Le plâtre de Paris face aux ravalements, vers la disparition d’un matériau.

Crépis apparents sur les façades du Moulin des Clayes à Saint-Rémy-lès-Chevreuses (78), du 22 rue Geoffroy Lasnier à Paris (75), d’une maison à Théméricourt (95). Le premier est un crépi fait avec des grains solides, le troisième est fouetté au balai. La richesse des textures et des couleurs, leur altération par les peintures ou l’érosion rend chaque façade unique. © Tiffanie Le Dantec.
Crépis apparents sur les façades du Moulin des Clayes à Saint-Rémy-lès-Chevreuses (78), du 22 rue Geoffroy Lasnier à Paris (75), d’une maison à Théméricourt (95). Le premier est un crépi fait avec des grains solides, le troisième est fouetté au balai. La richesse des textures et des couleurs, leur altération par les peintures ou l’érosion rend chaque façade unique. © Tiffanie Le Dantec.

Au-delà du plâtre à mouler, visible dans les salons et les musées, le plâtre est l’un des matériaux les plus utilisés dans la construction francilienne et l’un des plus visibles. La moitié des bâtiments parisiens et une grande partie du bâti historique d’Île-de-France offrent encore à la vue du passant des façades enduites en plâtre, datant d’entre le XVIIe siècle et le milieu du XXe siècle. Cependant, les enduits de plâtre sont confondus avec des enduits de ciment ou de chaux, appelés à tort plâtre-et-chaux, et sont parfois recouverts de peintures épaisses qui brouillent leur observation. De ce fait, les enduits, souvent qualifiés d’ouvrages constructifs mineurs, sont peu étudiés et le plâtre reste un matériau encore ignoré. Les enduits au plâtre ont pourtant une valeur autre qu’historique et technique.

L’esthétique de leur riche ornementation qui cisèle les parements d’ombre et de lumière, mais également leurs couleurs et leurs textures, participent pour beaucoup aux ambiances urbaines1 .
Le plâtre est un produit issu de la calcination du gypse, une roche présente en grande quantité dans le Bassin Parisien, et dont la Butte Montmartre témoigne encore de la quantité et de la qualité. Pour être utilisé, le gypse cuit est broyé en une poudre appelée plâtre. Celle-ci, mise en contact avec de l’eau lors du gâchage, subit une réaction chimique de dissolution-cristallisation appelée « la prise du plâtre », devient solide et redevient du gypse. Le plâtre est un matériau soluble à l’eau (2g/L à 20°C) qu’il convient de protéger par des dispositifs d’éloignement des eaux de pluie (corniches, bandeaux, bavettes) et des infiltrations du sol (drainage, soubassement respirant).

Les étapes du cycle de vie du plâtre utilisé en construction. © schéma Tiffanie Le Dantec.

Une histoire de(s) plâtre(s)

Du plâtre ancien au plâtre industriel

Crépi très grossier du 1 rue Royale à Versailles, daté de 1743. Source : Jean Ducasse-Lapeyrusse, LRMH, 2016.

Utilisé dans toutes les facettes de la construction (fondations, liant de maçonneries, enduits, décors, escaliers, planchers, plafonds, solins etc.), le plâtre ancien était fabriqué par cuisson du gypse sur un feu de bois à des températures très variées. Il en résultait un matériau hétérogène constitué de divers plâtres (anhydrites, gypse et hémihydrate), de grains de charbons et autres déchets de carrière. Ces enduits étaient gâchés serrés, et mis en œuvre en petites quantités par une équipe d’une vingtaine de maçons. Il en résultait un enduit épais (4-5 cm) et très dense, composé de plusieurs couches de plâtre aux moutures et taux de gâchage différents. Ce plâtre très résistant disparaît progressivement dans les grandes villes à la fin du XIXe siècle et dans les campagnes vers 1950. La filière se modernise suite aux pénuries de bois de chauffage du XVIIIe siècle, alors que la production tend vers une recherche de blancheur, de finesse et de régularité. Petit à petit, ce matériau « à bâtir » devient un matériau de prédilection pour mouler et orner, et quitte les extérieurs pour se réfugier dans les intérieurs. Au début du XXe siècle, le plâtre est décrété être le pire matériau pour le ravalement des façades2 . Ce nouveau plâtre, industriel, est fin, poreux et se comporte très mal en extérieur.

