La ville de Saint-Pierre-des-Corps est entièrement située en zone inondable. Entre Loire et Cher, dans la Varenne, elle s’est développée autour de la culture maraîchère grâce à la fertilité des alluvions. Puis, l’arrivée du chemin de fer en 1846 lui a permis d’installer une activité économique forte sur plus de la moitié de son territoire, qui emploie aujourd’hui plus de dix mille salariés. En plein cœur de l’agglomération, la commune est la troisième ville du département. Elle accueille la gare TGV mais aussi les ateliers de maintenance et de grosses réparations du matériel ferroviaire, ainsi que des usines de fabrication de matériel ferroviaire, pour citer les plus importantes, et les stockages pétroliers de la région. Les enjeux de ce territoire soumis au risque sont donc très importants et pas seulement pour la commune de Saint-Pierre-des-Corps. La nécessité de réfléchir à la sécurisation de ces activités face aux conséquences que pourrait avoir une inondation a été au cœur de nos discussions quand nous avons préparé la révision du POS en 2000 avec l’Agence d’urbanisme de l’agglomération tourangelle.
Connaître le risque, savoir comment il impacte son territoire, est décisif pour réfléchir à son avenir. Quel renouvellement urbain peut-on envisager pour ces lieux de vie qui, historiquement, se sont installés le long du fleuve ? On ne pouvait envisager de figer la ville. Ne plus construire, c’était inscrire la commune dans un déclin préjudiciable pour les habitants, les activités économiques.
La crue est un phénomène que l’on connaît mieux aujourd’hui que lorsque l’État nous a présenté le Plan d’intérêt général en 1994, appuyé sur un principe de précaution alimenté par la catastrophe de Vaison-La-Romaine en septembre 1992 .
Le travail de simulation d’une crue, mené par l’équipe pluridisciplinaire du Plan Loire Grandeur nature (1995), nous a permis de mieux comprendre comment une crue de la Loire pouvait fragiliser les bases des digues en “rongeant” les berges et aller jusqu’à leur rupture, entraînant des flots d’eau et de boue aux points d’ouverture. Ce moment a été utile pour les élus, les techniciens et le grand public. À cela s’est ajouté un travail de la DREAL de la Région Centre qui montre comment la crue se propage et confirme les points où la digue peut se rompre. Cela a été un outil remarquable pour l’élaboration de la stratégie locale de notre val.
Depuis leur création les digues ont été renforcées, surélevées, laissant croire que, derrière les digues, on est protégé. Les maisons construites sur la digue, ouvrant vers le fleuve, témoignent bien de cette perception. Elles forgent le paysage ligérien dans de nombreuses communes. Au début du XXe siècle, suite à la crue de 1907, les habitations construites par des ingénieurs SNCF sont surélevées (environ dix marches pour accéder au lieu de vie, le sous-sol étant destiné au stockage du charbon), mais c’est en raison de la remontée de la nappe phréatique assez fréquente. Après la seconde guerre mondiale, la reconstruction de la ville, qui a été détruite par les bombardements alliés en avril 1944, n’intègre que l’interdiction des caves. Quant aux marques laissées par la crue, qui auraient permis de maintenir la mémoire de ces crues, la guerre les a éliminées.
Ce n’est pas le risque de crue, mais la difficulté de l’écoulement des eaux pluviales qui a décidé la commune à figer la constructibilité sur tout l’ouest de son territoire jusqu’à la construction d’un nouvel exutoire, mis en service en 2000.
Le risque d’inondation est la conséquence d’un cumul de pluies cévenoles très denses et un niveau de la mer, côté atlantique, qui entrave l’évacuation de la crue au niveau de l’estuaire. Le réchauffement climatique avec la montée du niveau de la mer et l’augmentation des pluies cévenoles, ainsi que leur intensité, ne peuvent que nous convaincre de faire encore mieux partager la nécessité de penser différemment l’urbanisme dans nos communes. Il y a un risque de rupture de digue quand le débit de la Loire atteint six mille mètres cubes par seconde au bec d’Allier à la confluence de la Loire et de l’Allier. Ce fut le cas lors des grandes crues de 1846, 1856 et 1866. Ces crues de référence, si elles se reproduisaient, avec rupture de digue, se traduiraient par trois à quatre mètres d’eau dans la ville. Nous avons installé des repères de crues pour faire partager ce risque sur des bâtiments publics avec le soutien de l’établissement public Loire.
