Renfort ou contestation de l’avis de l’architecte des bâtiments de France 2/2

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L’encadrement des pouvoirs d’avis ou de décision

Le pouvoir d’avis de l’architecte des bâtiments de France s’exerce dans des conditions dont l’on doit soigneusement tenir compte pour bien définir les règles du jeu de la contestation et de l’évocation de la loi de 1997, mais aussi du recours de droit commun qu’il soit gracieux, hiérarchique ou contentieux.

Lorsque le préfet de région formule un avis en appel, cet avis ne fait que se substituer avec la même portée à l’avis de l’architecte des bâtiments de France.

Il est donc important de mieux cerner la force propre de l’avis de celui-ci.

Lorsqu’il y a des prescriptions prédéterminées résultant de servitudes d’utilité publique ou d’urbanisme opposables aux tiers, ces règles non seulement s’imposent à ceux qui formulent les avis ou accords (architecte des bâtiments de France, préfet de région, ministre de la Culture), ainsi qu’à l’autorité qui délivre le permis de construire, mais encore elles peuvent être invoquées sous certaines conditions par le pétitionnaire du permis ou par des tiers utilisant les voies de recours du droit commun.

Pour simplifier l’exposé, c’est dans le cas des travaux soumis à permis de construire qu’il est proposé d’examiner ici la compétence reconnue à l’architecte des bâtiments de France, mais aussi la référence éventuelle à des règles objectives et opposables venant limiter les pouvoirs d’appréciation.

Conditions d’exercice du pouvoir d’avis de l’architecte des bâtiments de France sur les permis de construire selon les zones considérées

Zones de protection du patrimoine et abords de monuments

L’avis de l’architecte des bâtiments de France peut être conçu comme un avis conforme, un pouvoir d’accord. Tel est le cas dans les zones de protection du patrimoine ou dans les champs de visibilité d’édifices classés ou inscrits. Dans le premier cas, l’avis est fondé sur la surveillance de la zone, dans le second, sur le souci d’assurer la protection du monument dont le champ de visibilité est concerné.

Secteurs sauvegardés

L’avis de l’architecte des bâtiments de France relève d’un régime plus complexe en secteur sauvegardé.

L’avis est fondé sur la surveillance générale du secteur sauvegardé (Article R. 313.4).

Avant publication du plan de sauvegarde dans une commune où le plan d’occupation des sols n’a pas été approuvé, l’architecte des bâtiments de France émet un avis qui lie l’autorité chargée d’instruire la demande de permis de construire dans la proposition que celle-ci fait au préfet du département : si l’avis de l’architecte des bâtiments de France est défavorable, l’autorité qui instruit propose au préfet un sursis à statuer ; s’il est assorti de prescriptions, elle intègre ces conditions dans la proposition de décision.

Avant publication du plan de sauvegarde dans une commune où le plan d’occupation des sols a été approuvé, c’est le préfet qui lie par un avis conforme l’autorité décentralisée délivrant le permis et qui intègre dans cet avis conforme l’avis de l’architecte des bâtiments de France.

Après publication du plan de sauvegarde dans une commune où le plan d’occupation des sols a été approuvé, l’avis de l’architecte des bâtiments de France devient un avis sur la conformité du projet avec les dispositions du plan de sauvegarde, mais, ainsi encadrés, l’avis de refus est dirimant et l’avis favorable assorti de prescriptions doit être formellement pris en considération.

Sur l’étendue de la zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les servitudes d’utilité publique que font naître ordinairement les monuments historiques dans leur champ de visibilité se trouvent supprimées pendant la durée d’existence de la zone.

L’institution de la zone de protection étant par ailleurs exclusive de celle d’un secteur sauvegardé, comme le lecteur de la revue l’a vu dans le cas de Clisson1 , il n’y a pas en ce cas de risque de superposition des régimes de protection examinés ici.

