Lens-Liévin, chronique d’une reconquête

L’arrivée du Louvre et l’inscription du bassin minier au Patrimoine mondial de l’Unesco ne sauraient faire oublier le travail accompli depuis une dizaine d’années pour reconquérir la diversité patrimoniale d’un territoire moins récent qu’il n’y paraît.

Appuyant les nouvelles ambitions culturelles régionales, la dynamique engagée pour l’obtention du label Pays d’Art et d’Histoire a permis aux trente-six communes qui composent la communauté d’agglomération de Lens-Liévin de faire évoluer les mentalités. Fort des énergies déployées pour la reconversion du patrimoine minier, le bassin lensois, à travers ce label, recouvre une mémoire enfouie sous les terrils et les décombres de la Première Guerre mondiale.

Une vie avant et après les mines

Pourtant, les terres lensoises n’ont pas attendu la découverte du charbon pour entrer dans l’histoire. Rattaché au comté de Flandre, puis aux Pays-Bas espagnols au XVIe siècle, le territoire fut le théâtre d’opérations majeures de l’histoire européenne ; la bataille de Lens, en 1648, débouchera sur la signature des traités de Westphalie qui poseront les jalons géographiques et politiques de l’Europe moderne. Maigré les destructions de la Grande Guerre, le territoire conserve quelques empreintes des différentes strates de son évolution. Certains des nombreux édifices religieux construits entre le XVe et le XVIIe siècle, notamment, en gardent la trace.

De même, si la date de fondation des agglomérations lensoises et liévinoises reste incertaine, de nombreux vestiges archéologiques, mis au jour tout au long du XXe siècle, témoignent de leur importance aux époques gallo-romaines et mérovingiennes. Cette réappropriation collective autour de découvertes récentes (nécropoles gallo-romaines de Bully-les-Mines, établissement agricole du IIe siècle av J-C. à Avion, etc.) a suscité la mise en place, à différentes échelles, de nouveaux programmes de recherche et de fouilles archéologiques, soutenus par une politique de médiation accrue en direction des jeunes publics.

L’épopée de l’industrie minière, quant à elle, s’inscrit dans la perspective de sa reconversion. La création du circuit « De la mine au Louvre-Lens » illustre ce parti pris : des grands aménagements et équipements urbains financés par les Compagnies minières au chantier du Louvre en passant par des terrils aujourd’hui aménagés pour les activités sportives ou de loisirs.

La reconstruction du regard

Ainsi, plus qu’un témoin, le label se veut l’outil d’une transformation en profondeur : révéler aux yeux de la population locale ses patrimoines qu’elle ne percevait plus et son histoire qu’elle ne racontait plus. Avec près de deux cent cinquante mille habitants, la Communaupôle de Lens-Liévin est la deuxième agglomération du Nord-Pas-de-Calais. Sa population est aussi la plus jeune de France. Surmonter cette image d’une « terre de labeur et de sacrifices » constituait un pari et un enjeu de taille. Avant les habitants et les touristes, la démarche a permis de faire évoluer le regard des acteurs publics sur leur propre territoire. Jusqu’à peu, seul le tourisme de mémoire, motivé par les taux de fréquentation record des nécropoles de Vimy et de Notre-Dame-de-Lorette, à Ablain-Saint-Nazaire, y trouvait sa place. Bénéficiant de ce potentiel, le label a su trouver les outils nécessaires au renouvellement de l’offre culturelle et faire découvrir aux visiteurs des ressources insoupçonnées : de l’architecture Art déco de Lens et de Liévin, des influences culturelles liées à l’immigration de travailleurs venus de Belgique, de Pologne ou d’Afrique du Nord, jusqu’au cœur rural des villages reconstruits.

Se situant au-delà de la stratégie régionale, le projet du Pays d’Art et d’Histoire de Lens-Liévin illustre la capacité d’anticipation requise par le label. « Passer du noir au vert », telle était l’expression en vigueur, il y a une quinzaine d’années, lorsqu’il s’agissait de gommer l’image industrielle du bassin minier. Aujourd’hui reconnu en tant que « paysage culturel évolutif », le bassin s’est réapproprié une identité rénovée, riche de ses nuances et de sa pluralité.

Bruno DONZET, Claire HANRION
Prospective & Patrimoine

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