Saint-Lunaire - La Villa Constantine une pointe d’exotisme sur la côte d’Émeraude

Vue Ouest de la villa à la fin des travaux de construction ; stéréotype vers 1885. Coll. Personnelle.
Vue Ouest de la villa à la fin des travaux de construction ; stéréotype vers 1885. Coll. Personnelle.

Située à l’extrémité de la pointe du Décollé, la villa Constantine édifiée au milieu des années 1880, est l’une des rares villas bretonnes construites dans un pur style mauresque. Véritable vitrine de la station dès ses débuts, cette petite folie exotique jouera sans conteste un rôle déterminant pour la promotion touristique de la station et de la côte d’Émeraude.

Saint-Lunaire, une nouvelle station en plein essor

Dans le dernier quart du XIXe siècle, l’attractivité touristique de la Bretagne « rattrape son retard » sur celle de la Normandie, avec le développement effréné de stations balnéaires. En particulier sur son littoral Nord, que l’on nommera « côte d’Émeraude » à partir de 1890. De la baie de Cancale jusqu’à la pointe du Cap Fréhel, plusieurs stations de bord de mer surgissent des dunes ou des falaises, à l’instar de Dinard, Paramé ou Saint Lunaire pour les plus célèbres d’entres elles. Le scénario classique est mis en place, avec en premier lieu l’arrivée d’une ligne de chemin de fer qui permettra, depuis Rennes, une connexion avec la côte nord de l’Ille-et-Vilaine jusqu’aux gares terminus de Saint-Malo et Dinard. Ces deux villes seront les premières à bénéficier de l’arrivée de ces nouveaux villégiateurs et l’apparition concomitante d’un réseau secondaire et de tramway permettra ensuite à d’autres stations satellites d’émerger.

Parmi elles, celle de Saint-Lunaire, créée en 1880 par Sylla Laraque (un richissime haïtien) va vite devenir une station chic et réputée qui captera une clientèle essentiellement parisienne en quête d’espaces vierges et d’une ambiance plus familiale et moins guindée que celle de Dinard. Avec la création du lotissement du Décollé en 1882, la construction du Grand Hôtel en 1884 va parachever la première étape du développement de cette station.

Au milieu des années 1880, l’une des villas pionnières va dresser sa silhouette excentrique à l’extrémité Nord du Décollé jusque dans les années 60…

Vue de la villa depuis la croix du Décollé ; carte postale vers 1910. Coll. Personnelle.

Le Lotissement du Décollé, ou la recherche du pittoresque comme produit touristique

Dans ce dernier quart du XIXe siècle, en France la création architecturale balnéaire est avide d’éclectisme et, outre le modèle du chalet ou de la villa empreinte de références historicistes, l’exotisme et en particulier la villa « mauresque » est très en vogue.

Ce courant va essentiellement se répandre du bassin d’Arcachon à la côte d’Azur. Ainsi, la Bretagne n’a eu que très peu d’exemples inspirés par ce style et seules trois constructions majeures viendront ponctuer le littoral breton : Le Pavillon du Princes de Galles, vestige de l’exposition universelle de 1878 remonté aux 2/3 sur la digue de Paramé, la Villa Ker Moor à Saint-Quay-Portrieux et la Villa Constantine à Saint-Lunaire.

Le choix de ce style architectural n’a rien d’anodin sur cette extrémité Nord de la pointe du Décollé car, très vite, ce site sauvage dont le panorama s’étend du Cap Fréhel jusqu’à la pointe de la Varde est devenu une excursion prisée par toute la clientèle mondaine en villégiature sur la côte d’Émeraude.