Il n’en va pas de même dans un secteur sauvegardé. La loi sur la protection des abords des monuments historiques peut s’appliquer sur une partie importante du secteur sauvegardé en raison du grand nombre d’édifices qui y sont classés ou inscrits. Sans doute le cumul des deux législations applicables présente-t-il des avantages particuliers pour la protection globalement recherchée. Sans doute se félicite-t-on notamment de recourir à la loi sur les abords pendant les périodes où le plan de sauvegarde et de mise en valeur n’est pas opposable aux tiers, aux fins d’éviter d’avoir à opposer systématiquement des sursis à statuer. Il n’en reste pas moins gênant de constater la force juridique différenciée des avis et le manque d’harmonie de leurs modalités respectives d’instruction dès lors que l’on est à la fois en secteur sauvegardé et en champ de visibilité de monument.

Référence à des règles encadrant le pouvoir d’avis, puis celui de décision

En zone de protection du patrimoine

Le pouvoir d’avis (et ensuite celui de décision) est tenu de respecter les servitudes d’utilité publique que sont les prescriptions particulières en matière d’architecture et de paysages selon l’article 70 de la loi du 7 janvier 1983, les règles générales et particulières en ce qui concerne la protection des paysages, l’architecture et l’urbanisme, selon l’article 3 du décret du 25 avril 1984.

Dans les cas où coexistent une zone de protection et un plan d’occupation des sols opposable, celui-ci doit respecter les mêmes prescriptions soit qu’il les reprenne expressément dans ses propres dispositions réglementaires en application notamment de l’article L 123.1. 3° ou 7°, soit que les régles de la zone de protection viennent compléter celles du plan d’occupation des sols sur les points propres à la sauvegarde du patrimoine.

Dans le cas où la zone de protection existe sans plan d’occupation des sols, comme dans celui où elle coexiste avec lui, la ventilation des mesures de protection entre prescriptions à caractère opposable et recommandations n’ayant pas cette vigueur, joue un rôle évident dans la faculté de recourir à la contestation éventuelle d’un avis. Les prescriptions très strictes, et qu’il n’y a plus qu’à suivre, ne laissent pas beaucoup de latitude à celui qui formule un avis dans ce domaine.

Les recommandations servant seulement de guide à la décision laissent forcément une marge de manœuvre plus grande.

En secteur sauvegardé

Le législateur de 1997 s’est référé dans la procédure de contestation éventuelle à la préparation ou à l’existence du plan de sauvegarde. Reprenant les termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article L 313.2 datant de 1962, la loi de 1997 fait référence à “un désaccord… pour délivrer l’autorisation sur la compatibilité des travaux avec le plan de sauvegarde et de mise en valeur…” (et complète par le cas d’un désaccord sur les prescriptions imposées au propriétaire).

En utilisant le terme “compatibilité”, la loi de 1997 retient le concept juridique le plus large, ce qui n’exclut évidemment pas que le contrôle puisse être plus étroit lorsqu’il relèvera ensuite de la “conformité au plan”.

Il convient donc de rappeler ici, toujours dans le cas des travaux soumis au permis de construire, la façon dont le pouvoir d’avis (de l’architecte des bâtiments de France ou exceptionnellement du préfet de région) ou le pouvoir de l’autorité qui décide vont se trouver encadrés par des règles propres aux secteurs sauvegardés. Ce régime s’entend sous réserve de ce qui a été dit ci-dessus, d’un appel à la rescousse de la “protection des abords”, le cas échéant !

Avant publication du plan de sauvegarde et de mise en valeur, il y a contrôle de la compatibilité avec le projet de plan. S’il existe un plan d’occupation des sols, il subsiste, mais est automatiquement mis en révision. Tant que le projet de plan de sauvegarde n’est pas publié, la compatibilité d’un projet avec le projet de plan de sauvegarde ne saurait être confondue avec ce que serait, de façon beaucoup plus exigeante, l’obligation de conformité (sauf à vider de son sens la possibilité de surseoir à statuer).

