Le combat urbain à Metz 2/2

La ville de Metz s’est dotée d’une ancienne architecte des bâtiments de France comme adjointe à l’urbanisme, La bonne connaissance du terrain comme des administrations centrales favorise l’analyse et le montage des dossiers sur le plan social, culturel et économique. Nadia Devinoy assure une politique urbaine basée sur les interventions prioritaires et le partenariat.

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Le combat pour Metz

La campagne mosellane n’est pas encore à feu et à sang, mais la révolution des mentalités est en marche. On y apprend qu’on peut aménager une entrée de garage dans une ferme traditionnelle en utilisant la grande porte charretière, sans pour autant briser son arc en plein cintre par une poutre horizontale de béton, que l’enduit à la chaux est tout de même plus fidèle, esthétique et solide qu’un revêtement médiocre. Nadia Devinoy se battra pour sauver les “usoirs” réaménagés en espaces conviviaux, fleuris devant les maisons, les anciens lavoirs qui inspirent photographes et peintres du dimanche, les ossuaires souvent veillés par un Christ aux liens ou de Pitié. Elle ira plus loin encore en rencontrant et convaincant des patrons de sociétés de construction individuelle ou d’entreprises de peinture, de ravalement pour qu’ils travaillent autrement, proposent à leurs clients des solutions allant dans le sens d’une intégration esthétique dans un site, un paysage, dans la ligne d’une réhabilitation cohérente d’un patrimoine immobilier. Elle réussira même à faire créér une ligne de produits, un nuancier de couleurs par un fabricant messin -au rayonnement national- de peintures et d’enduits !

À Metz, dans sa “cour”, convaincre ne sera pas plus facile que dans les campagnes environnantes. Nadia Devinoy se bat sur plusieurs fronts à la fois, notamment contre un aménagement pavillonnaire excessif sur le Mont Saint-Quentin, qui domine l’agglomération messine et en est l’un des poumons essentiels. Elle a d’ailleurs en charge le dossier d’aménagement du mont, depuis qu’elle est adjoint au maire, chargée de l’urbanisme. Elle va surtout s’opposer à son “patron” d’aujourd’hui dans le dossier Coislin. L’idée est, après le déménagement de la gare routière de ce secteur central de Metz devenu parking provisoire, de construire un vaste complexe à dominante commerciale et d’animation sur des niveaux de parking souterrain. Du concours d’architectes et d’urbanistes, naît un projet démesuré, à l’américaine, entre deux points forts de l’architecture ancienne de Metz: la place Saint-Louis aux arcades médiévales et le quartier ancien d’Outre-Seille. Là où l’on aurait pu, dû s’attendre à une architecture certes contemporaine mais forte, la ville se retrouvait avec ce que d’aucuns appelèrent du “prêt-à-porter” aussi banal qu’hors de proportions.

L’enjeu économique est de taille pour la ville qui s’est déjà beaucoup engagée. Nadia Devinoy n’en a cure. Elle contre. Les explications de figure avec la municipalité et le premier magistrat sont sévères. Mais l’architecte départementale des bâtiments de France ne cède pas un pousse de terrain. Selon les bonnes habitudes qui en agacent beaucoup. Pot de terre contre port de fer ? Peut-être. Elle monte jusqu’à Paris avec son dossier, qu’elle défendra avec conviction à un colloque d’architectes, d’urbanistes et daménageurs où se trouvent les responsables du ministère. Elle obtient gain de cause, qu’on ne cède pas. Et Jean-Marie Rausch, qui a pesé lui aussi de tout son poids dans l’autre plateau de la balance, est obligé de revoir sa copie. L’aménagement est ajourné.