Histoire du ravalement au plâtre

Mais un événement va rappeler l’existence du plâtre en façade… Dès 1962, architectes et entrepreneurs parisiens se retrouvent confrontés à un patrimoine important, visible et difficile à restaurer : les façades en plâtre du Marais, datées des XVIIe au XIXe siècle. La création du premier secteur sauvegardé est initiée par André Malraux3 sur ce quartier ancien4 et lui donne un coup de projecteur. Mais au-delà du nettoyage très visible qui enchante le promeneur, les désordres apparaissent et les sinistres s’enchaînent. En effet, aucun matériau ne semble convenir à la réfection des anciennes façades parisiennes. Entre 1962 et les années 19805 tout est testé : plâtre industriel fin, liants hydrauliques, peintures diverses et hydrofuges, en vain. Se dessine alors l’idée de revenir au plâtre d’antan.

Des chantiers de ravalement au plâtre dans le Marais en 1968. Source : Philippe Siguret, « Le plâtre au service de la restauration », Gypsum, 1968, no 68.
Angle de la rue Geoffroy L’Asnier et du Quai de l’Hôtel de Ville, à Paris. La couche de fluosilicate du ravalement des années 1969-70 pèle dans les niveaux supérieurs, soumis de manière plus intense aux sollicitations météorologiques. © Tiffanie Le Dantec

L’hétérogénéité du plâtre ancien est alors plébiscitée : le plâtre de Paris serait un mélange de plâtre, de chaux et de sable ! Cette affirmation se base sur différents postulats tels que la cuisson à forte température qui produit de la chaux6 , des mélanges secrets de compagnons transmis à travers les siècles, des tests de laboratoire7 et de chantiers8 très réussis et des analyses de laboratoire sur les plâtres anciens9 prouvant le mélange (59% plâtre, 17% chaux et 24% sable). Ces affirmations sont profondément remises en cause par les analyses actuelles10 .
Suite aux publications du CSTB et surtout celle du CEBTP, qui est restée longtemps une référence, de nombreux architectes et associations se sont emparés des matériaux et ont testé différentes recettes11 dans les années 1970-80 dont les résultats sont encore visibles de nos jours. Une recette normalisée voit le jour en 1984 : le MPC « enduit du Marais » de Bat’Express (puis Weber et Broutin) habille les façades du Marais encore aujourd’hui. Bien que très éloigné du matériau ancien, le plâtre-chaux-sable reste la meilleure solution, encore à l’heure actuelle, pour restaurer les façades anciennes. Contrairement à toutes les solutions expérimentées précédemment, il permet la perméance du bâti ancien avec une bonne durée de vie.

Ravaler une façade en plâtre aujourd’hui : conserver ou restaurer ?

Le débat entre la conservation et la restauration des façades en plâtre ne semble pas encore commencé entre les différents acteurs de leur réhabilitation. Ravaler une façade en plâtre reste une opération compliquée, et très peu de choix s’offrent au maître d’œuvre.

Sciage d’une console en plâtre pour en faire une réplique, Versailles, 2019. © Tiffanie Le Dantec.

La restitution à l’identique

Le plâtre-chaux-sable selon le D.T.U. 26-1 est employé dans le cas d’une réfection à l’identique qui implique un piochage complet de la façade avec retour au support maçonné. Cependant, ce choix reste souvent expéditif. Des façades anciennes, aux enduits extrêmement solides supportant des ornements des XVIIIe et XIXe siècles sont régulièrement piochées et refaites à l’identique, parfois amoindries par ces opérations. À la perte d’authenticité s’ajoute la restitution très peu fidèle des ornements, dont certains sont à base de matériaux synthétiques hautement inflammables.