Après publication, le plan de sauvegarde est opposable aux tiers, mais il ne l’est que pendant trois ans, s’il est seulement rendu public, alors qu’il l’est sans cette limite dans le temps, dès qu’il a été définitivement approuvé. La procédure de sursis à statuer n’a plus lieu d’être et elle ne redevient applicable que pendant la période courant entre l’expiration du délai de trois ans après publication du plan de sauvegarde et la date d’approbation de ce plan qui serait postérieure à l’expiration de ces trois ans. Pendant la période d’opposabilité du plan ainsi définie, l’avis de l’architecte des bâtiments de France devient un avis sur la conformité du projet de permis de construire avec les dispositions du plan de sauvegarde et de mise en valeur.

En cas de révision du plan de sauvegarde et de mise en valeur, et jusqu’à la date de publication du nouveau plan révisé, le recours au sursis à statuer réapparaît et le préfet de département peut par ailleurs mettre en application la dérogation-anticipation, sur avis conforme de l’architecte des bâtiments de France, en autorisant des travaux en contradiction avec le plan mis en révision mais compatibles avec le futur plan révisé.

En champ de visibilité du monument historique, hors secteur sauvegardé

Il n’y a ici, par définition, ni prescriptions propres à la zone de protection du patrimoine, ni plan de sauvegarde. Cela n’empêche pas qu’il y ait cumul avec des règles objectives édictées par un plan d’occupation des sols.

Point n’est besoin de rappeler que les règles que doivent comporter les plans d’occupation des sols (1° et 2° de l’article L 123.1) prennent nécessairement en compte depuis la loi du 8 janvier 1993 la préservation de la qualité des paysages.

Quant aux règles que peuvent comporter les plans d’occupation des sols, elles offrent, bien sûr, toute latitude de se préoccuper comme il convient des abords des monuments historiques.

On ne revient pas ici sur les règles particulières inspirées de l’expérience des secteurs sauvegardés et introduites depuis 1976 dans le droit commun des plans d’occupation des sols : elles figurent au troisième alinéa de l’article L 123-1 sous la numérotation actuelle 5° et 10°. L’article L 123-1. 5° a été modifié en 1991 pour permettre d’aller jusqu’à fixer la destination principale d’îlots ou immeubles à restaurer ou à réhabiliter.

Quant au recours à des règles plus précises que celles d’ordre public, énoncées aux articles R 111.3. 2, R 111.14. 2 et R. 111.2 1, la latitude offerte est très grande.

Même si la loi sur l’architecture a oublié d’ajouter “l’architecture” à “l’aspect extérieur des constructions” au 3° de l’article L 123.1, comme l’a fait le décret du 7 juillet 1977 à l’article R 111.21, l’article 11 des réglements du plan d’occupation des sols est de toute façon, par définition, le moyen d’aller au-delà des régles générales dudit article R 111.21.

Par ailleurs, la disposition figurant au troisième alinéa de l’article L 123.1 sous la numérotation actuelle 7° s’est enrichie d’une façon essentielle en 1993 et 1994.

Le plan d’occupation des sols peut désormais “définir le cas échéant les prescriptions de nature à assurer la protection” des éléments de paysage qui ont été identifiés et localisés, ainsi que des quartiers, rues, monuments, sites et secteurs qui ont été délimités comme étant à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs d’ordre esthétique, historique ou écologique.

Cette possibilité d’édicter de telles prescriptions, introduite par la loi n° 93-24 du 8 janvier 1993, en même temps qu’elle consolidait la zone de protection du patrimoine, souligne la faculté de choisir entre plusieurs formules. On peut introduire dans le plan d’occupation des sols les prescriptions de la zone de protection. On peut se contenter de mettre en harmonie les prescriptions du plan d’occupation des sols et celles de la zone de protection. On peut aussi -c’est le cas qui nous intéresse ici- se passer de recourir à la zone de protection et recourir d’emblée à un plan d’occupation des sols “protecteur” dans lequel, en particulier, les champs de visibilité de monuments historiques subsistent mais s’accompagnent, en tant que de besoin, de prescriptions intégrées au plan d’occupation des sols.

