En marge du colloque anniversaire des quarante ans de la charte de Florence, j’ai visité quelques jardins de la ville. Ces exemples illustrent certains articles de la charte qui demeure un outil précieux pour la pratique de la restauration des jardins historiques.
Les promenades dans les jardins de Boboli, Bardini, Riccardi-Medici, la Petraïa et Castello sont l’occasion d’évoquer certains articles de la charte et de vérifier la résonnance qu’ils entretiennent avec un regard d’aujourd’hui. Le choix des jardins ne correspond à aucune méthodologie et ces lignes n’ont d’autre ambition que de partager quelques impressions de voyage. J’ai choisi d’extraire un souvenir sur chaque site et de le présenter en écho avec un article de la charte. En bibliographie, je cite quelques ouvrages pour ceux qui veulent découvrir à distance ces jardins. Le travail de Cristina Acidini et Alessandra Griffo1 explore dans le détail les lunettes de Giusto Utens qui sont désormais exposées dans la Villa La Petraïa. Et l’ouvrage dirigé par Cristina Acidini sur les Jardins des Médicis2 puise avec goût dans les sources iconographiques anciennes pour pallier « une réalité physique des jardins irrémédiablement dissoute dans le flux incessant des événements historiques… où les plantations ont été remplacées, les aménagements dispersés. »
Les jardins de Boboli
Création de Cosme Ier (1519 -1574), les jardins prolongent la résidence du duc de Florence dans le Palais Pitti sur la colline qui s’élève au sud de la cité, en limite des fortifications du Moyen-âge. Je garde le souvenir d’allées au tracé audacieux et de statues qui font vivre une histoire toujours présente depuis cinq siècles. Il règne une harmonie profonde entre les pièces d’art, les essences de résineux et de lauriers, la proportion des banquettes et des palissades pour magnifier la monumentalité d’une allée qui s’affranchit du relief. Dans l’article 2, la charte évoque cette association de l’art, de l’architecture et du végétal : « Le jardin est une composition d’architecture dont le matériau est principalement végétal donc vivant, et comme tel périssable et renouvelable. Son aspect résulte ainsi d’un perpétuel équilibre entre le mouvement cyclique des saisons, du développement et du dépérissement de la nature, et de la volonté d’art et d’artifice qui tend à en pérenniser l’état ».
Le jardin Bardini
Le jardin occupe la colline de Boboli dans sa section la plus raide. Face au fleuve Arno, il surplombe la ville en un magnifique belvédère. Il est planté de vergers qui évoquent une pratique ancienne de jardins nourriciers. Et dans une perspective centrale, une allée étroite donne une impression de verticale qui grimpe vers le ciel. C’est une prouesse technique qui porte aussi une dimension quasi spirituelle, comme un lien entre le ciel et la terre. Cette dimension cosmique est approchée dans l’article 5 de la charte : « Expression des rapports étroits entre la civilisation et la nature, lieu de délectation, propre à la méditation ou à la rêverie, le jardin prend ainsi le sens cosmique d’une image idéalisée du monde… ».
Le jardin du Palais Medici-Riccardi (1460)
Dans une densité extrême de palais, d’églises et de ruelles où la pierre règne sans partage, le jardin du Palais Medici-Riccardi est une oasis de fraîcheur au cœur de Florence. Ce charmant jardin de ville aurait eu plusieurs vies3 , bouleversées par la mutation des immeubles qui l’entourent au gré des changements de propriétaires et de leurs programmes. Ainsi à la fin du XVIe siècle, le jardin fut divisé en deux. « La moitié nord servait de chantier pour le travail des marbres destinés à la chapelle des Princes à San Lorenzo ». En 1911, alors qu’une Commission pour la restauration du Palais dans ses dispositions anciennes lançait une campagne de fouilles, le jardin abritait, contre la loggia « un bureau du télégraphe au toit vitré et à structure d’acier ». Il subsiste cependant dans le jardin, malgré les péripéties des modes et des usages, une géométrie inchangée. Et si la forme actuelle est réécrite dans un projet de 1912, elle puise avec goût dans un registre historique : tracé régulier, agrumes en vases et distribution de statues du XVIIIe siècle. Une évocation réussie qui est régie assez finement dans la charte à l’article 17 : « Lorsqu’un jardin a totalement disparu ou qu’on ne possède que des éléments conjecturaux de ses états successifs, on ne saurait alors entreprendre une restitution relevant de la notion de jardin historique. L’ouvrage qui s’inspirerait dans ce cas de formes traditionnelles sur l’emplacement d’un ancien jardin, ou là où aucun jardin n’aurait préalablement existé, relèverait alors des notions d’évocation ou de création, excluant toute qualification de jardin historique.»
