La suppression des frontières le premier janvier 1993, a non seulement rapproché des populations voisines mais a fait évolué la nature des relations à l’échelle plus territoriale. Les relations ont évolué de la coopération entre les états à un rapprochement des collectivités territoriales.
Les frontières, anciennement lieux de séparation et de coupure, ont laissé des territoires en mutation qui évolueront vers des lieux d’échanges et de contacts, des sites qui rapprochent et réunissent. Alors qu’en urbanisme on parle pour la ville de remaillage de trames urbaines, sur ce territoire transfrontalier on peut évoquer le travail de couture entre des territoires mitoyens jusqu’à présent séparés.
La Communauté urbaine de Lille Métropole partage environ quatre-vingt kilomètres de frontière avec la Belgique flamande et wallonne et coopère avec les intercommunales belges limitrophes, IDETA (agglomération de Tournai-Ath), IEG (Mouscron-Comines), LEIEDAL (Courtrai) et WIER (Ypres-Menin).
L’ensemble de ces structures intercommunales se sont regroupées depuis 1991 dans la Conférence permanente intercommunale transfrontalière (COPIT), représentant cent soixante-six communes et un million huit cents habitants.
Parmi les projets que porte cette structure, il en est un éminemment européen et trans- frontalier, puisqu’il s’agit de la reconversion de l’ancien poste frontière de REKKEM en un lieu d’animation touristique et culturel. Un autre projet illustre une autre forme de coopération transfrontalière, il s’agit d’un projet sur le franchissement de la rivière, La Lys, séparant deux communes, l’une en France et l’autre en Belgique et portant néanmoins, le même nom : Comines.
Comines, du franchissement à l’aménagement urbain.
Les deux communes (française et belge) ont créé une association de droit français “Comines Europe” qui peut recevoir des participations financières et engager des études et des actions de promotion. Comines Europe a suivi une étude commandée à l’occasion de la mise à grand gabarit de la rivière “la Lys”, afin de faire naviguer les péniches chargées de containers circulant entre la Belgique flamande et la France. Ce changement de gabarit nécessite la modification et la rehausse des ponts actuels, dont le pont de Comines.
Jusqu’à présent, le pont sur la rivière séparant les deux pays représentait, malgré l’ouverture des frontières, un passage très limité, un lien très faible entre les deux villes cherchant à mieux communiquer.
La ville de Comines Belgique, terre wallonne enclavée dans la région belge flamande, cherche à valoriser à travers un aménagement urbain les contraintes de l’augmentation du gabarit dont les retombées économiques reviendront essentiellement à la France et à la Belgique flamande. C’est pourquoi la dimension urbaine et symbolique est apparue comme une nécessité au programme de cette étude, dont le traitement ne pouvait se limiter à l’aspect fonctionnel.
L’analyse historique de l’évolution des deux communes a montré que celles-ci se sont construites en dualité depuis que la rivière est devenue frontière au XVIIIe siècle. Les destructions, puis la reconstruction de la Première Guerre mondiale, ont renforcé cette
division. Aujourd’hui, l’étude commandée au cabinet d’architecture Antoine Leygonie, relative à la modification du franchissement et son incidence sur l’organisation urbaine, a mis en valeur la centralité urbaine des espaces autour de la rivière.
En effet, le projet se décline comme un carré urbain comportant deux ponts jumeaux permettant d’intégrer un espace significatif en surface pour traiter un noyau central avec de la diversité d’espaces et d’’usages nécessaire à la composition d’un centre urbain. Alors que les abords de la rivière ne présentent que des traitements résiduels, l’aménagement des deux ponts permettra de créer deux rives urbaines en front de rivière.
La volonté de réaliser un deuxième pont permettra en outre d’aménager un quartier urbain dans les espaces actuellement délaissés. Par leur traitement haubané, ces deux ponts jumeaux portent le symbole de la reconquête d’un nouveau centre.
