Accueillir au sein de la cathédrale, c’est le rôle de son conservateur, représentant le propriétaire -l’État- et désigné en tant que responsable unique de sécurité. Cette mission est précisée dans le décret de 1984 définissant le statut des architectes des bâtiments de France, puis un document de cadrage en 2003, suivi d’une circulaire en 2014. Avec l’incendie de Notre-Dame de Paris et celui de Saint-Pierre-Saint-Paul de Nantes, le ministère étudie la méthodologie appropriée à la protection de ces édifices.
Ces monuments, insignes au cœur des villes, font sens à tel point qu’ils y accueillent de nombreuses manifestations culturelles dont les échelles et le retentissement varient à l’extrême !
À Bourges, c’est le projet de tournage du prochain film de Jean-Jacques Annaud, “Notre Dame brûle”, retraçant l’incendie de la cathédrale de Paris, qui a occupé le confinement. Avant que la DRAC ne délivre l’autorisation, il a fallu en tracer le contour avec les deux affectataires : le clergé et le Centre des monuments nationaux (CMN). Ainsi, ont été discutés la question des décors, des matériaux, leur mise en place, les effets spéciaux, la zone de tournage et les différentes scènes, le délai d’occupation et les contraintes liées aux accès. Le clergé, quant à lui, après réflexion, a pris la décision de la fermeture de la cathédrale.
Le rôle du conservateur est d’évaluer la faisabilité de l’activité en fonction du risque qui peut en découler pour le monument. N’étant ni chef décorateur, ni chef opérateur, le plongeon peut être déstabilisant ! Ainsi, la mise en place de décors nécessite outils, matériaux et co-activité, ce qui a de quoi surprendre dans une cathédrale. Entre la méthode, la bonne volonté et le professionnalisme, il y a toujours un possible hiatus. Cette matière vivante, la culture, se prête naturellement aux échanges et aux aménagements, parfois contraignants, indispensables à la préservation de la cathédrale et de ses œuvres. Malgré la diversité des interlocuteurs, l’objectif reste commun : faire connaître cette architecture monumentale.
Cette aventure, qu’a représenté le tournage, nous a particulièrement touchés, s’agissant de retracer l’indicible, le drame absolu pour tout conservateur.
Ainsi, a été défini avec l’équipe de décoration ce qui pouvait être admis comme installation. Ont été interdits les percements et tous les collages ; quant à l’inévitable déplacement des objets, il a été validé à la fois par le clergé, la conservatrice régionale des monuments historiques et le conservateur des antiquités et objets d’art.
Une vigilance extrême a porté particulièrement sur les conséquences que pouvait avoir le tournage sur l’intégrité de l’édifice et les œuvres qu’il recèle comme ses exceptionnels vitraux.
L’installation du décor a été des plus spectaculaires, la conquête des chapelles par pléthores d’objets, mobilier, distributeurs, affiches propres à Notre-Dame, avec la reconstitution d’un pilier, d’une chapelle.
Les lustres ont été posés en porte-à-faux et l’étude de leur poids au regard de la structure de la cathédrale a été réalisée en concertation avec la conservation des monuments historiques. Maintenus par une potence et des contre-poids dissimulés à l’arrière des colonnes du triforium, ils ont produit un bel effet dans l’espace scénographié.
Le week-end précédent le début du tournage, la cathédrale est restée ouverte, alors que s’installaient les décors. Cela a permis aux curieux de la découvrir transformée en studio de cinéma. Durant cette période particulièrement sombre de confinement, cet évènement a surtout permis, malgré tout, d’égayer la ville ; la cathédrale étant le seul édifice culturel ouvert, cette activité bouillonnante s’y déroulant contrastait avec l’absence sidérale d’animation dans le cœur de ville.