En 2000, l’État élabore le Plan de prévention du risque d’inondation, en même temps que la ville révise son POS et décide d’engager un véritable projet urbain intégrant cette compréhension du risque et les contraintes à l’urbanisation qui en découlent. Nous menons cette réflexion avec l’Agence d’urbanisme de l’agglomération tourangelle. Sur le plan réglementaire, l’interdiction des caves, la surélévation des rez-de-chaussée dans l’habitat (cinquante centimètres), une pièce au dessus des plus hautes eaux connues (PHEC), une pièce qui peut être un refuge en cas de crue si les occupants n’ont pas pu partir à temps, sont inscrits dans le PLU.
Mais nous décidons de ne pas en rester au seul règlement.
Nous voulons que les habitants, qui achètent un bien et veulent le transformer, comprennent la raison du règlement. Nous avions déjà, autour d’une charte sur l’architecture et la couleur, mis en place un soutien aux habitants avec un conseil en architecture et couleur, payé par la ville (gratuit pour l’habitant). Il ou elle se rend sur le terrain pour comprendre le projet des habitants et les aide à construire les réponses architecturales en conformité avec le PLU. Cette démarche aide à partager la connaissance du risque d’inondation et la façon d’y faire face dans son lieu de vie. De plus, nous avons créé une fiche conseil pour que les dépositaires de projet aient des éléments de référence sur la façon dont les biens peuvent se transformer et qu’ils puissent voir des exemples déjà réalisés. Parallèlement, la Ville, avec son service d’urbanisme, et l’Agence d’urbanisme, accompagnent les architectes, les maîtres d’œuvre, les bailleurs sociaux et les promoteurs, pour réaliser ensemble des projets de construction résilients.
Toute construction (ou réhabilitation) doit prendre en compte les risques d’une inondation et proposer des réponses permettant de surmonter la crue et de reprendre rapidement une vie normale. Le temps de crise doit être le plus court possible. Plutôt que de n’appliquer que la règle du PPRI, nous avons décidé d’intégrer cette contrainte et de nous appuyer sur cette idée que nous pouvons vivre avec le fleuve, en connaissant bien son comportement et en se donnant les moyens que le passage de l’eau se fasse sans dégrader les biens. Cela suppose de faire partager aux porteurs de projets cette connaissance du risque. Pour cela il faut faire apprécier la proximité du fleuve, le fait que la ville s’est construite sur ses alluvions.
Pour que le lien avec la Loire soit vivace, il s’agit lors des projets de faire ressentir la présence de l’eau, en réintégrant par exemple un ruisseau souterrain comme dans la transformation des commerces au sein de la ZAC de Rochepinard, projet élaboré par Jean-Yves Barrier.
C’est la réalisation d’une trace, indiquant le positionnement des plus hautes eaux connues, comme sur le bâtiment de logements réalisé par Paul Chémétov, pour la foncière logement avec sa mosaïque bleue tout le long de la façade principale sur la rue de la Rabaterie…
C’est aussi la confirmation d’une relation piétonne avec le fleuve et une réflexion intégrée au PLU élaborée avec l’architecture urbaniste Frédéric Bonnet et le cabinet Obras : des préconisations pour envisager une traversée sécurisée de la digue, vraie barrière avec ses dix huit mille véhicules qui l’empruntent chaque jour, afin que les habitants soient incités à aller au bord du fleuve. Le centre de loisirs est installé l’été sur la largeur des berges et permet aux enfants et leur famille de découvrir le fleuve. Le projet urbain de la ville s’est également appuyé sur la mémoire maraîchère de la commune, la culture des jardins familiaux, très nombreux en dehors des jardins attachés aux maisons. La conservation des cheminements piétons historiques (appelés “rottes”) et leur développement dans les nouveaux projets participent à la confirmation d’une identité particulière de la ville à laquelle les habitants sont très attachés.
Cette conception de la ville dans ses jardins a été confirmée lors de la révision du PLU, achevée fin 2018, avec une participation importante des habitants à son élaboration. Pour y parvenir, nous avons décidé de nous appuyer sur des périmètres d’urbanisation dans des secteurs en zone d’aléas moyens. Pour éviter des constructions à la parcelle sans cohérence avec l’environnement dans lequel se situent ces espaces constructibles, où se côtoient des jardins familiaux bien entretenus et d’autres en friche, le PLU préconise une opération d’ensemble sur chacun des secteurs. Des Opérations d’aménagement et de programmation ont été prévues au PLU. La ville ayant mené une politique foncière depuis de nombreuses années est l’un des partenaires incontournables de toutes ces opérations. Même si la ville ne porte pas le projet, elle s’assure ainsi d’être dans la négociation au moment de l’élaboration du projet.
