L’expérience de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) en Seine-et-Marne : comment, en donnant seulement un avis sur l’urbanisation des terres agricoles et forestières, la commission fait évoluer les pratiques de la planification.
L’artificialisation des sols, la disparition de terres agricoles et des bois sont des enjeux identifiés depuis longtemps. Plus récemment, la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture (LMA) a créé les commissions de la consommation des espaces agricoles (CDCEA), devenues commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), avec la loi pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014.
Cette commission donne des avis sur les documents de planification et sur certains projets qui réduisent les terres agricoles ou forestières.
Cette commission est instituée dans chaque département. Son action en Seine-et-Marne contribue à l’évolution des pratiques de planification. La méthode est simple et reproductible :
- des membres de la commission pleinement investis, avec une vision du territoire,
- des élus qui viennent eux-mêmes présenter leur projet à la commission et répondre aux questions,
- des avis circonstanciés, partagés par l’ensemble des membres de la commission, qui font autorité et sont suivis
⇒ les projets gagnent en cohérence, la planification préserve mieux les terres, est moins consommatrice.
Vous avez dit CDPENAF ?
L’article L112-1-1 du code rural dispose que : « dans chaque département, il est créé une commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), présidée par le préfet, qui associe des représentants de l’Etat, des collectivités territoriales et de leurs groupements, des professions agricole et forestière, des chambres d’agriculture (…) des associations agréées de protection de l’environnement. (….)
Cette commission peut être consultée sur toute question relative à la réduction des surfaces naturelles, forestières et à vocation ou à usage agricole et sur les moyens de contribuer à la limitation de la consommation [de ces surfaces]. Elle émet (…) un avis sur l’opportunité, au regard de l’objectif de préservation des terres naturelles, agricoles ou forestières, de certaines procédures ou autorisations d’urbanisme. Elle peut demander à être consultée sur tout autre projet ou document d’aménagement ou d’urbanisme (…).
Lorsque le projet ou le document sur lequel la commission est consultée donne lieu à l’enquête publique (…) l’avis de la commission est joint au dossier d’enquête publique. »
Les missions et la composition de la commission sont posées par le code. Comment concrètement travaille-t-elle ?
La CDPENAF en Seine-et-Marne, une pratique instaurée
En Seine-et-Marne, la commission se réunit environ tous les mois et demi, compte tenu de l’activité en urbanisme dans le département. La réunion de la commission dure une matinée et se tient habituellement le même jour dans la semaine. Les membres de la commission sont assidus.
⇒ Par un travail commun et régulier, les membres de la commission se sont inscrits dans le temps, avec une recherche d’équité et de cohérence. La commission s’est ainsi forgée une pratique, une doctrine permettant de mieux gérer le cas-par-cas.
Des commissions préparées collectivement
Les membres de la commission arrivent en ayant pris connaissance des projets. Les dossiers sont fournis par les communes et disponibles à l’avance, téléchargeables.
À la DDT, la préparation implique plusieurs services et la direction. Celui en charge de l’agriculture va sur le terrain, prend des photographies, compare l’ancien document d’urbanisme avec le projet de PLU (évolution des terres urbanisables), examine la situation des agriculteurs et des types d’exploitations des terres (base PAC). Dans ce service, deux personnes suivent tout particulièrement les CDPENAF. Le service de l’urbanisme donne sa vision du projet de PLU et la manière dont l’élaboration et l’association de l’Etat se passe. Les autres services sont également sollicités, qu’il s’agisse de la planification stratégique (SCOT), du contrôle de légalité, des risques, de l’environnement…
Une réunion préparatoire rassemblant les services concernés et la direction permet de passer en revue les projets présentés à la prochaine CDPENAF et de définir la position de l’État du point de vue de la consommation des terres.
⇒ La réunion inter-services contribue à enrichir les cultures professionnelles, la pertinence et la cohérence des avis de l’État, dans le cadre de la CDPENAF et plus largement dans celui de son action, localement.
La commission se donne les moyens de comprendre les projets
En séance, la commission examine les PLU ou les autres projets selon un dispositif qui s’est élaboré au fur et à mesure et est stabilisé. La DDT informe les élus au préalable des modalités de présentation des projets devant la commission : les projets sont examinés un-à-un, ils sont présentés par les élus eux-mêmes.
