Vallée de la Bruche : le paysage levier d’une dynamique de développement territorial

La Vallée de la Bruche et sa ferme-auberge. © Communauté de communes de la Vallée de la Bruche.
La Vallée de la Bruche et sa ferme-auberge. © Communauté de communes de la Vallée de la Bruche.

Dans le Bas-Rhin, il y a une vallée à la destinée un peu particulière : la Vallée de la Bruche. Touchée de plein fouet par la déprise de l’industrie textile après 1950, cette vallée enclavée, qui comptait à la grande époque cinquante-deux sites industriels sur vingt-cinq communes, a vu son paysage se refermer à mesure que les forêts de résineux reprenaient leurs droits. Après-guerre et jusque dans les années 1980, le constat est clair : la vallée se meurt, les usines textiles ferment les unes après les autres, les ouvriers-paysans abandonnent leurs fermes et replantent leurs micro-parcelles avec des résineux avant de partir chercher du travail en ville. Plutôt que de vouloir à tout prix retenir cette population en cherchant en vain à faire venir de nouvelles entreprises, les élus vont prendre un biais et opter pour une autre manière de faire, s’appuyant notamment sur le paysage mais un paysage porteur d’un développement économique, agricole, touristique au bénéfice de l’attractivité du territoire.

Animaux sur les pâturages au cœur de la vallée de la Bruche. © C. Fouque
La démarche se met en œuvre à deux niveaux : dans un premier temps, sur les landes et pâtures publiques, les collectivités mobilisent leurs énergies (physiques et financières) pour faire en sorte qu’une partie de ces terrains soient de nouveaux exploités ou qu’ils continuent à être pâturés. Dans un deuxième temps, l’effort s’est concentré sur les innombrables parcelles privées héritées de l’histoire de la vallée et du système d’ouvriers paysans. Ceux-ci possédaient les terres agricoles en fond de vallée, sur les coteaux, au cœur des villages. Ces micro-parcelles n’étaient plus ou quasiment plus exploitées et la plupart, replantées ou en friche, bloquaient toute vision. Le taux de boisement sur le territoire de la vallée après-guerre était de l’ordre de 35 %, trente ans plus tard, il était de plus de 80 % ! L’ombre portée par les arbres assombrissait le territoire. L’idée a été d’offrir de la lumière à la vallée en redonnant une nouvelle fonction agricole à ces espaces. Pour engager des travaux de reconquête pastorale, il a fallu trouver l’outil adapté à cette multitude de parcelles et de comptes de propriétés : ce fut l’Association foncière pastorale (AFP). Cet outil identifié dans le code rural mobilise un grand nombre de propriétaires en leur proposant une dynamique de valorisation de leur patrimoine foncier.

Les acteurs locaux, soutenus par la collectivité, ont cherché des solutions concrètes pour pallier à cette impression physique d’échec ressentie et ont démarré par une action forte, surprenante, visible par tous, faisant la preuve qu’il était possible d’inverser la tendance démoralisante à l’enfermement de la vallée. Et c’est ainsi qu’une première AFP a été créée en 1986 en réunissant tous les propriétaires des micro-parcelles boisées d’une ancienne zone de prairie située en bordure immédiate de la route principale.
L’expérience montre que la démarche a porté ses fruits. Ce type d’opération s’est diffusé progressivement. Aujourd’hui, la communauté de communes compte vingt-et-une associations foncières pastorales, regroupant cinq cent cinquante hectares de prairies sur plus de quatre mille parcelles appartenant à mille neuf cents propriétaires et sont louées à des agriculteurs dont une bonne partie sont des nouveaux installés. Le nombre d’agriculteurs a doublé dans la vallée entre 1980 et 2019 (plus de cinquante alors qu’il n’y en avait plus qu’un seul en moyenne par commune soit environ vingt-cinq).

« Si les AFP ont permis dans ce secteur de doubler le nombre d’éleveurs, on met aussi en avant l’amélioration du cadre de vie et la plus-value environnementale confortée par la mise en œuvre de mesures agro-environnementales dès 2006. En créant des couloirs ouverts des fonds de vallée jusqu’aux pâturages communaux des sommets, on favorise la biodiversité dans ces corridors écologiques.» argue Jean Sébastien Laumond, chargé de mission au sein de la communauté de communes et renchérit en soulignant, « Quand on a un paysage rural de qualité et des milieux naturels riches en biodiversité, on sait pertinemment qu’il génère des produits agricoles et une dynamique touristique de qualité ».