En effet, faire admettre aux aménageurs, quels qu’ils soient, d’intégrer dans leurs projets la réduction du risque, et donc apprécier les dommages que pourrait créer une inondation, est toujours analysé, d’abord comme un coût supplémentaire. Cela suppose de reprendre avec eux ce que veut dire construire en zone inondable constructible : c’est donner aux habitants des conditions de vie qui leur permettront d’aborder le risque d’inondation dans de meilleures conditions.
Notre démarche projet intègre l’appréciation de la réalité foncière pour que le projet soit économiquement réaliste. Cela suppose également une analyse des contraintes du lieu pour réaliser un projet “sur mesure”. L’objet de ce travail des services de la ville avec les porteurs vise à créer une qualité du cadre de vie pour les habitants vivant déjà dans le quartier et pour ceux qui viendront s’y installer. Cela n’est possible que si le maître d’ouvrage et l’architecte acceptent une démarche de concertation. Des solutions architecturales innovantes ont été mises en place sur un certain nombre de programmes, à la fois pour l’habitat, mais aussi pour l’activité économique et pour les équipements publics. Au delà des constructeurs, nous avons également essayé de convaincre les opérateurs de réseaux.
En 2006, la ville a engagé la réhabilitation de salles destinées aux réunions des associations. C’est l’architecte François Bouvard qui réalisa cette transformation. Le bâtiment date des années 1950. l’architecte propose de réduire la vulnérabilité du bâti par rapport à la crue en rehaussant le premier niveau à hauteur des plus hautes eaux connues, ce qui nécessitera un ascenseur pour répondre aux normes handicapés. Il dessert également le deuxième niveau. Le mode de chauffage et de rafraichissement, par géothermie est installé dans la partie haute du bâtiment. L’eau, après utilisation des calories, est envoyée vers le jardin public du quartier où il alimente une fontaine installée dans un espace entouré de palmiers qui sont un clin d’oeil à la soixantaine de maisons qui ont un palmier dans leur jardin mais qui, surtout, fait penser à une oasis. Les salles sont en service depuis 2009. Ce projet fait partie d’une conception que j’aimerai voir se développer : associer à la fois la réduction du risque d’inondation et la maitrise des considérations thermiques. Cette conception de solutions à bénéfices multiples que nous portons avec le CEPRI peut créer également de meilleures conditions de financement des projets.
En 2006, une opération dans la ZAC de la Grand’Cour “Le Clos des Lys” est portée par le groupe Belin, avec Alain Gourdon comme architecte. C’est un ensemble de logements collectifs. Les logements sont surélevés, les parking sont au rez-de-chaussée, libérant l’espace central de la cour pour des jardins plantés par les co-propriétaires. L’ensemble constitue un rectangle. Sur la rue principale de la ZAC, rue Edouard Lemarchand, des escaliers individuels rythment la façade. Sept logements individuels sur la rue Bara, offrent une transparence en rez-de-chaussée, donnant à voir le stationnement mais aussi l’espace de jardin privatif. La forme des toitures arrondies accompagne la forme du chauffe-eau installé à l’étage.
De 2006 à 2010, un programme de maisons individuelles, les villas Curie, et trois petits collectifs se construisent en centre-ville sur des terrains communaux. Alain Gourdon en est l’architecte, la société Art-Prom, maître d’ouvrage. Tous les logements sont au dessus des PHEC. Les rez-de-chaussée des bâtiments collectifs sont occupés en façade de la rue de la Rabaterie par des locaux commerciaux ou des garages. Les logements individuels sont dans la même conception que ceux du Clos des Lys. Le rez-de-chaussée est occupé par les espaces dédiés aux moyens de déplacement et donne une transparence qui, si elle rend plus agréable la vision depuis la rue, serait surtout utile en cas de crue pour laisser passer l’eau et éviter les dégradations. Un espace public de parking a été aménagé avec le paysagiste Ilex. Un espace, dédié à la biodiversité et accueillant une ruche, est installé en continuité du stationnement, il est géré par la ville.
