Patrimoine du XXe siècle, un bilan et des propositions

Il faut se réengager aujourd’hui dans la voie de la réflexion sur la meilleure façon de reconnaître et de mettre en valeur le patrimoine architectural.

L’affirmation paraîtra peut-être saugrenue : les fonctionnaires font leur travail ; les amateurs sont toujours là ; les articles ou émissions dans les médias, spécialisés ou non, paraissent régulièrement ; on protège encore des monuments ; on dispose d’argent public
et d’argent privé pour les réparer.

Le fourre-tout patrimonial

Depuis une quinzaine d’années, j’observe, en tant qu’enseignant, mais aussi en tant qu’historien associé à l’élaboration de projets d’urbanisme ou de projets d’architecture, une incompréhension de plus en plus grande de principes réglementaires, dont on aimerait pourtant voir reconnaître le bien-fondé, au moins par les étudiants en architecture, mais aussi par un nombre déterminant de citoyens. La charge positive que le combat en faveur du patrimoine architectural a pu accumuler depuis la fin des années 1970 jusqu’aux années 1990, est, ne nous le cachons pas, en phase de déclin. À cela plusieurs raisons. Prenons-en deux sans les développer, car il faut bien ici tenter d’aller plus loin sans se perdre dans l’explication. D’abord, à force de vouloir trop étreindre, les responsables (tous ceux qui en sont responsables) ont laissé faire du patrimoine une accumulation matérielle et immatérielle de plus en plus insignifiante. Trop de bâtiments, sans doute, mais surtout trop de choses, voire trop d’événements, à des titres divers, sans lien les uns aux autres, sont aujourd’hui reconnus comme en faisant partie. Ensuite, d’une manière générale, la reconnaissance de la dimension créative a progressé plus rapidement et plus sûrement que la dimension patrimoniale dans notre société et nous n’allons pas le déplorer.

Le réengagement est donc nécessaire, pensons-nous et, pour être efficace, il pourrait bien passer par une relecture et un nouvel accompagnement d’une des mesures prises par la Direction de l’architecture et du patrimoine au ministère de la Culture et de la Communication en 1999 et 2000, lorsque fut créé le label Patrimoine du XXe siècle.

Une notion prospective

L’année passée, l’administration a choisi notre équipe de l’Institut parisien de recherches architecture, urbanistique et sociétés (IPRAUS) de l’école d’architecture de Paris- Belleville, intégrée dans l’unité mixte de recherche CNRS AUSser, pour enquêter dans les DRAC, dresser un bilan et faire des propositions1 . Nous ne savons pas ce qu’il en est aujourd’hui, n’ayant pas été associés à la réflexion menée en interne par la suite. Nous avons proposé treize points où nous avons senti le besoin de faire évoluer l’ambition et la procédure de ce label.

Personnellement, en tant qu’enseignant des écoles d’architecture, mais aussi en tant que membre de la section Protection de la commission nationale des Monuments historiques et membre de la CRPS Île-de-France, je crois opportun de faire de ce dispositif, avant toute autre chose, une mesure de reconnaissance en faveur d’une architecture de qualité, pensée et érigée tout au long du XXe siècle. Il est pour moi important de ne pas mélanger les genres ; il ne faudrait pas faire du label une autre mesure de protection. Nous savons les difficultés matérielles traversées par les DRAC et les STAP, notamment le manque de moyens humains ; nous pouvons mesurer les conséquences du départ dans les administrations régionales des services de l’Inventaire. Il faut saisir cette situation, différente certes de celles que nous avons connues précédemment, pour ouvrir la réflexion sur le patrimoine au monde extérieur. Je veux dire ne plus avoir comme objectif de gérer au plus pressé, de l’intérieur, les tensions engendrées par la protection au titre des Monuments historiques, et d’avoir pour but simplement de donner à voir, d’émouvoir, d’étonner ou bien de contraindre ou de délivrer des satisfecit.

Il est temps maintenant d’éduquer et de mettre les moyens dont on dispose depuis un siècle uniquement pour la gestion des monuments historiques dans l’instruction des principes et fondements de l’architecture qui fait patrimoine ; de former de plus en plus d’étudiants en architecture aux projets de réhabilitation et de mise en valeur, dans leurs dimensions urbaine, économique et touristique. D’expliquer aux artisans, aux maîtres d’ouvrage comme au public intéressé -comme on l’explique couramment aux étudiants en architecture- ce qu’est une “bonne” architecture au fil de notre histoire (ce qui ne fait pas forcément un “monument historique”) et ce que pourrait être une “bonne” architecture aujourd’hui, soit dans la continuité de l’architecture traditionnelle ou de l’architecture moderne, ou dont l’ambition serait de participer à la résolution de la crise écologique.

Une démarche prescriptive

Cette évolution nécessite, si l’on part de l’architecture du XXe siècle, de prendre en compte l’architecture de la deuxième moitié du XXe siècle, celle dont nos architectes d’aujourd’hui sont les héritiers en ligne directe, et ne plus avoir peur de considérer comme patrimoine les édifices érigés dans les années 1990. Cela nécessite aussi de rapprocher les écoles d’architecture des professionnels, experts, enseignants, artisans, mécènes du patrimoine, qui ont déjà parié sur la diffusion et la mise en valeur du passé récent.

L’intérêt du label Patrimoine du XXe siècle est la dimension projectuelle qu’il induit, ce qu’il déclenche. Mais son obtention est suivie dans de trop rares cas de conseils en matière de mise en valeur et de travaux. Il y a donc beaucoup à réaliser pour faire de l’administration du patrimoine à terme ce qu’elle devrait devenir : une structure en mouvement et une base de données que l’on pourra consulter en confiance, base de données nationale, régionale et européenne (une dimension européenne qui par ailleurs fut à l’origine du label et qui est ignorée par ceux qui, treize ans après, le mettent en œuvre).

Jean-Paul MIDANT
IPRAUS

  1. L’équipe était composée d’Angèle Denoyelle, Bruno Fayolie-Lussac, Vanessa Fernandez, Jean-Michel Léger et Jean-Paul Midant.
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