La complexité des conditions juridiques d’exercice des pouvoirs pourrait effrayer si on ne revenait à ce qui est essentiel, la concertation préalable.

Esprit de la réforme

Une préoccupation très forte du Parlement dans le vote de la loi du 28 février 1997 a été d’introduire des élus dans la commission consultée par le préfet de région avant de formuler l’avis qui se substitue à celui de l’architecte des bâtiments de France.

Cette “exigence de dialogue” paraît le souci majeur et permet donc d’apprécier l’ensemble du dispositif.

S’agissant de la possibilité théorique offerte au préfet de département, lorsqu’il est l’autorité qui délivre le permis ou l’autorisation, de saisir le préfet de région, les habitudes administratives font que, surtout s’il n’est pas en même temps ce préfet de région, il tentera plutôt un rapprochement des points de vue en amont ou il aura recours à la consultation de la commission en tant que réservoir de compétences utiles vers lesquelles l’architecte des bâtiments de France comme lui-même souhaiteront volontairement se tourner, sans que l’on tombe dans la procédure formalisée.

Rien n’empêche non plus le ministre, pressentant un conflit potentiel dans un cas difficile et prenant donc les devants, de conseiller lui-même “l’examen au niveau régional” à l’autorité étatique ou décentralisée qui doit délivrer l’autorisation.

Que l’on se trouve en phase d’élaboration de prescriptions destinées à devenir des servitudes d’utilité publique (zone de protection) ou des règles d’urbanisme (plan d’occupation des sols ou plan de sauvegarde), ou que de telles règles soient déjà opposables, ou que l’on se contente simplement de recommandations ou de cahiers des charges guidant l’action mais ne pouvant être invoqués directement, le mot d’ordre est que la cause à défendre le soit dans les meilleures conditions.

L’esprit de la loi n’est pas de contraindre l’autorité décentralisée à recourir à la contestation selon une procédure formalisée.

Il est de prévenir les difficultés de compréhension, quitte à le faire par bien d’autres moyens que ceux de la loi, par l’établissement de règles informelles de discussion et d’instruction, par l’utilisation d’un groupe de travail, d’une commission locale, par toutes les voies les plus appropriées.

En définitive, l’apport majeur de la loi de 1997, renouvelant l’intention de la loi de 1983
rapprochant la commune et l’architecte des bâtiments de France dans l’établissement de zones de protection, c’est de créer une invitation au dialogue, à la définition anticipée des régles du jeu, à la codification des motivations.

Sans doute le dispositif même de la loi est-il d’ouvrir la faculté de contester tel ou tel avis, mais cela peut rester un incident de parcours. L’objectif de la loi est ailleurs.

Il s’agit d’obtenir que l’avis de l’architecte des bâtiments de France prenne souvent appui sur les prescriptions de bons documents prévisionnels.

Il s’agit de faire en sorte que, le moment venu, cet avis soit fortement motivé, aisément explicable, précédé d’autres points de vue, éclairé par ceux-ci.

Qui ne souscrirait à une telle intention du législateur ?

Ce dialogue ainsi assuré, il n’est pas nécessaire d’en dire trop dans les documents opposables aux tiers, au risque d’être pris au piège de règles uniformes et auxquelles on ne puisse déroger.

L’orgueil de l’architecture et du patrimoine ne s’épanouit que dans la sensibilité collective. L’architecte des bâtiments de France en est le premier conscient. Puisse la loi de 1997 le conforter dans une immense tâche !

Philippe PRESCHEZ
CESHMA

  1. Yves STÉFE Du secteur sauvegardé à la ZPPAUP, le cas de CLISSON, pp. 26-30 in Pierre d’Angle, N° 19, octobre 1996.