Vue de l’intérieur de la grotte des Sirènes ; carte postale vers 1900. Coll. personnelle.
La recherche du pittoresque est le fer de lance de toutes stations balnéaires en quête de notoriété et l’excursion organisée dans les rochers déchiquetés du « Décollé » est véritablement l’attraction de la station. Une promenade est balisée jusqu’à son extrémité avec un restaurant-salon de thé, une croix monumentale, un belvédère construit en brique et des passerelles de bois permettent aux plus téméraires de descendre dans le flanc de la falaise jusqu’à la grotte des sirènes. Un employé y attend les touristes pour les guider « en toute sécurité » sur des planches.

La Villa Constantine avec son style mauresque, tout droit venu d’Afrique du Nord, est donc l’un des pôles d’attraction du site et cherche, par son architecture, à émerveiller et surtout dépayser les touristes dès leur arrivée en calèche.

En parallèle, il est utile de rappeler que, rien que par son nom, la villa invite au voyage dans l’empire colonial et, précisément, dans ce qui est alors l’Algérie Française, « Constantine » faisant référence à la troisième plus grande ville du Nord/Est algérien.

Une architecture singulière, véritable concentré d’exotisme

Vue Nord de la villa avec son jardin exotique ; stéréotype vers 1885. Coll. Personnelle.
En termes d’implantation, afin de bénéficier du meilleur panorama sur la pointe du Décollé, la villa est construite sur le lot septentrional du lotissement et positionnée dans la partie haute de cette parcelle triangulaire qui présente un léger dénivelé.

En termes d’architecture, l’édifice de style mauresque puise ses références dans le vocabulaire traditionnel de l’architecture arabo-andalouse, déjà usité en France notamment sur des constructions emblématiques du bassin d’Arcachon sous le IId Empire (Villa Algérienne du Cap Ferret, Casino mauresque d’Arcachon…).

Pour autant, à la différence de beaucoup d’entre-elles qui ont emprunté le terme mauresque sans être dans une écriture pure de ce style, la Villa Constantine en est un véritable manifeste. La volumétrie et le traitement de ses façades sont homogènes et très cohérents avec les codes de cette architecture. L’édifice répond clairement à la commande d’une villa particulière tout en gardant l’apparence d’une petite mosquée du Maghreb.

La construction se présente avec un jeu de volumes très complexes, tous couverts en toits plats et surmontés de trois dômes. De plan carré, la tour Nord/Ouest dominant l’ensemble fait référence par sa silhouette à un minaret.
En élévation, la façade Sud, peu percée, présente un avant-corps central faisant office de hall d’entrée en rez-de-chaussée. Bien qu’étant la plus exposée aux vents dominants, la façade Nord est la plus ouverte sur le paysage grandiose de la pointe du Décollé ; ainsi, une loggia composée de trois arcades est réalisée au rez-de-chaussée du pavillon central. La façade Est présente, elle aussi, plusieurs baies afin de rester « connectée » visuellement avec la plage et le Grand Hôtel, lieu de centralité de la station.

Vue de détail d’une baie géminée du pavillon d’entrée du Parc mauresque d’Arcachon permettant de visualiser le rapport chromatique et une mise en œuvre similaire à celle présente sur la villa.
En termes de décor, les baies sont toutes dessinées en arcs outrepassés. Le rez-de-chaussée est bicolore avec une alternance d’assises en deux tons contrastés (rouge et blanc). Le premier étage et la tour « minaret » présentent des modénatures encore plus raffinées avec des revêtements en carreaux de ciment incorporés dans des cartouches ou des bandeaux de frises qui nous rappellent des mosaïques ou des zelliges marocaines. Un acrotère composé de créneaux mauresques agrémente l’ensemble des façades.

La construction (façades et dômes) est peinte avec une teinte blanche faisant (là encore) référence au bâti en adobe chaulé d’Afrique du Nord. Cette silhouette immaculée, dominant la pointe, se détache de la lande et du bâti environnant, majoritairement construit en pierre de pays. Les menuiseries de teinte sombre (en contraste avec la blancheur des façades) donnent l’impression que l’ensemble des baies en sont dépourvues. Cette illusion est particulièrement réussie au niveau de la loggia centrale qui semble généreusement ouverte sur l’extérieur, à l’instar de celles rencontrées sur le bassin méditerranéen…

Seuls les murs de clôture de la propriété, montés en pierre de pays et surmontés de grilles en ferronnerie devant l’entrée, nous rappellent que ce lot est intégré dans une opération de lotissement concerté, dont le règlement est très strict sur leur mise en œuvre et ne tolère aucun écart de style.

