Il apparaît aujourd’hui de moins en moins pertinent de n’envisager la problématique de maîtrise des eaux que sous le seul angle de l’assainissement ou de la gestion du risque. L’eau de pluie se doit d’être de nouveau perçue comme une ressource, et dans cette perspective, se mettre au service des tendances, des attentes, des problématiques urbaines. Quels sont ces tendances, ces problématiques et les acteurs associés ?
La tendance la plus forte, la plus sensible, est la demande, la nécessité d’intégrer plus de nature en ville. C’est une attente de la population, en témoigne le “greenwashing” de la ville, avec ses murs végétalisés, ses nichoirs, ses toitures vertes, etc… Mais plus profondément, c’est un besoin de préserver, d’améliorer la biodiversité, avec les continuités associées que l’on appelle corridor de biodiversité, également trame bleue-trame verte. C’est également un besoin de lutter contre les îlots de chaleur urbains, qui nécessite d’avoir une nature active, ombragère et évapotranspirante en plein été. C’est aussi une demande de plus en plus forte pour une agriculture urbaine, avec ses potentialités de circuit court…
Une autre tendance forte est la volonté partagée de “redonner une place à l’eau”. Là où l’urbanisme depuis toujours s’est évertué à se protéger de l’eau, par des réseaux enterrés, par des digues, des barrages, il apparaît un nouvel urbanisme qui intègre la potentielle présence de l’eau. À nous de faire qu’il intègre toutes les eaux, permanentes, saisonnières (crues), éphémères (pluies), parfois invisibles (nappes). C’est une tendance nouvelle qui transparaît depuis longtemps déjà dans les documents d’urbanisme comme les Plans de prévention des risques d’inondation (PPRI) qui autorisent dans certains secteurs la construction, sous réserve d’adapter la ville et l’architecture à la présence de l’eau. C’est donc plus qu’une tendance, c’est une réalité qui s’affirme dans toutes les agglomérations situées en bord de l’eau, c’est-à-dire quasiment toutes.
Cette présence admise de l’eau dans la ville conduit à changer la perception de l’eau. Longtemps considérée comme un nuisible, une contrainte, nous redécouvrons ses qualités, et souhaitons désormais en profiter. L’eau redevient une ressource précieuse, en témoigne la ville de Paris qui réhabilite son réseau d’eau brute, la ville du Plessis-Robinson qui va utiliser ses eaux de piscine pour arroser ses espaces verts et son patrimoine floristique, en témoigne la multiplication des récupérateurs d’eau pluviales, en témoignent les projets d’exploitation des eaux d’exhaure1 .
Dans le domaine de l’eau, de nouvelles obligations viennent s’additionner à celles existantes. Ainsi, le Plan Pluie parisien, déjà repris par nombres de collectivités ou syndicats (de la Bièvre par exemple), obligent à gérer de façon autonome les petites pluies (jusqu’à dix millimètres de précipitation). Cette mesure nouvelle oblige les constructions nouvelles, en particulier en milieu urbain dense, à prévoir des structures spongieuses de type toiture végétalisée de grande épaisseur permettant de contenir ses petites pluies et les évacuer par percolation puis évapotranspiration.
À ces mesures nouvelles, viennent se joindre de nouveaux acteurs, telle les Agences de l’eau, qui offrent des aides significatives à ceux qui participent de l’abattement des petites pluies et plus globalement participent à désimperméabiliser la ville. Enfin, les aménageurs et promoteurs modifient leur approche de l’eau puisqu’en la respectant mieux, en participant à ces efforts de désimperméabilisation et de réutilisation de l’eau, ils se voient octroyer des labellisations qui in fine valorisent, environnementalement et financièrement, leur opération.
Ce contexte nouveau, fait de ces nouvelles tendances, de ces nouvelles obligations, de ces nouveaux acteurs, conduit à aborder l’eau non plus en tant que telle mais comme une clé d’entrée, un support technique, un ressort juridique, un biais de financement, pour une renaturation globale, réelle et significative de la ville. Il en résulte aujourd’hui des opérations urbaines de forte densité qui, parce qu’elles répondent en premier lieu aux contraintes de l’eau, se voient en capacité d’offrir un environnement urbain vert, support par exemple d’une agriculture urbaine effective et rentable.
Qu’en est-il pour l’existant, le tissu ancien, le patrimoine historique ? Il en est de même. En portant un œil nouveau sur l’urbanisation existante, on en perçoit les abus, en particulier en termes de gestion de l’eau. La prééminence offerte aux voitures et au bitume, au confort d’usage, à l’économie présumée d’entretien, à la salubrité, ont conduit à une certaine standardisation des pratiques, celles par exemple d’enfouir les cours d’eau, les rigoles, les puits, celles d’étancher les sols, d’assoiffer ainsi les arbres et plus encore les nappes. Toute cette artificialisation se voit aujourd’hui réinterrogée par la nécessité de réinscrire le cycle naturel de l’eau dans la ville, pour prévenir la pollution des milieux et les risques accrus d’inondation. Cette nécessité nous oblige à revoir les priorités d’usages dans la ville, à porter un autre regard sur les occupations des sols. Ainsi, en réouvrant des cours d’eau, en laissant de nouveau les eaux de pluie s’écouler à ciel ouvert, gravitairement, faire quelques flaques dans les espaces végétalisés de nouveau offerts à ces pratiques, en élargissant les fosses d’arbres, en multipliant les espaces en terre, voire de pleine terre, c’est d’abord les fondamentaux structurant de la ville qui réapparaissent (les cours d’eau ont dessiné les villes…), c’est ensuite un paysage actif et modulé selon les saisons qui vient recolorer nos environnements urbains, c’est tout un métabolisme, plus frais, plus moderne, en réalité plus proche de la configuration ancienne de notre patrimoine, qui est remis en action. Et cela, grâce à ces nouvelles approches de l’eau plus poétiques. Et -on doit s’en féliciter- plus en adéquation avec les nouvelles réglementations.