En 2008, en centre-ville, sous la maîtrise d’ouvrage de la Foncière Logement, l’architecte Paul Chémétov propose un ensemble de logements trente-huit collectifs et quatre maisons passives. L’ensemble des stationnements de la résidence compose un socle en rez-de-chaussée. L’impression pour le piéton est celle d’une clôture surlignée par une mosaïque bleue. Celle-ci signale le niveau des PHEC dans cette partie de la commune. Elle se continue vers les maisons en duplex.
En 2010, la SA Le Nouveau Logis réalise avec l’architecte Jean-Yves Barrier vingt-neuf logements collectifs à vocation sociale. Nous sommes en zone d’aléa fort ,dans les trois cents mètres du pied de la digue. La construction autorisée ne peut utiliser que 10 % de la parcelle, le reste de l’espace est un espace vert dont une partie a été transformée en jardin familial. Les stationnements sont sous les logements pour l’essentiel au niveau du rez de chaussée. Le bâtiment est perpendiculaire à l’avenue Jean Bonnin, artère principale d’entrée dans la ville et situé à un angle de rue. Il accueille en rez-de-chaussée des locaux “commerciaux”, occupés aujourd’hui par une crèche. Tout le niveau habitable est au dessus des PHEC.
En 2013-2014, dans la ZAC Gare, le maître d’ouvrage Sogeprom réalise avec l’architecte Jean-yves Barrier un ensemble de bureaux dont le programme se poursuit dans la même conception en 2019 pour de nouveaux bureaux. À proximité immédiate de la gare TGV, la ville a acquis des terrains pour accueillir des activités économiques et réaliser les transformations nécessaires dans ce quartier, après la mise en service du TGV en septembre 1990. Le secteur est sous une forte pression de stationnement pour les voyageurs SNCF. Le programme assure donc son stationnement au niveau du rez-de-chaussée. Sa lecture en façade est marquée par des ouvertures assurant là aussi le passage de l’eau en cas de crue. Le transformateur EDF, indispensable pour le programme, a été installé au dessus des PHEC ce qui est “une première”.
En 2014, dans le quartier Nouvel AIR, ou cour du Petit Pressoir, vingt-deux maisons individuelles dont seize sur pilotis, soixante collectifs intermédiaires sont construits par le maître d’ouvrage Cityimmo et l’architecte Alain Gourdon. Les logements intermédiaires sont comme posés sur des pilotis accueillant les voitures au rez-de-chaussée. Certains logements sont des duplex en rez-de-chaussée surélevés. Les maisons sur pilotis sont desservies par des ascenseurs et des coursives. Les espaces sous les maisons permettent l’installation d’un espace privatif protégé. Un bassin de rétention et des jardins familiaux complètent l’aménagement de cet ensemble qui s’ouvre sur un jardin public. Des cheminements piétons relient ses nouveaux logements au réseau de rottes existant.
En 2017, l’Immobilière des chemins de fer engage un programme de vingt logements collectifs avec le cabinet d’architecture MU. Les logements sont tous au dessus des PHEC. La transparence du rez-de-chaussée intègre la capacité du passage de l’eau sans entrave et en préservant les lieux de vie.
D’autres programmes à dimension économique ont également intégré le risque d’inondation. Un ensemble de bureaux est réalisé par l’architecte François Bouvard, accueillant Pôle emploi et des activités du Technicentre SNCF. Il doit répondre à la réduction de la vulnérabilité à l’inondation mais doit aussi intégrer les nuisances sonores de l’autoroute A 10 . La proximité d’une station de relèvement des eaux usées amène à choisir l’utilisation de la chaleur qu’elles produisent pour le chauffage et le raffraichissement des bureaux. Un équipement de transport de l’énergie électrique, la station des Épines Fortes, qui alimente le nœud ferroviaire de Saint-Pierre-des-Corps, est en cours de réhabilitation. Il sera totalement au dessus des plus hautes eaux connues. Il est réalisé par RTE avec l’architecte P Gallon. En 2017, la chaufferie centrale, qui alimente en chauffage et eau chaude plus de trois mille logements et de nombreux équipements publics, est transformée pour accueillir la biomasse. La société CorpoEnergie en est le maître d’ouvrage et François Bouvard l’architecte. L’équipement technique intégre la réduction de la vulnérabilité. C’est particulièrement important pour un élément technique de cette ampleur dans la ville.
Ces réalisations nous ont amenés à beaucoup travailler sur le paysage urbain que l’on donne à voir aux habitants, particulièrement au piéton quand il passe devant ces nouvelles constructions. La perception du risque doit être lisible mais il faut ausssi garder une certaine aménité à nos lieux de vie.