À la création du festival en 1947, Jean Vilar souhaitait toucher un nouveau public, dans d’autres lieux que l’huis clos des salles obscures, « réconcilier architecture et art dramatique » et donc investir les monuments d’Avignon. Ces objectifs ont été atteints bien au-delà des espérances et, chaque année en juillet, la ville n’a plus de chapelle, de cloître ou de cour d’hôtel particulier qui ne soient occupés par le spectacle.
Soixante ans après, la question se pose cependant de l’impact de cette manifestation sur les édifices et leur utilisation touristique : en quoi le festival a-t-il contribué à la mise en valeur du patrimoine de la cité et au développement du tourisme patrimonial à Avignon ?
Un patrimoine monumental démesuré
Le patrimoine monumental du centre historique d’Avignon comprend une enceinte médiévale continue de plus de quatre kilomètres, un tissu bâti dense comportant cent cinquante monuments historiques sur plus de cent cinquante hectares, dont le Palais des Papes et le pont, classés au Patrimoine mondial.
Pour bien comprendre son évolution, il faut imaginer cette ville au tout début du festival, alors qu’une partie du tissu urbain se délitait et que beaucoup de bâtiments tombaient en ruine. Le Palais des Papes lui-même n’était que partiellement restauré. Le projet de rénovation du quartier de la Balance constitua un événement majeur dans l’évolution ultérieure de la ville et la politique de préservation des patrimoines urbains en France. La polémique entre les constructeurs et les conservateurs a probablement accéléré la concrétisation de la législation sur les secteurs sauvegardés. Elle a aussi attiré l’attention des responsables politiques avignonnais sur l’intérêt de leur patrimoine, le festival jouant le rôle d’une caisse de résonance nationale. Depuis lors, de nombreuses interventions, liées ou non au festival, ont permis la restauration et la réutilisation d’éléments patrimoniaux. Après la cour d’honneur du Palais, le cloître des Carmes fut le premier investi par le festival et réhabilité à cette occasion. L’ancien noviciat des Jésuites héberge le centre d’accueil du festival et un hôtel de luxe. Plusieurs hôtels particuliers ont fait l’objet d’opérations de restauration immobilière. L’hôpital Sainte-Marthe a été transformé en université, l’hôtel de Caumont accueille une collection d’art moderne, et l’ancien Palais de justice, le conservatoire de musique. Le Palais des Papes lui-même a connu au cours de cette période l’aménagement d’un centre de congrès et l’engagement de travaux de restauration.
Au regard de l’ensemble des opérations réalisées, on ne peut dire que le festival soit la cause exclusive de la revalorisation du patrimoine : peu de monuments ont été restaurés spécifiquement pour cette manifestation. Il a cependant contribué à la dynamique de rénovation urbaine en braquant tous les ans les projecteurs sur l’état de certains monuments inoccupés ou délabrés. Une visite de la ville aujourd’hui démontre toutefois que beaucoup reste à faire : que deviendront la prison Sainte-Anne et l’hôtel des Monnaies, par exemple ?
Touristes patrimoniaux et festivaliers, en augmentation mais non solubles ?
Avignon est mondialement connue, et les touristes français et étrangers affluent tout au long de l’année, visitent le Palais des Papes (six cent mille visiteurs) et le pont (trois cent soixante-dix), mais peu les musées, dont les fréquentations stagnent. Ils dépensent dans les restaurants et les boutiques, mais repartent ensuite assez rapidement : il s’agit donc bien d’un tourisme de passage, très fortement polarisé sur ces deux sites et peu enclin à découvrir le reste de la ville.
De même, les chiffres de fréquentation du festival mettent en évidence l’importance de l’événement : près de cent vingt mille entrées pour le in, sept cent mille entrées pour le off. La contribution à l’économie locale est substantielle, les spectateurs séjournant parfois sur l’ensemble du mois de juillet.
Ces deux poids lourds du tourisme culturel semblent se développer parallèlement, en s’appuyant sur des clientèles différentes s’intéressant, l’une au Palais, l’autre au théâtre. Leurs notoriétés se renforcent mutuellement, mais contribuent peu au développement du reste de l’offre touristique de la ville.
Le centre historique et son patrimoine, un enjeu majeur pour l’avenir d’Avignon
Cette concentration économique ralentit probablement la prise en compte des difficultés de fonctionnement du centre ancien, et masque le retard pris dans sa mise en valeur.
La circulation et le stationnement des véhicules restent insuffisamment maîtrisés, au détriment de la qualité de vie des habitants et de la présentation des monuments. Logements et façades à réhabiliter, devantures commerciales et espaces publics à renouveler, monuments à restaurer : la tâche est lourde. De ce fait, l’image générale du centre historique apparaît encore dégradée, malgré les rénovations récentes des places des Carmes et des Corps-Saints.
La poursuite de sa revalorisation globale représente un enjeu essentiel pour l’expansion de l’économie touristique et l’avenir d’Avignon : dans cet objectif, le secteur sauvegardé récemment approuvé apparaît comme un atout majeur.
Renaud Ducastelle
Architecte des bâtiments de France, Chef du SDAP de Vaucluse