(L’île de Ré) Une terre fragile et convoitée

S’étirant sur un axe nord-ouest, l’île représente une bande de terre de huit mille cinq cents hectares, opposant une façade linéaire et sablonneuse sur l’océan Atlantique et une côte morcelée sur le Pertuis breton.

L’île apparaît en premier lieu un site naturel caractérisé, au nord, par des paysages de salines et de dunes et, au sud, par des paysages de terre ondulée au parcellaire découpé et planté de vignes. Aujourd’hui y vivent d’une façon permanente dix-sept mille insulaires. Depuis l’ouverture du pont, en 1988, le succès de l’île de Ré comme destination de vacances est allé croissant. Durant la saison, la population atteint cent quarante et un mille cinq cents personnes. Corollaire de cette vitalité estivale, L’augmentation des flux automobiles : trois millions de véhicules ont emprunté le pont en 2007 contre huit cent mille passages par bac en 1987. Comment, sur ces vingt dernières années, cette mutation fortement scandée par un rythme binaire, s’est-elle accompagnée d’une inéluctable évolution ?

L’ouverture du pont, pression foncière et résidences secondaires

Avec la création du pont, les craintes sont fortes de voir se développer un urbanisme dévastateur et une accélération de la dégradation du site. Douze mille résidences secondaires sont dénombrées et réparties sur les dix communes. Ces résidences sont, soit des maisons traditionnelles rénovées dans les villages, soit des maisons neuves construites en limite des bourgs anciens. Le schéma directeur de 1999 définissait l’objectif de la délivrance de deux cents permis de construire par an pour maîtriser l’urbanisation. Sous la pression, ce nombre a été outrepassé et la moyenne a été de deux cent soixante et onze permis de construire accordés par an sur la période 2000-2007. Il ne resterait plus aujourd’hui que cent dix-sept hectares constructibles. La valeur de l’immobilier atteint des sommets, ce qui a pour conséquence de chasser la population permanente dont les revenus ne sont pas suffisants pour se loger sur l’île.

Protéger l’île

Les négociations ont abouti à la mise en place de premières protections au titre des sites : inscription de l’ensemble du territoire en 1979, classement des marais salants en 1987, classement de l’estran en 1990. Un dernier train de protections en 2000 a permis le classement de l’ensemble des espaces naturels de l’île. Parallèlement à ces mesures, une politique d’acquisition par le Conservatoire du littoral et le Conseil général a été mise en place. Cette attention a pu contrer certaines zones de constructions nouvelles en périphérie des villages. Trois ZPPAUP sont opposables, Saint-Martin, La Flotte et Sainte-Marie. Les protections réglementaires sont certes indispensables, mais insuffisantes si l’accompagnement politique et économique n’est pas concommitant.

Une économie totalement dépendante du tourisme

Toute l’économie de l’île est orientée vers le tourisme : l’hébergement, la restauration, le nautisme, le commerce et, bien sûr, le bâtiment ! Le développement touristique, par le dynamisme économique qu’il suscite, a permis de maintenir des activités traditionnelles. Les produits étant écoulés grâce à la clientèle captive que représentent les touristes et à l’image favorable dont jouit Ré. Le Conservatoire du littoral a acquis trois cents hectares d’espace salicol afin de les remettre en état et d’en confier la gestion contre une location symbolique à des sauniers assurant l’exploitation et l’entretien des marais simultanément. Cinq à six mille tonnes de sel sont produites par an. Il en va de même de la production du vin blanc et rosé rétais qui satisfait une demande locale importante, demande grâce à laquelle est maintenue l’activité viticole traditionnelle sur six cents hectares. Ainsi, la viticulture et la saliculture peuvent être les garants de la conservation des paysages. L’ostréiculture, autrefois si florissante dans la région, connaît de graves difficultés. Le tourisme là aussi vient en aide -des dégustations et de la vente directe sont organisées par les professionnels. L’activité de plaisance a connu un bel essor ces dernières décennies, obligeant un bon entretien des trois ports anciens de La Flotte, de Saint-Martin et d’Ars. Récemment, un nouveau bassin a été créé à Ars, augmentant l’offre totale à mille anneaux. Mais plus de mille autres embarcations sont mouillées avec ou sans autorisation à des corps-morts. Cette pratique provoque une dégradation importante de la faune et de la flore marines, et nécessiterait une plus grande vigilance.