La ville ne s’est pas faite en un jour

« Je n’interviens pas pour le plaisir de contrer, de bloquer des projets, mais parce que j’ai des convictions en architecture et en urbanisme. Une ville ne se construit pas en un jour, au coup par coup, lorsqu’il y a un espace une dent creuse à combler. Il faut une vision d’ensemble, prospective certes mais respectueuse de l’histoire, de l’identité d’une cité inscrite dans ses pierres, l’évolution naturelle, logique de ses quartiers, visible dans les plans successifs. Et Metz est particulièrement caractéristique, car on retrouve aujourd’hui encore, dessiné dans le tissu urbain, le plan romain et médiéval de la ville, l’évolution de l’enceinte, la conquête progressive de nouveaux quartiers. L’économie, l’accélération du temps, du mouvement accélèrent tout au détriment d’une réflexion en profondeur. »

Cette réflexion que l’adversaire d’hier, Jean-Marie Rausch, lui permet de mener très librement aujourd’hui. « Le maire et son conseil ont la charge d’imaginer le Metz de demain. À moi et à mon service de faire en sorte qu’il soit harmonieux comme a toujours su l’être cette ville aux douceurs, aux rondeurs latines dans cette région des marches de l’est marquée par le carrefour des grandes voies de circulation, d’influences et de cultures. Un axe nord-sud, Mer du Nord-Méditerranée, entre royaume de France et Saint-Empire romain germanique. Metz fut l’une des premières capitales “européennes” avant la lettre, lorsqu’elle régna sur le royaume d’Austrasie jusqu’à l’époque carolingienne. Elle garde cette ambition aujourd’hui dans une Europe de développement des régions. Mais comment imaginer cette identité du futur dans le contexte français et transfrontalier ? »

C’est Le nouveau pari d’une architecte départementale des bâtiments de France qui a abandonné, retraite oblige, les sept cent trente communes de Moselle pour se concentrer sur Metz, à la fois capitale régionale de Lorraine et chef-lieu du département. Adjointe à l’architecture et à l’aménagement urbain, Nadia Devinoy préside aussi l’Agence d’urbanisme de l’agglomération messine (AGURAM) qui couvre un large district urbain. Les dossiers lourds, décisifs de l’an 2000 et du troisième millénaire l’attendent comme la création d’un quartier neuf sur les terrains de l’ancienne foire et de la gare de marchandises, pour assurer une meilleure liaison entre un quartier comme le Sablon et le cœur de la ville, le réaménagement de la colline Sainte-Croix, l’ “oppidum” de Metz occupé par ses premiers habitants, la tribu gauloise des Médiomatriques, un siècle avant notre ère, le projet Coislin toujours en souffrance, la réhabilitation du Magasin aux vivres, vaste construction du XVIe dans l’ancienne citadelle, de la porte des Allemands, vestige des enceintes médiévales successives, le traitement plus attractif des entrées de ville.

Travailler en profondeur sur le POS

« Ce qui est passionnant, c’est de pouvoir travailler en profondeur sur le plan d’occupation des sols (POS), déterminant pour l’avenir d’une ville dans ses choix humains -éviter les concentrations, qui donnèrent lieu dans les années 50 à 70, au développement monstrueux de quartiers périphériques à problèmes- économiques, d’animation. Car les villes françaises prennent le chemin, sans bien s’en rendre compte, de leurs sœurs américaines, d’une désertification, d’une mort lente des centres au profit de périphéries où se concentrent le commerce, la restauration et l’hôtellerie, les loisirs avec les grands complexes cinématographiques, les discothèques géantes. Depuis des années, dans l’élaboration du POS de Metz, Jean-Marie Rausch a mis l’accent sur le repeuplement du centre-ville, pour y préserver la vie, l’animation. Mais il faut aller plus loin dans l’imagination. »

Celle qui fut, par son intransigeance pas toujours acceptée, la garante de la sauvegarde et de l’embellissement d’une ville de Metz donnée aujourd’hui en exemple au niveau national -1e Prix européen des Villes fleuries et Jardins, 1e Prix national des Villes illuminées- est déjà plus loin que la vaste campagne de ravalement lancée il y a dix ans, en initiant, avec son premier magistrat, une opération gigantesque de décor urbain, basée sur la coloration dans la logique de la trinité “volumétrie, matériaux, ouvertures”.

Son plus gros souci ? L’insignifiance de l’architecture des zones économiques périphériques, véritables catalogues de ce qu’il ne faut pas faire dans des sites, des paysages souvent remarquables aux entrées de ville. *« Nous vivons là un phénomène de laxisme, d’abandon impardonnable au niveau national ! »

Richard BANCE
Journaliste

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