Processus Europe
À l’occasion de l’année européenne du patrimoine, toute l’équipe de la revue La Pierre d’Angle a souhaité faire un tour d’horizon des différentes expériences ou manières dont nos voisins, proches ou lointains, accompagnent l’architecture, l’urbanisme ou les paysages existants, pour en faire un usage harmonieux et source de liens sociaux.
L’Europe, issue de la déesse bien nommée aux sources de la Grèce antique, évoquant la notion de « larges terres » est intrinsèquement un lieu de bouillonnement, de cultures mêlées et partagées qui favorisent l’émergence d’une extraordinaire émulation de créativité.
Chaque épisode de l’histoire européenne, comme un processus éternel et pluriel « d’Iliades et d’Odyssées », suivant le point de vue des nations éphémères qui en font le récit, diverge et converge, matérialisé à travers les productions humaines et les intelligences évolutives qui s’inscrivent dans la magnificence de son substrat géographique préexistant. Ce substrat est aussi source de récits cachés, bien au-delà de ce que nous croyons connaître…
Nous vivons les heures où l’Europe se cherche et se confond dans ses frontières visibles et invisibles, entre des objectifs parfois paradoxaux de conciliation des valeurs de liberté avec celles de sécurité, entre les intérêts de puissances étrangères qui savent œuvrer avec habilité sur les organes des pouvoirs, et ceux, faillibles, qui les incarnent… au service de plus en plus souvent d’un tout autre intérêt que ceux les plus élémentaires des besoins essentiels des peuples et de leurs écosystèmes… des heures durant lesquelles la tentation est grande pour certains de fragiliser, par la zizanie et l’individualisme seigneurial, le beau projet européen, vecteur de paix et de respect, et de donner valeur d’exemple aussi pour l’évolution vers une humanité plus respectueuse de son environnement… lorsque l’Europe laisse aussi mourir en Méditerranée dans les flux migratoires de détresse et oublie alors que le sang des européens est mêlé des milles histoires de réfugiés voyageurs…
Dans ce contexte où tous les futurs sont possibles, et dans lequel la loi évolue avec fulgurance, souvent pour mieux permettre à ceux qui s’affranchissent des principes universels les plus fondamentaux d’aller encore plus loin dans la basse besogne…
Il y a pourtant, çà et là, comme des phares dans la nuit qui sont les vecteurs d’espoir que d’autres modèles de gouvernance et de co-créativité existent et racontent, comme l’on fait la plupart des visionnaires, un autre monde à venir…
L’Europe présente par ailleurs une certaine cohérence dans son patrimoine architectural, urbain et paysager, résultat d’une histoire très partagée depuis bien longtemps et d’une circulation permanente des idées et des artistes.
Dans le peloton de tête des dix pays ayant le plus de sites du patrimoine mondial de l’Unesco, cinq sont européens : l’Italie, l’Espagne, la France, le Royaume Uni, l’Allemagne, dont les dimensions sont incomparables avec les cinq autres comme la Russie, la Chine, l’Inde, le Mexique et les Etats-Unis, traduisant la densité formidable du terreau patrimonial européen.
Limiter l’Europe à l’Union Européenne serait se priver de la compréhension des échanges mondiaux et des multiples influences dont l’Europe a été pénétrée par ses projections géographiques lointaines, en évoquant un limes qui, à l’instar des grands empires, dépasse son seul continent pour parler d’Asie, d’Afrique, d’Amérique, d’Océanie. Gilles Bœuf n’évoque-t-il pas à ce sujet le continent bleu d’un seul tenant car l’eau salée des océans et des mers les unissent tous comme des territoires insulaires reliés entre eux…
À l’heure où l’Europe est attaquée de toutes parts, le parlement européen est encerclé par les bureaux des lobbies multinationaux qui affaiblissent la puissance politique que pourrait être l’Union, au seul profit généré par le marché européen. Au milieu de tout cela, la culture demeure un vecteur solide de cohésion et d’identité. C’est aussi à travers cette démarche que le label européen vise à identifier ses patrimoines partagés pour qu’il n’existe pas seulement pour seules commémorations, celles liées aux multiples conflits entre européens durant des siècles.
Quand on se penche sur les déclinaisons opérationnelles des processus de préservation et de mise en valeur de ce patrimoine dans différents pays, on peut se rendre compte de différences et d’orientations variées qui donnent envie de comprendre les méthodes, les avantages, les difficultés ou les convergences observés, çà ou là, et de révéler aussi combien la France peut s’enorgueillir des principes d’accompagnement mis en place depuis le XIXe siècle par de grands visionnaires comme Victor Hugo. Ces mêmes principes qui n’ont de cesse pourtant d’être matraqués par quelques parlementaires aux antipodes de la profondeur d’esprit de ces grands personnages qui pensaient aussi le patrimoine comme ciment social des valeurs partagées d’une nation…et source d’inspiration de toute éternité.
Nous croyons intimement au sein du comité de rédaction que le meilleur investissement se fait sur la capacité des humains à inventer un monde plus harmonieux, plus respectueux des ressources naturelles et qui, comme le rappelle si souvent Pierre Rabhi, doit œuvrer au soulèvement des consciences individuelles et collectives, premier patrimoine de l’humanité qui, bien qu’immatériel, en est sans doute le plus essentiel.
Illustration d’ouverture du dossier : L’Europe par Nicolas. Sanson (1600-1667), éditée chez Pierre Mariette à Paris en 1669. Source : Gallica, Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, CPL GE DD-2987 (151)