Longtemps mal aimé en raison d’une assimilation malheureuse entre art monumental et totalitarisme, le Palais de Chaillot a fini par être reconnu comme un monument historique et depuis quelques années il est traité comme tel.
Bâtiment d’accueil d’une exposition internationale, il possède par sa monumentalité toutes les caractéristiques d’un programme de représentation : voir et être vu étaient les maîtres mots de sa commande, primant sur toute autre notion d’utilisation ou de fonctionnalité. Cet événement passé, les musées et le théâtre nécessitèrent rapidement des travaux d’aménagements puis, en permanence, des adaptations fonctionnelles plus ou moins importantes. Comment préserver les caractéristiques du palais tout en satisfaisant aux évolutions des muséographies ou des scénographies ? Comment également l’adapter aux exigences sécuritaires, elles aussi en perpétuel changement ? C’est à ces tâches que tous les architectes en charge du palais ont dû s’atteler en veillant aussi, depuis peu, au respect de ses caractéristiques patrimoniales.
Une diversité de programmes
Les premiers grands aménagements que Carlu aura à traiter seront toutefois de natures très différentes : il s’agissait de permettre la tenue des assemblées générales de l’ONU. Par deux fois la jeune organisation s’installera sur le site, d’abord dans les galeries, puis dans des bâtiments provisoires autour des bassins avec tous les aménagements et bouleversements que l’on peut imaginer, notamment pour les œuvres, dans le cadre de travaux faits dans la précipitation.
Ensuite, c’est le théâtre qui exigera le plus de transformations. En 1965, le bar fumoir est supprimé pour installer la salle Gémier, transformation indispensable pour son fonctionnement mais bien regrettable car elle préludait la lente détérioration des espaces qui lui étaient attribués. Ce fut pourtant Carlu qui la projeta avant que de Mailly ne la réalise : le palais y perdit un Dufy et ne sauva un Friez que de justesse. En 1973, c’est au tour de la Grande Salle, aménagée par les frères Niermans, d’être profondément transformée par la volonté de son directeur. Sa démolition sera réalisée par Fabre et Perrotet. Avec cette opération disparaît toute la logique des foyers et des jeux d’emmarchements qui les desservaient, permettant cette magnifique déambulation sur fond de Seine, au milieu d’œuvres d’artistes maintenues depuis dans un véritable purgatoire. À la fin des années 1980, le pire fut sans doute évité avec le projet de Béjart et de son Centre International de la Danse qui devait surmonter l’aile de Paris.
Depuis l’extinction du régime des bâtiments civils et palais nationaux, c’est maintenant un architecte en chef des monuments historiques et un architecte des bâtiments de France, conservateur administrateur du bâtiment, qui sont chargés des travaux de gros investissements et de l’entretien courant sur les parties classées. Avant eux, Carlu jusqu’en 1965, puis de Mailly (1976), Faugeron (1983) et Mevyffredi (1997) après le refus de Tallibert pour un poste jugé dévalorisé, ont assuré la responsabilité de tous les travaux. À part l’épisode de 1973, il faudra attendre 1994 et l’arrivée de J.E Bodin, lauréat du concours pour les travaux d’installation de l’actuelle Cité de l’architecture et du patrimoine pour qu’un architecte extérieur intervienne sur le palais. La même situation se produira prochainement avec les travaux projetés sur le nouveau musée de l’Homme.
L’intervention de l’ABF
par Luc Liogier, SDAP Paris
Le palais de Chaillot est soumis à une double réglementation : situé en site classé, il relève également de la législation au titre des abords, en raison de la proximité du Conseil économique et social. Les travaux concernant les ouvertures et la sécurité dépendent de l’autorisation sur les monuments historiques. Dans ces conditions des modifications mineures sont intervenues en façade, principalement en liaison avec l’éclairage de l’édifice. En revanche, un deuxième permis de construire a dû être déposé afin que l’intégralité du monument soit préservé, lors de l’aménagement intérieur : l’implantation de l’escalier de secours et la mezzanine ont été modifiées. Aujourd’hui, les structures constitutives telles que la charpente et les lanterneaux ont retrouvé leur élégance et leur fonction d’origine. Les jardins avec la rénovation de l’aquarium en contrebas pourraient prochainement connaître un meilleur destin.
Le monument et les normes
Les travaux menés par l’architecte en chef, essentiellement sous la maîtrise d’ouvrage du Service National des Travaux (SNT), ne sont guère différents de ceux réalisés habituellement sur un monument historique : la réfection du clos et du couvert. C’est naturellement l’importance des surfaces en jeu qui contribue à la complexité et au coût des opérations. Couvertures, terrasses, parvis représentent environ 25 000 m2, les planchers intérieurs 75 000 m2. Mais cette opération de gros entretien se complique par l’évolution des normes sécuritaires et fonctionnelles auxquelles doivent naturellement répondre les diverses activités installées dans le palais. Enfin, il faut bien admettre que la rapidité d’exécution, la période socialement agitée du chantier, le nombre d’entreprises et les conditions de leur désignation ont entraîné des défauts de conception et d’exécution qui ne peuvent tous être conservés. Comme pour toute restauration, se pose donc à chaque fois le dilemme, soit d’une intervention respectueuse parfois au détriment des diverses normes et usages actuels, soit d’une interprétation plus ou moins heureuse pour y répondre. Naturellement, pour un tel édifice, le respect des normes sécuritaires est indispensable : le souvenir de l’incendie de 1997 est encore bien présent. Ainsi, sur les façades, de nouvelles portes et des accès de secours ont du être réalisés, des verres spéciaux ont été installés entraînant de légères adaptations des menuiseries métalliques, certaines ont été modifiées pour pallier leurs défauts de conception ; des exutoires de fumées et leur mécanisme sont venus rompre l’élégance des grandes verrières ; sur les édicules divers, les étanchéités sont renforcées, d’autres ont été installés, des plafonds dissimulent des anciennes modénatures pour obtenir des degrés coupe-feu tandis que des escaliers recoupent les galeries ; des garde-corps sont rendus conformes ou tout simplement créés ; des rampes autorisent les accès aux personnes à mobilité réduite (PMR)…
Toutes ces interventions semblent minimes au vu de l’importance du monument, mais nous savons bien qu’une dénaturation arrive vite et que le respect du détail est aussi important que celui de la forme à laquelle il participe. Conscient de ce délicat équilibre, à chaque fois, avant de soumettre nos projets à l’inspection générale des monuments historiques, nous nous demandons « qu’aurait fait Carlu », lui qui en permanence durant ses trente années de présence a été obligé d’adapter son bâtiment à toutes sortes d’exigences.
Le seul véritable choix de restauration qui nous à été soumis concerne les colonnes Davioud retrouvées dans le hall du Pavillon de tête : nous avions beau savoir que le Palais de Chaillot avait été construit en récupérant une grande partie des structures de l’ancien Palais du Trocadéro, nous avons été surpris de retrouver ces colonnes pratiquement intactes au milieu des piliers de Carlu. Pour des raisons fonctionnelles, il avait été finalement admis de supprimer ces derniers au profit de légers poteaux en bétons : la décision de conserver les colonnes a fait cette fois-ci l’unanimité. Ma seule crainte est que le public puisse penser qu’il ne s’agit que de moulages !
Jean-François LAGNEAU
Architecte en chef des monuments historiques