Le jardin quant à lui est planté d’arbustes sur les pourtours et agrémenté en façade Nord d’un parterre central arboré d’un araucaria du Chili et de quelques palmiers (espèces exotiques qui ne résisteront pas longtemps aux hivers fortement agités de la Bretagne Nord).

Évolution du bâti au fil du temps

Vue des façades Sud-Ouest « défraichies » ; carte postale vers 1910. Coll. Personnelle.
Au fil des années, les peintures des façades paraissent déjà « lessivées » et ternies. Les fameuses bandes bicolores du rez-de-chaussée ont quasi disparu sur cette vue, mais hormis quelques campagnes de ravalement, l’édifice traverse l’entre-deux guerres sans modification.

A contrario, au début des années 50, la villa est fortement défigurée avec une surélévation malheureuse qui vient banaliser cette architecture exotique qui lui donnait toute sa singularité. La volumétrie du bâti et l’équilibre de ses façades en ressortent fortement perturbés.

Vue du Décollé avec la villa « remaniée » en arrière-plan ; carte postale 1960. Coll. Personnelle.

De hautes toitures pentues, couvertes en ardoise et dotées de lucarnes rampantes, viennent remplacer les deux dômes principaux. Cette intervention aura également pour conséquence la suppression de tout l’attique maçonné afin d’accueillir cette nouvelle charpente. La tour minaret, quant à elle, est arasée en perdant son lanternon, remplacé par un simple toit terrasse. Côté Nord, une large baie panoramique est ouverte dans une des pièces de réception du rez-de-chaussée. De nombreuses références originelles du bâti sont ainsi gommées pour chercher à lui redonner une allure plus contemporaine et « passepartout ».

Relevés d’élévation de la façade Nord (sans échelle). État d’origine et après modification des années 50. © E..Savin.

Il est utile de rappeler que dans l’après-guerre, l’architecture exotique de la fin du XIXe est encore incomprise, voire dénigrée, et cette villa excentrique est très loin d’être perçue comme « patrimoniale » (comme d’ailleurs l’ensemble du bâti balnéaire sur l’hexagone !). La volonté de son propriétaire de la moderniser et l’agrandir d’un niveau supplémentaire s’inscrit dans ce contexte. En outre, exposée aux quatre vents et soumise à un climat océanique pluvieux, on peut supposer que l’étanchéité des toitures faisait défaut (notamment celle des dômes qui était probablement assurée par un voile de ciment prompt), la mise en œuvre d’une charpente et d’une couverture en ardoise pouvait aussi répondre à des soucis d’entretien récurrents.

Épilogue

Dans un second temps, au milieu des années 60, la Villa Constantine est rachetée par un promoteur, démolie et remplacée en 1966 par une résidence de standing (R+2+combles) sans grand intérêt.

Là encore, la dimension patrimoniale du bâti n’est pas appréhendée et aucune contestation locale ne viendra s’opposer à la disparition pure et simple de cette « folie » architecturale (il faut avouer que la surélévation disgracieuse n’a pas joué dans ce sens !).

Il faudra attendre les années 90 pour qu’il y ait une véritable prise de conscience collective de l’intérêt à préserver ce bâti balnéaire et la mise en place d’une AVAP en 2015, pour que la commune de Saint-Lunaire puisse se prémunir de la disparition de villas remarquables qui participent à la qualité patrimoniale et à l’identité de la station.

Constantine a donc disparu de son paysage mais fait indéniablement partie de son histoire…