La plupart des dossiers sont des PLU que le maire vient présenter, accompagné d’adjoints et de son bureau d’études. Le maire prend la parole et, en s’appuyant sur un diaporama préparé par son bureau d’études, explique quels sont les enjeux actuels de la commune et les réponses qu’apporte le PLU (accueillir de nouvelles familles, mieux gérer des risques d’inondations…). Les adjoints et le bureau d’étude complètent à l’occasion.
Après cette présentation circonstanciée du projet politique du territoire, les membres de la commission posent leurs questions aux représentants de la commune.
L’expérience montre que la prise de parole des bureaux d’études est bien différente de celle des élus. Les élus sont directs, vont à l’essentiel en énonçant le projet avec leurs mots. Il est préférable et même logique que les responsables politiques qui auront à faire vivre le PLU s’expriment devant la commission.
⇒ La parole des élus est irremplaçable : ils décident et gèrent. Cela amène à une présentation plus synthétique, débarrassée d’une technicité inutile et captieuse, ramenant le projet à l’essentiel : que veut-on, quelles sont les ambitions, les points de vigilance ?
Parler de la consommation des terres, interroge tout un projet
La CDPENAF est bien souvent la première présentation du projet hors du conseil municipal, avec les réactions de personnes extérieures.
Les questions de la commission ont trait à la transformation de terres agricoles ou de boisements en zones à aménager, urbaniser. Pourquoi faites-vous cela, pour répondre à quels besoins ? Avez-vous un phasage? Pourquoi le faire ici plutôt qu’ailleurs? Comment les terres resteront exploitables, ni morcelées, ni enclavées? Comment circuleront les engins agricoles ? Comment pourront évoluer les constructions disséminées ou nécessaires aux exploitations ?
⇒ Ces questions, qui ne concernent que la transformation de terres, se révèlent interroger le projet dans son ensemble et parfois l’absence de projet.
Des délibérations et le plus souvent des avis partagés
Ainsi, après cette phase d’échange, les élus, les porteurs de projets quittent la salle pour que les membres de la commission discutent entre eux et élaborent leur avis.
Les délibérations de la commission sont assez rapides. En effet, la présentation et les explications permettent de voir les enjeux, la pertinence du parti-pris de l’extension urbaine. Les membres de la commission s’expriment chacun leur tour. Les analyses et les arguments sont souvent convergents. La commission formule ses avis en séance.
Ces avis peuvent-être favorables, favorables avec des recommandations, favorables avec des réserves ou défavorables. Dans les cas d’avis défavorables, un usage est d’entendre une seconde fois le maire qui explique comment il s’est approprié les remarques de la commission.
Les avis sont transmis sans tarder aux communes. Pour les PLU et les SCOT, ils sont joints à l’enquête publique.
⇒ Les avis sont quasiment tous pris en compte par les collectivités, même s’ils ne sont que consultatifs.
L’efficacité des échanges directs en commission
En un temps très compté, en quelques étapes simples, nous arrivons à une amélioration sensible de la planification: plus pertinente, préservant mieux les terres.
C’est le résultat d’une pratique élaborée collectivement, qui est reconnue par les élus et par les professionnels.
⇒ L’efficacité de la CDPENAF tient à sa composition : des personnes différentes, ayant des préoccupations complémentaires, avec chacune sa légitimité institutionnelle, technique ou un engagement citoyen, associatif reconnu.
Cela tient également à leur connaissance dans leur domaine, leur implication assidue et à la cohérence des positions prises dans la durée. La commission met le doigt sur les enjeux, sait se montrer compréhensive sans être complaisante.
Cela tient à l’échange direct avec les élus, leur conviction dans leur présentation et leur ouverture, leur curiosité lors du moment d’échange avec les membres de la commission. Leur passage en CDPENAF est pris très au sérieux. C’est un moment fort de l’élaboration d’un PLU et s’il peut être appréhendé, soulignons l’attention qu’y apportent les élus et ce qu’ils savent en tirer.1