Les ZPPAUP se révèlent au jour le jour un outil de protection du patrimoine aux multiples vertus. L’une de leurs qualités premières consiste, à côté des monuments historiques, à protéger des objets pour leur valeur propre et non pour leur valeur relative. Dans ce cas, le patrimoine en cause n’est plus seulement l’objet remplaçable qui participe des abords du monument, mais l’objet irremplaçable, parce qu’il porte sa propre valeur monumentale, architecturale, paysagère.
Les fondations même de la ZPPAUP résident donc dans l’identification du patrimoine dont la protection est en jeu. Cette évaluation préalable s’effectue nécessairement sur la totalité d’un territoire communal, qui est généralement le territoire d’application de la ZPPAUP. Elle est primordiale parce qu’elle est révélatrice d’un patrimoine qui jusqu’alors n’avait pas été exploré, mais surtout parce qu’elle est discriminatoire : en désignant l’ensemble des objets qui constituent le patrimoine communal nécessitant d’être préservé, elle désigne du même coup l’ensemble des autres objets comme “non-patrimoine”, et de ce fait ne nécessitant pas d’être préservés. Cette part du feu, exige de l’étude préalable les qualités d’une expertise. Dans certains cas, cette exigence a justifié la participation de chercheurs tels que ceux de l’Inventaire à l’élaboration de la ZPPAUP. Le plus généralement cependant, elle repose sur les compétences de l’équipe chargée de l’étude préalable à l’établissement de la ZPPAUP.
Un exemple significatif est offert par la cité médiévale de Cordes, dans le Tarn, pour laquelle un projet de ZPPAUP est à l’étude. Comme c’est le cas le plus souvent, la question y est posée d’emblée en termes d’abords. Autrement dit, la question posée immédiatement, est de savoir quel matériau utiliser pour la couverture ou le crépi, de savoir dans quelles conditions disposer des bannes, de la signalisation, du mobilier urbain, des verrières, aménager un garage : quels coloris pour les façades ou les contrevents ? Sachant que l’image d’authenticité de la cité médiévale en fait sa notoriété la préservation de cette image apparaît comme primordiale. L’intrusion d’un dispositif utilitaire ou commercial incongru, d’une coloration voyante, la création d’un percement mal proportionné, les malfaçons en général apparaissent comme la pathlogie qu’il convient de dénoncer. Au contraire, la réhabililation de bon ton, quelles que soient ses conséquences sur le contenu documentaire de l’immeuble concerné, est acceptable, voire montré en exemple. Le patrimoine est préféré dénaturé, c’est à dire victime d’une altération irréversible de sa teneur, mais esthétiquement correcte, que défiguré, c’est à dire victime d’une altération de son aspect, souvent réversible mais esthétiquement inacceptable. Ici, comme généralement, le patrimoine en question dans le cadre du dispositif de protection constitue le second plan d’une composition dont les monuments historiques, autrement dit l’église et quelques célèbres façades gothiques de la rue principale, offrent le premiers plans. L’aspect est donc la première préoccupation. La logique de protection au titre des monuments historiques, elle-même, se révèle décalée pou avoir sacralisé l’image au détriment de la teneur. En témoignent les extraordinaires hôtels médiévaux dont seules les façade principales ont bénéficié d’une protection. Comme si la demeure patricienne à l’arrière de ses fenêtres à remplages ne présentait qu’une valeur d’accompagnement ; comme si trois des élévations d’un édifice participaient des abords de la quatrième. Démarche d’autant plus discriminatoire qu’elle ne repose sur aucune connaissance de cause préalable. Car, curieusement, les chercheurs eux-mêmes historiens de l’art ou archéologues, n’ont concentré leur attention que sur les six ou sept façades les plus ornées de la cité, négligeant l’épaisseur de l’habitation pour ces édifices majeurs, et négligeant a fortiori la centaine d’autres maisons médiévales inexplorées que compte Cordes.
Car la révélation essentielle de l’étude préalable à l’établissement de la ZPPAUP réside en effet dans le repérage, en première évaluation, de cent trente-deux maisons médiévales conservant des vestiges significatifs. Cent trente-deux maisons qui, de par leur nombre seul, constituent de manière flagrante le patrimoine majeur de la ville et lui confèrent une dimension nationale. Or, à l’exception des façades les plus notables des grands hôtels bourgeois, souvent étudiées, le fait est que nous ne savons pratiquement rien des maisons médiévales de Cordes. Leur évolution stylistique, leur typologie, leur distribution intérieure, leur équipement et leur décor nous échappent totalement, faute d’observation. Certaines caractéristiques très spécifiques de leur architecture, par exemple la présence d’amples arcatures sur les façades postérieures, ou encore les larges baies sans division et parfois sans tableau, restent inexpliquées. Par ailleurs, ces maisons ne sont pas parvenues jusqu’à nous intégralement et la plupart d’entre elles ont subi de nombreux remaniements qui en rendent souvent la lecture, et même l’identification, difficiles. Certaines ne sont plus apparentes, dissimulées derrière des crépis qui en ont effacé les signes et échappent à l’investigation superficielle. D’autres, et notamment d’éventuelles constructions en pans de bois, risqueraient fort de ne pas être identifiées faute de pouvoir se référer à des spécimens repérés.
