Intervention de Madame Catherine Bersani

Intervention de Madame Catherine Bersani
Directrice de l’architecture et de l’urbanisme, ministère de l’Équipement

Après vous avoir entendus, j’ai envie de marquer par trois remarques et une mini- conclusion provisoire ce que vous avez dit. La première sera très brève puisqu’elle concerne le rôle de l’Etat, je souscris à ce qui a été dit par Roland PEYLET sur le fait que représenter l’Etat, c’est d’abord porter des valeurs nationales dont on n’a pas à avoir honte. Le pou- voir éminent de l’Etat, c’est à dire le pouvoir d’intervenir quand les choses ne vont pas n’est pas un “pouvoir résidu”. Ces valeurs nationales qui se traduisent dans l’aménagement, constituent d’une part une permanence dont il y a lieu d’être fier et d’autre part, des avatars dont il n’y a pas lieu d’avoir honte.

Je voudrais dire qu’en matière d’aménagement, il y a des circonstances qui changent et des métiers qui évoluent, des urgences qui se traduisent, à un moment donné par un certain type de priorités . Quand les urgences sont satisfaites, on a oublié qu’il y avait des priorités ; on voit le résultat et plus précisément tout ce que l’on a oublié. Je crois que nous vivons dans un système où l’on oublie que l’erreur fait naître le progrès et que l’on a un petit peu tendance à gérer une démocratie de l’instantané, c’est-à-dire une écoute du citoyen et de sa plainte immédiate; il est normal que le citoyen se plaigne et il est normal de l’entendre. Mais, par ailleurs, nous sommes aussi dans une république du long terme et cette République se vit en étant portée par une institution dans laquelle nous nous reconnaissons tous, du citoyen ordinaire aux professionnels de l’Etat.

À la suite directe de cette premiere remarque la deuxième porte sur les savoir-faire professionnels. On dirait que tout se passe aujourd’hui comme s’il y avait eu une période où l’on savait très bien faire de la qualité en matière d’architecture ou d’aménagement et puis, comme si, à un moment donné, face à des problèmes insolubles, on s’était trouvé incompétent. Je crois que ce n’est pas vrai, je crois que les choses changent, que les problèmes sont très complexes et que, malheureusement, on ne peut pas décréter les solutions nouvelles. Il faut avoir une certaine lucidité -pour ne pas dire modestie, ni humilité- une certaine lucidité sur le fait que, quand on est devant un problème nouveau , nous devons être en mesure d’inventer.

Inventer, ce n’est pas quelque chose qui vient de l’espace intersidéral, c’est déplacer d’un millimètre les savoir-faire qu’on avait avant. Comme en balistique, le millimètre suffit à changer la portée. Un léger déplacement produit de l’invention et en matière de savoir-faire professionnel permet d’atteindre l’objectif. Donc, je crois qu’il faut accepter le mouvement des idées avec, en même temps que cette acceptation, le souci de se perfectionner. J’en prendrai un exemple. On a évoqué le terme de paysage, on a évoqué un certain nombre de savoir-faire spécifiques. Je crois que, quand les problèmes changent, on est obligé d’élargir son regard mais aussi sa compétence: à nouveau niveau d’intervention, nouveau niveau de compétence.

Je dirais que, singulièrement, la naissance du corps des Architectes et Urbanistes de l’Etat témoigne de ce principe et que votre réunion permet de penser qu’il y a lieu de s’en féliciter. Je crois que c’est quelque chose qui va au-delà des statuts, des réunions, il faut s’insérer profondément dans la manière d’agir individuellement, quelle que soit l’origine d’arrivée dans le corps.

Le troisième point que je traiterai très rapidement concerne la compétence et l’organisation territoriale. La bonne échelle me semble être celle qui correspond au traitement du problème. La première compétence est de savoir réaffirmer les valeurs de l’Etat et de les traduire. C’est quelque chose peut-être qui n’a pas été fait à tous les échelons où celà aurait dû l’être. La politique nationale n’est efficace que si, à toutes les échelles, chacun exerce sa compétence. Il s’agit d’avoir des discours articulés qui sont appropriés au niveau où ils sont exprimés.

La deuxième compétence est une compétence d’étude et de ressources. On ne sait pas tout. Personne n’a la science infuse. Par contre, il faut avoir des endroits où l’on travaille sur le fond, où l’on capitalise. Il faut que cette fonction-là soit tellement bien identifiée qu’on sache sans hésiter la localiser pour y faire recours.

La troisième fonction, c’est la fonction du soldat de première ligne, du praticien de terrain. Quand je dis praticien de terrain, je ne fais référence à aucune circonscription. Ce que je voudrais dire aussi, c’est que ces trois fonctions existent à tous les niveaux. Bien sûr, au niveau national, on affiche plus la règle générale qu’au niveau local. Par contre, il faut que le niveau local ait des marges d’appréciation et de fixation sur la règle générale. Au niveau local, en général, la masse critique des moyens permet de faire des études, mais par contre, on doit avoir une capacité de questionnement, c’est-à-dire une capacité d’interroger sans hésiter les les lieux de ressources et de commande. Cette présence des trois compétences à toutes les échelles repose bien évidemment sur, d’une part une grande mobilité des hommes qui doivent partager ces trois fonctions et d’autre part, une ouverture en dehors de l’État aux professionnels privés, à la recherche pure, à toutes sortes de choses. Je crois que ces trois fonctions doivent jouer en triangle; c’est un courant électrique continu qui leur permet de marcher.