La villa La Petraïa
Dans la campagne proche de la cité, dans un sol rocheux d’où elle tire son nom, la villa, d’une dimension surprenante, impose sa masse dans une succession de terrassements d’ampleur. Elle s’expose à la vue et dévoile ses jardins bâtis en une succession de terrasses tournées vers le midi. Ici, on apprend que les formations végétales actuelles ne reflètent pas les compositions d’origine. Seules subsisteraient les grandes structures qui ordonnent cette colline choisie par les princes de la Renaissance pour y bâtir leurs résidences de campagne : Le domaine a été la propriété de Cosme Ier puis de son fils le cardinal Ferdinand. Un examen critique pour orienter l’entretien du jardin s’inspirerait avec bonheur de l’article 15 de la charte pour respecter la substance de chaque période qui a contribué à former le jardin d’aujourd’hui. « Toute restauration et à plus forte raison toute restitution d’un jardin historique ne sera entreprise qu’après une étude approfondie allant de la fouille à la collecte de tous les documents concernant le jardin. En principe, elle ne saurait privilégier une époque aux dépens d’une autre sauf si la dégradation ou le dépérissement de certaines parties peuvent exceptionnellement être l’occasion d’une restitution fondée sur des vestiges ou une documentation irrécusable… »
La villa di Castello
Dans sa partie centrale, le jardin se déploie selon un vaste plan incliné sans le moindre ouvrage de soutènement pour casser la pente. Andrea, le jardinier qui m’accompagne, m’explique que cette séquence centrale était destinée à être contemplée depuis les salons de l’étage de la villa, comme un immense tableau posé sur la pente de la colline. Il m’accompagne ensuite à la limonaïa où il vient de finir la mise à l’abri de six cents vases d’agrumes. Parmi eux, un spécimen de trois cents ans, éclatant de santé. Un peu plus haut dans le jardin, au-dessus de la grotte des animaux, il me présente des chênes d’un âge vénérable. Selon lui, certains d’entre eux sont exactement ceux représentés sur la lunette d’Utens, cinq siècles auparavant. Au cours de cette visite privée, la propriété étant fermée au public, je mesure la chance qui m’est donnée de me promener, seul avec mon guide, dans un des joyaux des Médicis. Seul pour contempler une nature au repos, seul pour observer les gestes des jardiniers qui entretiennent avec passion ce monument vivant. Dans son article 21, la charte propose un cadre pour la visite du public : « La pratique de l’entretien ou de la conservation, dont le temps est imposé par la saison, ou les courtes opérations qui concourent à en restituer l’authenticité doivent toujours avoir la priorité sur les servitudes de l’utilisation. L’organisation de toute visite d’un jardin historique doit être soumise à des règles de convenance propres à en maintenir l’esprit. »
Au terme de ces promenades, je mesure mieux certains atouts de la charte de Florence :
C’est un document court, écrit avec des mots simples. C’est un document qui embrasse un grand nombre de paramètres qui font la complexité d’un monument. Enfin, c’est un document qui a une portée universelle, rédigé par des auteurs de tous pays, de toutes traditions et de toutes civilisations. Et si, un jour, ce document devait faire l’objet d’une relecture et recevoir de nouvelles contributions, on pourrait puiser dans des outils récents qui ont fait leur preuve dans la pratique du projet de restauration du jardin. Je pense en particulier au Plan de gestion, élaboré par le ministère de la Culture en France pour les jardins protégés au titre des Monuments historiques. C’est un outil performant qui cerne encore un peu plus les spécificités d’un patrimoine vivant au travers d’un diagnostic adossé à une recherche historique et paysagère pour la mise en œuvre d’un parti de restauration dans le cadre d’un programme pluriannuel.
Eléments de bibliographie
- Acidini Luchinat, Cristina (direction), Jardins des Médicis - Jardins des palais et des villas dans la Toscane du Quattrocento, éditions Motta, Milan 1996 - Actes Sud 1997
- Acidini, Cristina et Griffo, Alessandra, (direction), L’Immagine dei Giardini e delle Ville Medicee nelle lunette attribuite a Giusto Utens, éditions Polistampa, Florence, 2016
- Boroli, Marcella et Piero, Giordano, (direction), Le Grandi Ville Italiane - Veneto, Toscane, Lazio, éditions Istituto Geografico de Agostini, Novara, 1982
- Mader, Günter et Neubert-Mader, Laila, Jardins italiens, éd. Office du Livre, Fribourg, Suisse 1987
- Mignani, Daniela, The Medicean Villas by Giusto Utens, editions Arnaud, Florence, 1999
- Pozzana, Mariachiara, The Gardens of Florence and Tuscany, editions Giunti, Florence 2011
Liens internet
- Charte de Florence (1981) : https://www.icomos.org/charters/gardens_f.pdf
- Charte de Venise (1964): https://www.icomos.org/charters/venice_f.pdf
- Plan de gestion : https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Monuments-Sites/Ressources/Les-fiches-pratiques/Fiche-pratique-Le-plan-de-gestion-jardin
- L’Immagine dei Giardini e delle Ville Medicee nelle lunette attribuite a Giusto Utens (voir référence en bibliographie) ↩
- Acidini Luchinat, Cristina (direction), Jardins des Médicis - Jardins des palais et des villas dans la Toscane du Quattrocento (voir référence en bibliographie) ↩
- Cristina Acidini Luchinat, Le jardin du Palais Médicis sur la via Larga, dans Jardins des Médicis (voir référence en bibliographie) ↩