Des éléments précieux de la distribution intérieure (escaliers, caves, réseaux) du décor intérieur, des peintures murales, des vestiges de menuiseries, de ferronnerie, de vitrage, de charpente, sont vraisemblablement encore en place dans des endroits inattendus et passent donc inaperçu. Or, c’est parmi ces indices d’autant plus fragiles qu’ils sont dissimulés, que résident grâce à la dendrochronologie les seules chances véritables d’établir une chronologie.
Les maisons sont loin par ailleurs de constituer la seule composante problématique du patrimoine médiéval cordais. En dépit de son intérêt exceptionnel, l’enceinte urbaine n’a pas bénéficié d’un meilleur traitement puisque seuls ses portails principaux furent protégés au titre des MH, dans une attitude revenant à nier sans le comprendre l’existence de l’ensemble au profit de quelques unes de ses parties. Enceinte complexe dont le repérage des vestiges n’a pas encore été seulement entrepris. Il faudrait également mentionner le château, dont les probables vestiges, dissimulés dans un immeuble banalisé, mettraient en cause l’identité même de la cité, castrum et non plus bastide.
Ce premier constat établi, la question de la préservation du patrimoine cordais se pose en des termes très différents de ceux qui s’imposaient a priori. Pour s’en tenir au seul pan que constituent les maisons médiévales, on peut admettre que l’objectif serait d’une part de parvenir à connaître la maison médiévale de Cordes et en cela de contribuer à réduire la méconnaissance de l’architecture urbaine médiévale en général, et qu’il serait d’autre part d’en conserver les vestiges significatifs. En d’autres termes, l’objectif serait, qu’au terme d’une opération de réhabililation de restauration, tout immeuble médiéval ait livré les informations qu’il renfermait ou ait conservé ces informations intactes.
D’emblée, on comprend qu’un objectif échappe aux possibilités de l’habituel règlement de ZPPAUP et pose des difficultés spécifiques.
La première difficulté réside de la définition du champ d’application du dispositif de protection. Ici, le patrimoine en cause ne réside pas seulement dans cent trente-deux immeubles médiévaux apparus à l’enquête, mais potentiellement dans la totalité des autres édifices, soupçonnables de contenir des vestiges qui ne seraient pas apparus. Par ailleurs, il ressort que ce patrimoine ne réside pas dans les seules façades auxquelles il a été prévu d’appliquer des prescriptions, mais à l’épaisseur même des immeubles, dans leur gros-œuvre Comme dans leur second-œuvre. Dans le même ordre d’idée se révèle l’impossibilité a priori d’effectuer une sélection parmi les immeubles déjà identifiés faute d’une vision d’ensemble ayant permis de définir un corpus de formes. Et encore, à supposer qu’il soit pertinent de dégager un jour une série limitée de maisons types capables de rendre compte de l’évolution sur plus d’un siècle (entre le milieu du XIIIe et le milieu du XIVe siècle) d’une architecture complexe allant de l’habitation de charpente à la maison de pierre et de l’habitation modeste au palais.
La seconde difficulté réside da la définition des processus d’action. Dans la plupart des cas, restauration et réhabilitation gomment, tantôt par inadvertance, tantôt pour les besoins du confort, tant pour ceux du marché, les indices parfois discrets permettant une interprétation correcte des vestiges conservés.
Or, par le fait qu’ils échappent le plus souvent à l’examen avant le commencement des travaux, la préservation de tels éléments échappent par là-même à l’énoncé d’éventuelles prescriptions de conservation. De fait, on constate., y compris pour les monuments historiques, que faute d’étude préalable avant travaux et faute d’étude en cours de travaux, les édifices qui ont bénéficié de restaurations ne sont plus aujourd’hui des témoins fiables. Passons sur les conséquences de l’inadaptation des programmes d’utilisation en cause dans la dénaturation irréversible de nombreux édifices.
Une troisième difficulté réside dans la définition du champ de la réglementation. L’impossibilité de cerner les caractéristiques de l’architecture médiévale, et l’impossibilité d’établir des typologies rendent illusoire, dans l’état actuel des connaissances, voire dans le principe, la définition a priori de règles de restauration. Par essence, les maisons médiévales de Cordes ne peuvent être soumises à un dispositif réglementaire forcément réducteur. Ici, seule la connaissance spécifique et l’étude particulière de l’immeuble sont susceptibles de définir les règles d’intervention, chaque fois que celle-ci n’est pas réversible, a mise en œuvre du processus d’exploration et de connaissance et la mise en œuvre d’une interaction entre la connaissance et la restauration apparaissent donc comme les passages obligés de la protection du patrimoine. Concrètement, pour Cordes, cela suppose d’engager immédiatement une approche scientifique de l’architecture urbaine médiévale de la cité, au travers de ses vestiges immédiatement accessibles. Cela suppose, tout aussi immédiatement, une expertise avant travaux et en cours de travaux, de tous les objets exposés à subir des interventions.
Ici, les choix et les moyens sont à mettre au niveau et à la hauteur de l’enjeu : la préservation de l’un des ensembles médiévaux les plus importants de notre pays. Ailleurs, l’enjeu réside dans la crédibilité même de la démarche de protection qu’est la ZPPAUP. Car faute de se donner les moyens d’évaluer exactement un patrimoine dont la protection est d’autant plus cruciale qu’il reste inexploré, la ZPPAUP court le risque d’en institutionnaliser la destruction au lieu d’en être l’outil de connaissance et de préservation.
Gilles Séraphin
Architecte