Le patrimoine traditionnel, vecteur de développement

Évoquer le patrimoine traditionnel de la région par le nom de ses provinces (de l’Artois au Boulonnais, des Flandres à la Thiérache en passant par le Hainaut) serait plus significatif que sa dénomination administrative.

Entre la vallée de l’Autre et les Flandres, ou la Côte d’Opale et la Thiérache, le sol décline de multiples paysages et offre successivement les matériaux que l’homme a su utiliser pour construire, en conjuguant leurs fragilités et leurs résistances avec le climat doux et humide pour abriter une population dont la densité est l’une des plus fortes d’Europe.

Un habitat lié au terrain

Le relief, qui marque le territoire d’une grande courbe allant du littoral de la Manche à la Thiérache au sud-est, offre en alternance un relief calcaire de bocage avec des vallées où domine l’élevage, des plaines de grandes cultures, des collines boisées où se retrouve également l’élevage. De la craie tendre (avec une exception jurassique dans le Boulonnais) et de l’argile aux grès et schistes de la Thiérache, les constructions adaptent sur un sol ferme leurs formes et leur masse aux matériaux disponibles et au climat, plus rude vers l’est. Dans les plaines du plat pays au nord et le long de leurs cours d’eau, canaux et watergangs, interrompues par les faibles reliefs des monts de Flandres, vers Cassel et le mont des Cats, le sol argileux, meuble et souvent humide n’autorise que des constructions plus légères, moins hautes et plus étroites. De ce fait, l’usage du torchis est très répandu, surtout sur l’ouest et le littoral, repris encore de nos jours dans quelques constructions contemporaines. L’histoire a vigoureusement marqué cette région frontalière, objet de convoitises, de conquêtes et de reconquêtes ; nouvelles influences et nouvelles techniques se sont succédées pour son patrimoine bâti, qu’il fallait à chaque fois reconstruire, reconstituer, fortifier. Cet aspect militaire est souvent occulté par son passé industriel, dont on retient surtout l’exploitation minière au détriment de son activité textile, beaucoup plus ancienne, qui a notamment fait la richesse de sa métropole. Mais les aspects traditionnels de la typologie des villages et des constructions rurales, conditionnés par la géologie et le climat, perdurent et se sont adaptés au gré des conflits, des vagues de reconstructions massives et de la révolution industrielle, qui a répandu l’usage de la brique dans toute la région, comme, du reste, dans les régions voisines.

Regroupement et morphologie

Dans cette adaptation constante aux éléments et au cours de l’histoire se révèlent les germes nécessaires à cette évolution continue, conservés d’une génération à l’autre ou modifiés en fonction des nouveaux apports. Ces éléments donnent parfois des clés aux questions posées
aujourd’hui en matière de développement durable : dans la structure des agglomérations, se développant généralement autour d’un noyau regroupant les services, dans les constructions, la nature des matériaux et leur mise en œuvre se trouvent des dispositions parfois très subtiles qui devraient servir d’exemples, car elles ont sans cesse répondu aux nécessités économiques ou sociales et à l’évolution des techniques. Il reste cependant complexe de définir ici les différents archétypes et leurs systèmes de regroupement, dans la mesure où l’on trouve une large déclinaison de l’architecture domestique et utilitaire, comme des structures villageoises, apportant leurs caractéristiques particulières à chaque terroir. C’est sans doute la raison de la présence des trois parcs naturels régionaux de la région (PNR).

Dans les PNR de l’Avesnois, de Scarpe-Escaut et celui des Caps et marais d’Opale, deux séries d’appels à projets ont porté sur le patrimoine rural traditionnel et son aménagement durable, à l’initiative de l’association Espaces naturels régionaux (ENR). La première, Vers un urbanisme de qualité, concernait six communes réparties dans les trois parcs pour la requalification de leur centre : la notion de “germe” ou de “grain rurbain” revenait à plusieurs reprises, confirmant dans leur rôle porteur d’avenir les structures traditionnelles de ces agglomérations. La seconde, RENOUER, lancée en 2012, reprend la démarche selon trois échelles d’intervention : le territoire, l’ensemble urbain et l’élément architectural.

Dans le même sens, l’École nationale supérieure d’architecture et de paysage de Lille a complété son programme de recherches appliquées autour des domaines du territoire, de l’histoire et de la conception, par celui de la “matérialité”. Dans ce secteur, un travail a été mené sur la technique particulière des charpentes en peuplier, traditionnelles dans la région en raison du manque de forêts. Cherchant à développer l’usage, notamment en éléments structurels, de bois de provenances locales, ce travail entraîne les initiateurs du projet à interroger toute une filière de production de matériaux de qualité (sylviculteurs, scieurs, charpentiers..) mais il nécessite aussi d’engager d’importantes opérations de recherche et de développement pour accroître les données technologiques qui permettent, par la normalisation qualitative de nouveaux produits, d’en assumer la viabilité économique. Ces recherches ne se limitent donc pas au seul aspect des constructions : elles portent aussi sur l’évolution des paysages du territoire producteur, le maintien des savoir-faire traditionnels et le soutien aux emplois locaux. Elles contribuent ainsi naturellement au développement du territoire.

Jean-Marie CLAUSTRE
Conseiller pour l’architecture, le développement durable et le cadre de vie DRAC du Nord-Pas-de-Calais

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