitigés, viennent en tout cas démentir les propos des associations de défense de l’environnement qui affirmaient à l’époque que « ce projet pharaonique […] qui défigure la vallée […] accumule les nuisances, détruit le paysage, menace l’environnement pour un coût prohibitif et contribue à la désertification du territoire […], faisant perdre à Millau une part importante de son activité touristique2  ».
Consécration ultime, le viaduc de Millau figure, depuis 2007, parmi les vingt-six Grands sites de Midi-Pyrénées reconnus pour leur exceptionnel patrimoine culturel, technique et industriel et leur capacité d’accueil touristique.

L’effet viaduc, des retombées économiques

Si le territoire avait déjà de nombreux attraits, tant sur le plan culturel qu’économique, il est indéniable que le pont l’a considérablement dynamisé, le rendant bien plus attractif pour les entreprises venues s’implanter ici en nombre (Louisiane Vincent Cadeaux, Tryba, Prologis, etc.), leur offrant de nombreuses perspectives et opportunités de développement, en leur ouvrant les grands marchés du Sud (de Marseille-Turin à Toulouse-Barcelone).
Ce sont en tout plusieurs centaines d’emplois créés dans le pays millavois (en comptant les zones d’activités départementales de la Cavalerie et Séverac-le-Château et le secteur de Sainte-Affrique), directement imputables à l’ouverture de l’autoroute, puis du viaduc. D’autant plus que l’autoroute a également bénéficié aux entreprises locales, permettant de nombreux et importants programmes d’investissements industriels et d’extensions immobilières (notamment dans la zone de Millau-Lévézou, dans la toute nouvelle zone de Millau-Sud créé par la CCI, la commune de la Cavalerie ou la Communauté de Communes de Millau-Grands Causses). Ces créations d’emplois ayant eu pour effet la valorisation du foncier et de l’immobilier, sans compter l’amélioration de l’image du bassin de Millau, définitivement associé au viaduc, synonyme d’audace et de modernité.[0.Liens utiles :
www.leviaducdemillau.com
www.aveyron.cci.fr
www.tourisme-aveyron.com]

  1. sources : CCI Millau – Sud Aveyron
  2. source : Wikipédia et Isabelle Rey-Lefebvre, « Succès exemplaire, le viaduc de Millau fête ses 10 ans », Le Monde Économie, 15 décembre 2014
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