Inventer avec la force du contexte

Cela veut dire qu’il faudrait changer pour reprendre un mot célèbre dans le ministère de l’Equipement :’Echanger au risque de changer”. Etre modeste, cela veut dire respecter l’autre. Cela ne veut pas dire se renier, ni s’oublier, mais savoir écouter.

Je voudrais en conclusion faire très rapidement quelques remarques sur l’urbanisme ; je voudrais dire que l’urbanisme ce n’est pas séparer le droit, ni l’architecture, ni l’observation. Cela signifie tout relier pour produire une ingénierie de l’aménagement . Vous me permettrez quelques jeux de mots parce que l’ingénierie de l’aménagement peut évoquer une série de définitions. Ceux qui n’aiment pas les villes nouvelles voient immédiatement le brutalisme de telle ou telle implantation, ou des immeubles.qu’il faudrait réhabiliter. Il faut avoir conscience qu’on les a batis face à une urgence de loger les gens. Il y avait des bidonvilles à Nanterre, maintenant il y a des grands ensembles qui font l’objet de procédures de DSQ. Je n’aime pas beaucoup ces constructions, comme tout le monde, d’autant que je m’en suis occupée, mais je considère que c’est quand même mieux que des bidonvilles et des villes en carton. Alors, qu’aujourd’hui nous soyons confrontés au défi de faire mieux que ceux qui nous ont précédés, c’est une réalité, mais celle-ci est un progrès.Je crois que cela ne sert strictement à rien de le condamner. De plus, c’est méconnaître le contexte dans lequel les actions ont été menées.

Donc, l’ingénierie de l’aménagement, si vous me permettez, c’est aussi un aménagement ingénieux , c’est-à-dire qui fasse sa place à la qualité ou à la culture„ qui vaille mieux que l’astuce, que l’habileté, qui respecte effectivement la culture d’un lieu et ce qui fait sa caractéristique propre. Et ça peut être aussi le génie tout court Le génie tout court c’est la création . L’’ingénieur de l’aménagement va de l’un à l’autre. L’urbanisme n’est pas fait de règles vides et abstraites; c’est l’ingénieur de l’aménagement qui va de l’ingéniosité jusqu’au génie.

Les savoir-faire et la nécessité d’essaimer

J’aimerais également évoquer la question du paysage, et à travers elle des questions de méthode. Nous avons recruté des paysagistes-conseils dans les DDE puisque, comme vous le savez, ce domaine, sur lequel vous travaillez également, est devenu, à la fois un but et une discipline de nos services. Mais pour qu’il le devienne à part entière, il faut que les gens soient compétents. Comment travaillent des paysagistes-conseils ? Ils travaillent en formation. S’il y a 15 personnes dans les services qui s’occupent de l’urbanisme pour fabriquer des POS et autres documents- types, on n’aura jamais, parce que la France est ce qu’elle est, des gens extraordinairement formés, extraordinairement diplômés dans tous les services; par contre, nous avons besoin que les gens aient des savoir-faire et qu’on les leur apprenne. Je prends juste ce petit exemple des paysagistes-conseils; leur travail est précisément de développer auprès de ceux qui, par exemple instruisent le permis
de construire ou conçoivent les projets une capacité à se poser les question. Il est essentiel de connaître les limites, de voir les problèmes qu’ils sont à même de résoudre et ceux qui nécessitent un traitement différent, une compétence extérieure.

Ma culture me porte à présenter une image : un grain de blé peut donner combien d’épis si on le sème de façon intelligente ? Est-ce qu’il faudrait vraiment qu’il n’y ait que les architectes qui sachent parler d’architecture ou que les urbanistes qui sachent parler d’urbanisme ? Est-ce que c’est ça que nous voulons ou est-ce que nous voulons que le citoyen ordinaire ou tout agent du ministère sache lire et comprendre les choses de qualité . C’est pour celà que vous êtes là.

La DAU : un morceau de réseau

Enfin, en quise de conclusion, je crois important de rappeler que nous ne pouvons travailler les uns sans les autres. La DAU n’est qu’un morceau de réseau, c’est une grande ambition ; c’est-à-dire qu’elle doit capitaliser ce qui vient d’ailleurs et elle doit être capable de le rediffuser. Par exemple, me semble que même dans les services de l’Etat et les services autres que ceux du ministère de l’Equipement, nous mettons à disposition des architectes, ce qui n’est pas négligeable compte tenu de la rareté des ressources. Nous travaillons en terme de constructions publiques et nous avons très envie que la qualité soit exemplaire, qu’il s’agisse de l’Etat ou des collectivités publiques. Ce qui est clair, et je voudrais aussi le
rappeler, c’est que nous ne sommes pas non plus tout seuls et qu’au-delà des réseaux publics, nous avons besoin de travailler avec les professionnels du secteur privé et que, si j’en appelle à chacun pour avoir le souci de se perfectionner et de progresser, c’est un progrès que nous devons et que nous ne pourrons faire qu’ensemble.

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