La prémonition d’Antioche

Face aux effets prévisibles du changement climatique, il est indispensable d’envisager un nouveau type de développement pour les territoires littoraux vulnérables. La présente étude prospective s’intéresse à la Charente-Maritime en partant d’une légende : Antioche fut une cité submergée sur les rivages de l’île de Ré!1 et un dicton précise que « lorsque Antioche réapparaîtra, Ré disparaîtra ». Les risques littoraux actuels vont s’accentuer dans le futur, donnant une surprenante actualité à la légende.

Fluctuante histoire du trait de côte

La position du trait de côte est mobile par nature. Le niveau de la mer était cent mètres plus bas il y a dix mille ans et a dépassé le niveau actuel voici moins de trois mille ans. À l’époque gauloise, le rivage charentais était plus reculé pour former les golfes des Pictons et des Santons. Depuis, le retrait de la mer, associé à la poldérisation, et l’assèchement des marais ont permis l’anthropisation de nouvelles terres. Aujourd’hui, nous sommes confrontés au phénomène inverse d’érosion marine qui induit un recul du trait de côte2 . Ce recul est accentué par le risque de submersion temporaire3 . La tempête Xynthia ou les tempêtes de l’hiver 2013-2014 ne sont pas exceptionnelles en elles-mêmes puisque les études historiques montrent que trente tempêtes du même type ont dévasté le Poitou en cinq siècles4 . Outre la submersion temporaire qu’elle occasionne, chaque tempête voit le trait de côte reculer en de nombreux endroits de dix mètres ou plus. Si l’État s’est impliqué de longue date dans la stabilisation du rivage charentais (dès l’implantation du grand arsenal maritime à Rochefort en 1666), la tempête Xynthia a mis en évidence les faiblesses des ouvrages de défense actuels qu’elle a endommagés ou submergés. Or, le changement climatique risque d’accentuer l’occurrence et l’intensité de tels phénomènes.

Enjeux liés aux effets du changement climatique

À l’échelle mondiale, la fonte du pergélisol étrennera l’élévation du niveau des mers. En France métropolitaine, l’Aquitaine et la Charente-Maritime seront touchées car principalement constituées de côtes basses. Le cinquième rapport du GIEC (2014) prévoit une élévation du niveau de la mer comprise entre 0,52 et 0,98 m en 2100 (hyp. RCP 8.5) mais la plupart des études scientifiques sont plus pessimistes. Une simulation statique simple5 (+ 1,00 m) permet d’apporter une première cartographie à la submersion permanente qui adviendra à la fin de ce siècle : une partie de l’Île de Ré disparaîtrait, tout comme plusieurs zones basses du littoral charentais, en menaçant les cités balnéaires qui se sont développées en front de mer au cours du XXe siècle.

L’élévation du niveau de la mer sera combinée avec d’autres effets. La disponibilité de l’eau douce va devenir critique puisque la baisse importante des précipitations s’opposera aux
usages estivaux. La biodiversité sera atteinte avec un risque de disparition de certains milieux, et en particulier des marais littoraux. Les villes devront faire face à des inondations plus fréquentes et à l’aggravation des effets du retrait et gonflement des argiles. Enfin, les productions agricoles et conchylicoles devront s’adapter à la diminution de la disponibilité en eau et à la modification de la stratification marine. Ces enjeux combinés doivent conduire le littoral atlantique à une triple transition urbaine, agricole et touristique.

Entreprendre une adaptation intégrée

En réponse aux enjeux croisés des effets du changement climatique, le projet mobilise un système d’interdépendances entre le littoral, le rétro-littoral et l’arrière-pays sur le thème de l’eau (submersion marine définitive d’une part et préservation de la ressource en eau potable d’autre part). Sur la frange littorale, le projet prévoit la désurbanisation des zones les plus vulnérables6 et la renaturation des espaces soumis aux aléas de submersion, à l’image du traitement actuel des zones de solidarité. Dans l’arrière-pays, il s’agira de restaurer le champ d’expansion de crues sur 20 % du linéaire des cours d’eau pour un meilleur rechargement des nappes. Parallèlement, une réurbanisation adaptée sera entreprise par densification et extension mesurées des bourgs et villages existants7 . Le projet embrasse un temps long, compris entre 2015 et 2100, et pourrait être intégré dans les SCoT concernés en complémentarité des mesures relatives à l’atténuation. Au-delà de réponses techniques, ce projet se caractérise par la mise en œuvre d’une trame paysagère intégratrice, amplifiant la trame verte et bleue existante et donnant un cadre spatial aux différentes transitions.

Une réponse culturelle au changement climatique

Si la culture est le quatrième pilier du développement durable, la gestion des risques et l’anticipation des phénomènes liés au changement climatique possèdent une composante culturelle. Une telle approche peut aider à concevoir l’avenir des territoires vulnérables en passant de l’adaptation technique (où une réponse technique correspond à un enjeu spécifique) à l’invention par le projet d’une pensée globale d’un territoire engageant un nouveau type de développement résilient. Puisque le paysage et ses représentations ont un rôle considérable sur l’organisation de l’espace et les dynamiques territoriales -et qu’ils seront fortement modifiés par le changement climatique-, il nous revient d’anticiper le futur des espaces littoraux et rétro-littoraux sur cette base. Quel paysage voulons-nous dans l’avenir ? Le développement d’une politique de défense côtière suivant l’exemple néerlandais aurait pour conséquence de changer l’aspect des rivages tels que nous les connaissons par l’érection et le renforcement de digues. À l’opposé, nous pouvons saisir la nature du paysage charentais porté par un chevelu hydrographique et en faire le support d’un projet d’adaptation ambitieux par le développement d’une trame paysagère de grande échelle.

Pour conclure, il importe de rappeler que l’effort financier inéluctable de relocalisation des activités et des biens vulnérables face au déport du trait de côte doit conduire à développer un projet de grande échelle. Nous devons penser globalement toutes les adaptations nécessaires aux effets du changement climatique. Ces actions peuvent devenir des opportunités scientifiques, économiques et servir à l’affirmation d’une approche culturelle des territoires.

Jean RICHER
Chef de groupe « Ville, innovation, architecture » au CEREMA (direction territoriale Normandie-Centre)

  1. Comme le rappelle Élisée Reclus dans sa Géographie universelle, 1876.
  2. L’érosion du littoral touche quasiment le quart des côtes métropolitaines. Le recul n’est pas régulier sur l’ensemble de la façade littorale. L’évolution la plus remarquable est celle de la pointe de la Courbe avec un recul de plus de deux kilomètres en deux siècles.
  3. Le risque de submersion temporaire liée aux tempêtes maritimes touche 60 % des communes littorales métropolitaines.
  4. Lire à ce sujet La Tempête Xynthia face à l’histoire; submersions et tsunamis sur les littoraux français du Moyen-Âge à nos jours, Emmanuel Garnier et Frédéric Surville, 2010.
  5. Simulation statique effectuée pour les besoins de l’étude sur le site internet htfp://flood.firetree.net qui utilise la cartographie de Google et les données altimétriques de la Nasa.
  6. Dix huil mille six cents logements potentiellement vulnérables à la montée du niveau de la mer sur le périmètre d’étude allant approximativement de Rochetort à La Rochelle.
  7. En passant d’une moyenne de treize à trente-cinq logements par hectare bâti et en tenant compte des risques d’inondation et de retrait et gonflement des argiles.