Portugal, l’intervention architecturale dans le patrimoine

La conscience patrimoniale au Portugal naît au début du XXe siècle, à travers la genèse et la consécration du monument historique, en écho au débat européen et notamment français. Pour autant, la première structure publique possédant une vocation spécifique de protection et de conservation patrimoniales -la Direcção Geral dos Edificios e Monumentos Nacionais (DGEMN)- apparaît seulement en 1929, au sein du Ministério das Obras Publicas (ministère des Tavaux publics) sous le régime dictatorial d’Oliveira Salazar.

Histoire et débat contemporain

La DGEMN est rapidement mise au service des objectifs politiques et culturels du régime, par
la sélection des monuments à restaurer et les critères d’intervention, généralement orientés
vers une réintégration de l’”état d’origine” du monument (ou supposé tel, souvent médiéval), « libéré de toutes stratifications ultérieures »1 Exemple paradigmatique, l’intervention du Paço dos Duques à Guimarães (1937-1959) est une réinvention inspirée des châteaux de Normandie et de Catalogne. Le rôle de l’institution et la tardive chute de Salazar en 1974 ont eu comme conséquence une longue persistance des interventions de réintégration de style dans les monuments portugais.

À partir des années 1960, avec l’ouverture au débat international et la participation des techniciens de la DGEMN au Congrès de Venise en 1964, émerge une prise en compte progressive des différentes strates du monument dans sa conservation et celle de son environnement. Dans ce processus, il faut souligner le rôle déterminant de Fernando Távora (1923-2005), dont l’enseignement et l’œuvre architecturale ont contribué à créer une nouvelle culture d’intervention dans le patrimoine, spécifique à l’École de Porto, en cherchant la continuité avec la tradition et le lieu, sans renoncer à un esprit contemporain. La méthode est basée sur une profonde connaissance critique du contexte et de l’histoire du monument, à travers un attentif processus analytique et créatif qui détermine les choix du projet. Ceux-ci peuvent admettre différentes typologies d’intervention, au cas par cas -conservation, restauration, transformation ou ajout de nouvelle construction- avec une attention particulière au rapport nouveau-ancien. Távora affirme à ce propos que « le Patrimoine ne peut pas être ce que nos prédécesseurs […] nous ont laissé [..], mais est le résultat d’une création permanente et collective, et l’intervention elle-même (acte de “récupérer”) doit être une action créative et non de routine ou de caprices personnels »2 .

Les changements politiques après 1974 ont déterminé le besoin de nouvelles institutions dans le domaine de la sauvegarde et de la restauration du patrimoine. Dans les années 1980, ont été notamment créés, sous la tutelle du ministère de la Culture, l’Institut portugais du patrimoine Culturel (IPPC), pour la protection et la gestion du patrimoine culturel, lequel sera remplacé en 1992 par l’Instituto Portuguēs do Património Arquitectónico (IPPAR). Superposée à la DGEMN préexistante, la création d’une nouvelle structure constitue une ambiguïté passagère s’estompant à mesure que les deux institutions prennent des orientations
différentes.

Dans le contexte national, la thématique de la reconversion de bâtiments anciens en hôtels de luxe (pousadas) revêt une importance particulière et favorise des solutions d’intégration entre maintien de l’existant et intervention contemporaine.

Établir un dialogue entre le présent et le passé

Ainsi, le débat et la pratique actuels sont définis par le refus d’une doctrine unique que
figure la diversité du vocabulaire utilisé : “récupération”, “réhabilitation”, “revitalisation”, “régénération”, “réutilisation”, “restauration”, “conservation”… Le terme spécifique de “récupération” (recuperação) peut englober une gamme d’opérations variées et l’intégration de nouvelles fonctions, en exprimant souvent de façon implicite un dialogue entre la conservation-restauration et l’adaptation contemporaine. À ce propos, Alexandre Alves Costa écrit : « Aujourd’hui, nous avons tendance à considérer que chaque cas est un cas particulier et que la théorie de l’intervention naîtra de chaque circonstance jamais généralisable […] laquelle fait partie non seulement de l’expression de l’individualité de chaque auteur, comme l’obligation éthique d’une rigoureuse et exhaustive reconnaissance du bâtiment pour le transformer. » Le même auteur défend que «récupérer est transformer. Si ça ne se transforme pas, on cristallise alors le passé et à l’architecte on destine le rôle de constructeur de mausolée et la création de circuits de visite exprimant une entité sans vie »3 . Il existe ainsi une spécificité portugaise où la restauration n’a jamais pris une autonomie disciplinaire comme en Italie ou en France. Alvaro Siza écrit, à ce propos : « La récupération n’est pas une spécialisation, c’est tout simplement de l’architecture. Elle a une base historique, scientifique très forte, comme n’importe quelle autre intervention architecturale. »4

En définitive, la difficile conjoncture politique et économique n’a pas été sans entraîner une instabilité du système de sauvegarde et de protection du patrimoine au Portugal. L’extinction en 2007 de la septuagénaire DGEMN, de l’IPPAR et, plus récemment en 2012, avec les réformes du système politique, la disparition du ministère de la Culture, ont donné naissance à une nouvelle structure centrale, la Direção Geral do Património Cultural (DGPC), dépendant du secrétariat d’État à la Culture. Celle-ci est responsable des différentes manifestations culturelles, incluant le patrimoine et sa protection, et entourée de directions régionales plus autonomes. Les changements du système de sauvegarde du patrimoine dans ce contexte provoquent des incertitudes dont les conséquences restent à évaluer.

Teresa FERREIRA
Architecte, enseignante à l’école d’architecture de Guimarães, université du Minho, et chercheur au Centro de Estudos de Arquitectura e Urbanismo da Faculdade de Arquitectura da Universidade do Porto
(Traduction Mariana Martins et Bruno Mengoli)

  1. Boletim da DGEMN, Igreja de Leça do Bailio-n° 1, Porto : DGEMN, 1935, pp. 19-20.
  2. Távora, Fernando, AA.VV., Renovacion Restauro y Recuperacion arquitectonica y urbana en Portugal, Granada : Javier Gallego Roca/Univ. de Granada, 2003, p. 103.
  3. Alves Costa, Alexandre, Património entre a aposta arriscada e a confidencia nascida da intimidade, in « Jornal dos Arquitectos », n°213, Lisboa : Ordem dos Arquitectos, pp. 7-13.
  4. Siza, Alvaro, in A intervenção no Património, práticas de conservação e reabilitação , Porto : FEUP/DGEMN, 2004.