Au niveau de l’aménagement du territoire, cette requalification affirmera et renforcera les fonctions de Comines Europe comme ville de quarante mille habitants et l’un des points d’appui de la métropole transfrontalière.
Rekkem, de la barrière à l’équipement culturel
L’ancien poste-frontière de Rekkem entre la Belgique et la France, situé en Belgique sur l’une des autoroutes les plus fréquentées d’Europe (A22 et E17), est aujourd’hui peu utilisé depuis l’abandon des frontières en 1993.
Cette aire bitumée de dix hectares est un vaste parking à camions et comporte de petits bâtiments vétustes.
La Conférence permanente intercommunale transfrontalière a organisé, dès 1994, un Comité de pilotage. Une approche de faisabilité a défini un premier concept : “un lien qui sépare devient un lien qui réunit”. Ensuite, un groupe de projet a été constitué et a permis de faire émerger l’idée d’un Pavillon des langues d’Europe. Le principe a lui-même été conforté par une étude de faisabilité en 1998, démontrant la possibilité d’animer un tel lieu à partir d’un concept aussi abstrait.
Parallèlement, des groupes de travail se sont réunis pour travailler dans le cadre juridique, le contenu et les finances qui seront partagés entre la France, la Belgique et l’Europe.
Le groupe de travail Contenu a déterminé le concept et les thèmes définitifs du projet, à partir de la spécificité du site. Les principales fonctions retenues sont les suivantes :
- une fenêtre sur la métropole transfrontalière : une information pour les voyageurs et pour la population locale
- le Pavillon des langues d’Europe : une offre culturelle et récréative de haut niveau
- le forum de la métropole transfrontalière : un centre pour la coopération transfrontalière
et aussi - un centre d’accueil et de services bien équipé pour les voyageurs
- un point de contact binational pour les services douaniers et policiers
Le site se trouvant au coeur de la métropole transfrontalière et européenne qui se construit autour de Lille-Roubaix-Tourcoing, Kortrijk, Mouscron et Tournai dans l’Eurorégion, le projet exprime ces nouveaux contextes métropolitains, eurorégional et européen.
Les populations locales, tout comme les voyageurs des pays lointains de passage, pourront recevoir les informations souhaitées sur la région.
À Rekkem, l’un des principaux flux nord-sud d’Europe (l’autoroute A22-E17) traverse la limite et la zone de transition entre langues et cultures latines et germaniques.
Dans ce lieu animé, le Pavillon des langues d’Europe constituera un pôle d’attraction permanent. De façon ludique et instructive, lors de visites brèves ou plus longues, individuelles ou en groupes, les visiteurs du pavillon se familiariseront avec les langues et avec les phénomènes linguistiques.
Ils apprécieront le rôle des langues, leurs origines et leurs évolutions dans le temps et dans l’espace : ils s’intéresseront aux langues comme moyen de communication et à leur beauté comme moyen d’expression culturelle.
Des jeux traditionnels et des événements interactifs multimédias les aideront à découvrir tant un patrimoine ancien que les techniques les plus modernes.
Le Pavillon des langues d’Europe veut susciter auprès du visiteur un intérêt durable pour les langues et l’inciter à une découverte plus approfondie des langues et dialectes.
Enfin, le forum de la métropole transfrontalière sera le siège des institutions transfrontalières. Des salles de réunion comportant des facilités de traduction simultanée seront à disposition des acteurs du transfrontalier. Les projets transfrontaliers seront exposés et accessibles, ainsi qu’un centre de documentation.
En 1999, doivent se terminer les études préliminaires à l’engagement définitif des partenaires dans cette réalisation. Une mise en compétition de concepteurs interviendra ensuite pour arriver à une construction et ouverture au public en 2004.
Alors que la culture est, par excellence, un élément identitaire, la volonté des partenaires belges et français de créer un équipement à vocation culturelle rend ce projet exemplaire au niveau transfrontalier.
Jean-luc CORNET
architecte-urbaniste LMCU ( Lille Métropole Communauté Urbaine)