Le paysage enjeu de la stratégie touristique de territoire

Depuis plus de trente ans, la vallée de la Bruche partage une vision et porte des projets de développement local autour de trois piliers : économie/emploi/formation, tourisme/culture et paysages. La stratégie touristique de la vallée de la Bruche s’inscrit pleinement dans cette démarche de territoire et puise notamment dans l’action paysagère une source de fierté de différentiation et d’attractivité. La vallée affirme, en effet, un positionnement tourné vers l’émotionnel qui assume sa différence « montagnarde », cultive protège et valorise sa nature et son patrimoine. Une vallée où nature et culture offrent apaisement et sérénité, sources d’épanouissement pour le corps et l’esprit.
Une montagne habitée accessible où habitants et professionnels s’accordent à faire du sens de l’accueil et du service une valeur ajoutée.

Vache de race locale vosgienne, réintroduite avec fierté à la ferme-auberge. © C. Fouque.
Il va sans dire que la qualité des paysages et surtout la restitution de l’espace à l’agriculture sont à tous ces égards essentiels. Deux fermes-auberges, propriétés de la communauté de communes, ont ainsi permis d’installer des agriculteurs sous forme de fermes-relais en bonne intelligence avec les communes et les associations pastorales. Un marché de montagne et un drive fermier, ont vu le jour, des jeunes agriculteurs se réinstallent ou reprennent des fermes avec des productions renouvelées : cochons noirs en plein air, lait de jument… Des rencontres entre professionnels de l’hôtellerie-restauration sont organisées pour créer des liens, favoriser les collaborations… des rendez-vous à la ferme, des « expériences buissonnières » sont imaginés par l’office de tourisme pour créer autant d’occasions de rencontres, de partages qui redonnent aux productions agricoles leur valeur et à l’agriculteur sa fierté. Avec des réussites et des échecs ce processus s’inscrit dans « le temps long ». Il ne doit ses « victoires » qu’à la patience, la constance, la détermination et l’implication locale garante de la continuité.
Bâtiment d’exploitation – Ferme de la Perheux – Wildersbach. © C. Fouque.

Michel Jacques, président de l’AFP, depuis peu maire de Wildersbach témoigne : « À Wildersbach, petit village d’à peine trois cents habitants, nous avons décidé, avec l’appui technique de notre Communauté de Communes, de décliner cette démarche intercommunale de reconquête des espaces au travers de notre « Projet paysager communal ». Ce document, élaboré et mis en place au début des années 1990, est le fil conducteur du projet. Il recouvre tant les problématiques foncières, qu’agricoles, ou de qualité de notre patrimoine bâti.
La création d’une AFP, sur une surface de vingt-cinq hectares regroupant cent-quatre-vingt propriétaires sur environ trois cent trente parcelles, a constitué le premier pas dans l’action.
Cependant, n’ayant plus d’agriculteurs dans notre commune depuis plus de trente ans, nous avons eu à cœur de voir revenir des paysans sur nos terres. La mobilisation d’une armada de bénévoles sur des chantiers de défrichage a ainsi permis de regagner des terrains pour les rendre exploitables.
Enfin, la création de différents petits troupeaux de vaches, moutons et chèvres, eux aussi conduits par des bénévoles, assurent la pérennité de la reconquête de nos espaces. La présence des animaux, a eu en outre pour effet, de dégager des surfaces supplémentaires de fauche pour garantir leur hivernage.
Dans un second temps, au début des années 2000, une ancienne ferme d’altitude, devenue une résidence secondaire, a retrouvé sa vocation originelle et permis l’installation d’un fermier qui assure l’entretien des cent hectares de pâturages communaux situés au-dessus du village, eux aussi, fortement dégradés.
La reconquête de notre patrimoine paysager, garant d’un cadre vie de qualité, a créé une dynamique qui a sans doute permis de maintenir et d’accroitre la population dans notre commune. Le retour d’une ferme et de l’agriculture a induit le développement d’un tourisme à échelle humaine, porteur de valeurs simples et proche de la nature.
Ces actions entreprises chez nous sont une pierre apportée à l’édifice collectif du territoire dont nous faisons partie, nous sommes fiers d’y contribuer ».