Mobiliser des fonds pour l’entretien de l’île

Conserver un paysage, c’est aussi lutter contre les éléments. Le marais du Fier d’Ars, apprécié pour les spectacles mouvants qu’il offre au gré des marées, est enclin à un envasement à cause de la formation régulière d’un banc de sable réduisant l’effet de chasse. En 2004, une opération lourde a permis le transfert par pompage de deux cent vingt mille mètres cubes de sable du Fier à la côte ouest. Le double intérêt de cette entreprise a été de libérer le Fier de son enclavement et d’alimenter les plages en sable. Le tou-risme peut parfois être un moteur positif pour mobiliser des fonds publics conjoints et déclencher des actions. Le bâti ancien, quel que soit son état, trouve toujours preneur et fait l’objet de rénovations; ce qui, globalement, autorise à dire que le patrimoine bâti des villages est correctement maintenu. Mais les reconversions ont leurs propres limites… Et le résultat ne se situe pas toujours à la hauteur, même avec le site inscrit et trois ZPPAUP -une quatrième au Bois-Plage en cours.

L’actualité

La protection au Patrimoine mondial de l’humanité, en juillet 2008, de Saint-Martin de Ré comme élément du corpus restreint et exemplaire des œuvres fortifiées de Vauban a entraîné un vaste programme de consolidation de l’enceinte. Un débat public c’est engagé autour de la gratuité du pont. L’ouvrage d’art a été financé par le Conseil général de Charente-Maritime sur emprunt. Chaque usager en payant le passage 16,50 € (en haute saison), a contribué au remboursement. Au 31 décembre 2011, le crédit sera soldé et le prix du péage devrait baisser à 3,05 €, cote correspondant à une écotaxe en faveur de la protection des espaces naturels de l’île. Mais si le passage n’est pas cher, comment éviter l’engorgement sur le pont et le réseau viaire rétais ? Si une réévaluation de l’écotaxe à 15 € reste la meilleure façon de limiter la circulation, ce moyen, qui représente une sélection par l’argent, est difficilement défendable et nécessite de voter une loi.

Les avis se rejoignent pour dire que la suppression du péage aurait des conséquences graves sur un environnement insulaire aussi fragile. Une augmentation de l’écotaxe constituerait un frein à la saturation de l’île. Cette mesure doit être accompagnée d’une amélioration de l’offre de transports collectifs et de la mise en place de solutions alternatives et innovantes pour réduire efficacement les déplacements et leurs nuisances. La perception de l’écotaxe et le budget de trois millions et demi d’euros qu’elle représenterait pourraient être affectés à une politique communautaire d’acquisition et de gestion des espaces naturels. Cette “socialisation du sol” s’est signalée par l’acquisition de quatre-vingt hectares. Cette politique originale a besoin, d’une part, d’être mieux partagée par les élus et, d’autre part, d’une dynamique financière considérable pour devenir crédible. Cependant, pour influer en profondeur sur l’évolution de l’île et préserver son équilibre structurel menacé par sa sur-occupation, l’enjeu capital reste la maîtrise de l’urbanisation face à une pression foncière continue. Il faudrait à présent réduire les zones constructibles sur chaque commune, débattre de cette nécessité dans le cadre du comité de suivi du SCOT afin de prendre des décisions strictes en 2010 dans le cadre d’une éventuelle révision de ce document d’urbanisme. Il faudrait également mener de multiples actions pour une mutation vers un tourisme moins saisonnier, et éviter d’enfreindre la limite de la capacité d’accueil arrêtée à cent trente-cinq mille personnes sur ce territoire d’une géomorphologie inextensible et instable.

L’avenir de ce petit territoire reste délicat. Il devient indispensable de trouver des solutions originales. Jusqu’à présent, seule la manne touristique a permis de relayer une situation économique de déclin touchée par le syndrome de l’insularité. Et aujourd’hui, il ne semble pas y avoir d’autre solution. Un contrôle plus étroit des excès du tourisme peut assurer un développement raisonné et raisonnable.

Stéphanie Celle
ABF, SDAP de Paris

Dans le même dossier