Le tournage s’est principalement déroulé dans le double déambulatoire, pour des raisons évidentes de ressemblances avec celui de Notre-Dame, et dans la chapelle axiale qui a été entièrement réinvestie, afin de la transformer en copie la plus fidèle de la chapelle des Sept douleurs. Le montage et l’installation des décors se sont déroulés sur deux semaines. Des dizaines d’objets liturgiques, des chaises, des bancs, des brûloirs, des bougies, mais aussi des écrans, des machines à fabrication de souvenirs ont été installés, ainsi que la boutique, afin de reconstituer la plus parfaite des illusions. Cette localisation spatiale a permis de laisser ouverte la cathédrale durant la plus grande partie du montage. L’une des demandes les plus sensibles du décorateur a été la nécessaire installation de l’autel de Notre-Dame. L’archevêque, Monseigneur Bau, et l’archiprêtre Stéphane Quessard l’ont autorisée ; ainsi, fut installé un coffrage, réplique exacte de celui de Notre Dame et enveloppant celui de Bourges.
La principale problématique de ce film a résidé dans l’utilisation des fumées à l’intérieur de la cathédrale. Leur usage était indispensable à la récréation du chaos de l’incendie de Notre Dame. Les effets visuels ne pouvant suppléer à la réalité.
Cette fumée blanche, légère, sans odeur, sans colorants, ne devait naturellement laisser aucune substance dans l’édifice, particulièrement sur les vitraux dont l’extrême fragilité est liée à leur ancienneté. Au cours du tournage, la surveillance du taux de “fumée”, a nécessité chaque soir l’intervention d’un technicien de l’UDAP chargé d’ouvrir les portails nord et sud, ainsi que les portes des parties hautes, afin de produire un appel d’air, facilitant ainsi leur évacuation. En seulement quelques heures, n’en substituait plus aucun signe ou trace. Des contrôles réguliers après le tournage ont confirmé qu’aucun dépôt n’avait été constaté, ni sur les vitraux, ni sur les boiseries, ni sur les murs.
Quant au tournage proprement dit, il s’est concentré sur quelques jours, avec figurants, puis quelques acteurs ; c’est le jeu savant de réflexion des matières, d’accessoires et de lumières, qui a donné leur couleur aux scènes.
Toute cette mécanique parfaitement huilée était impressionnante à voir. Les horaires de tournage ont été respectés, sans aucun retard, chacun maîtrisant à la perfection ses missions. Pendant qu’une équipe filmait, la seconde installait les caméras, les projecteurs.
Tout au long cours de cette période, la sécurité de l’édifice a été renforcée, par des moyens humains : deux vigiles SSIAP ont été recrutés afin de filtrer les accès à la cathédrale, en charge des rondes à l’aide d’une caméra thermique achetée par l’opérateur à cette fin ; un capitaine de pompiers, détaché de la caserne de Bourges, conseillait et évaluait à chacune de ses visites le type d’activité et ses incidences potentielles sur la sécurité.
Une fois le tournage terminé, des équipes sont arrivées en renfort afin de commencer le démontage des décors, ainsi, plus d’une dizaine de camions se sont succédés afin de déménager les nombreuses installations présentes, objets liturgiques, chaises, porte-cierges, luminions, distributeurs de pièces à l’effigie de Notre-Dame, textiles ; la cathédrale de Bourges habituellement dépouillée avait été “encombrée” de dispositifs propres à celle de Paris. Ainsi, ce démontage a été réalisé en seulement deux jours. Après l’intervention d’une société de nettoyage, Saint-Étienne a pu retrouver son état d’origine, sa sérénité, ses fidèles et quelques touristes.
Du montage au démontage, tout s’est parfaitement déroulé. Les équipes de Jean-Jacques Annaud se sont montrés extrêmement respectueuses du lieu pendant le mois passé à Bourges. Aucun objet n’a été déplacé sans l’accord de l’UDAP, ni du clergé.
Conclusion, le professionnalisme de l’équipe était au rendez-vous, mais après cette expérience, c’est cette condition, indispensable à la sécurité des cathédrales, que devront remplir tous les futurs projets de tournage.