La restauration partielle

Il existe la possibilité de restauration partielle. Celle-ci est difficile à mettre en œuvre de par les exigences du matériau ancien : la moindre différence de porosité entre le matériau ancien et le nouveau crée des interfaces où l’eau peut stagner et crée fissures et décollements. Les entreprises pallient à ces phénomènes à grands coups de produits chimiques : surfaçage au micro-mortier (mélanges de résine et de chaux), utilisation de régulateur de fond pour homogénéiser les porosités, badigeons adjuvantés de résines pour couvrir les imperfections.
Pour bien faire, il faudrait pouvoir analyser le matériau mis en œuvre puis le contretyper dans toutes ses propriétés et ainsi faire une restauration compatible. Malheureusement, au-delà des contraintes techniques et économiques d’un tel processus (coût des analyses, impossibilité de refaire du plâtre à l’ancienne), se pose la question des savoir-faire. L’absence de formation sur les enduits extérieurs, notamment ceux au plâtre, paralyse toute une profession qui peine à recruter des jeunes, malgré le plein emploi et les perspectives d’évolution d’un tel métier. Restaurer une façade en plâtre demande une expertise qui vient avec le temps, un goût pour la chimie, un amour pour les ornements et les finitions, qu’on ne trouve plus beaucoup parmi les entreprises de ravaleurs, façadiers, plâtriers et peintres qui se sont emparés du marché lucratif du ravalement (3 500 ravalements/an sur Paris).

Conserver les enduits ?

Finalement, afin de protéger les façades restantes, en attendant de savoir les restaurer, doit-on envisager leur conservation ?
Conserver un enduit est encore plus complexe que de le refaire à l’identique. Cela demande une méthodologie, des techniques et des matériaux qui sont peu développés, notamment par des restaurateurs du patrimoine sur des petites surfaces. Pour conserver un enduit, il s’agirait de savoir le décaper, le nettoyer, le recoller, le consolider, et le réparer en faisant du contretypage etc. Aucune de ces techniques n’est actuellement pratiquée, faute d’intérêt et faute de marché.

Enduits de plâtre datés de 1675. 22, rue Geoffroy L’Asnier, Paris (75). © Tiffanie Le Dantec.

En définitive, ne vaudrait-il pas encourager la restitution des enduits et modénatures en plâtre à l’identique pour encourager les entreprises à former, pour entretenir le savoir-faire de nos compagnons et soutenir un patrimoine immatériel encore vivant ? Le débat de la conservation et de la restauration du plâtre est ouvert.

  1. «La couleur en soi ne suffit pas. Elle est portée par une matière, elle s’accompagne d’un degré de mat ou de poli, et le même ton peut changer entièrement d’effet : ce qui était vulgaire peut devenir subtil, ou vice versa. La technique d’un crépi peut se révéler ainsi plus importante que la couleur même du crépi. » Jacques Thuillier, « Introduction générale » dans Architecture et décors peints. Entretiens du Patrimoine, Amiens, 19-20-21 octobre 1989, Paris, Direction du Patrimoine, 1990, p. 10.
  2. Étienne Barberot, Traité de constructions civiles, etc, Paris, C. Béranger, 1900, 1045 p.
  3. Loi 62-903 du 4 août 1962 sur les « secteurs sauvegardés »
  4. Atelier d’Architecture et d’urbanisme Elisabeth Blanc et Daniel Duche, Plan de sauvegarde et de mise en valeur de Paris le Marais, rapport de présentation., s.l., DRAC Île-de-France, Ville de Paris, 2013.
  5. Le Dantec Tiffanie, Les façades enduites au plâtre d’Île-de-France. Le déclin du plâtre extérieur, du XVIIe au XXe siècle., Thèse de doctorat en Histoire, histoire de l’art et archéologie, Paris-Saclay, Paris, 2019, 555 p.
  6. Ce débat est mené à travers les Manuels Roret notamment, dont les divers auteurs interpellent les savants de leur époque pour justifier la transformation du calcaire en chaux. Il se poursuit dans la littérature des années 1980.
  7. F. Pupil, « Plâtre pur et plâtre à la chaux », Matériaux de construction, mai 1946, no 374.
  8. Christiane Schmückle-Mollard et Henri Bonnemazou, Les enduits extérieurs plâtre et chaux en Île-de-France, s.l., Préfecture de la Région Île-de-France, de la Délégation Régionale de l’Architecture et de l’Environnement, CAUE 78.
  9. R. Quillery, F. Bertrand et M. Mével, « Les enduits extérieurs en plâtre », Bâtir, mars 1963, no 119, p. 29-30.
  10. Environ 93% de gypse, 5% de calcite/dolomite et 1% de quartz, Ducasse-Lapeyrusse Jean, Le Dantec Tiffanie et Vergès-Belmin Véronique, Caractérisation d’enduits en plâtre datant du XVIIème au XXème siècle, provenant de NOMBRE édifices d’Île de France, Champs-sur-Marne, LRMH, 2018.
  11. Schmückle-Mollard et Bonnemazou, op.cit.