La saline de Chaux

« Un cercle immense s’ouvre, se développe à mes yeux. C’est un nouvel horizon qui brille de toutes les couleurs ; l’Astre puissant regarde audacieusement la Nature et fait baisser les yeux aux faibles humains ».

La saline de Chaux ne fut qu’une émanation de la saline royale de Salins. La ferme intéressée au bon rendement de la gabelle avait proposé les environs de la forêt de Chaux, proche de la rivière La Loue et domaine royal pour installer une nouvelle usine, récupérant les eaux faibles non utilisées de Salins par une canalisation et un bâtiment de graduation. Le 29 avril 1774, un arrêt autorisant la création d’une nouvelle saline fut signé par le Roi Louis XV.

Grâce au ministre de Caumartin, Ledoux avait été chargé des « réparations et changements à faire aux Salines de Chaux en Franche-Comté » et ses plans étaient prêts depuis 1773. Sous l’Ancien Régime, une saline était une véritable ville. Ledoux rêva d’édifier une cité de cinq mille habitants qui aurait pris le nom de “Ville de Chaux” avec, au centre, les salines. Après l’abandon d’un premier projet a plan carré, Ledoux imagina une forme circulaire dont une large allée plantée d’arbres devait tenir lieu d’enceinte avec au milieu le Pavillon royal. Le projet présumant la “cité idéale” que Ledoux définit vingt ans plus tard (cf. « de l’Architecture considérée sous le rapport de l’Art, des Mœurs et de la Législation ») se complétait outre par les logements des directeurs et employés de la gabelle ainsi que des locaux réservés aux hangars et ateliers, par des constructions dont la vocation était l’unité sociale : maison de |’Union consacrée aux valeurs morales, temple de la mémoire, maison de plaisir, etc…

C’est à partir d’une telle philosophie (cf. Rousseau) que Ledoux propose dans sa recherche d’une unité sociale désintégrée, une nouvelle manière d’occuper le temps et l’espace à partir d’un mode de production, mais sans remise en cause de l’ordre établi : « En effet le scieur de bois, le charbonnier n’ont-ils pas besoin des fourneaux ardents du Palais ? Le garde des forêts n’a-t-il pas besoin du Château, du fastueux retour de chasse ? ». La disproportion était grande entre de telles mises en œuvre et le but à atteindre. Ledoux passa pour quelque peu fou mais réussit à convaincre. Le Roi signait l’acte enregistré le 14 février 1775, autorisant le commencement immédiat des travaux.

Quant à l’architecture, les goûts de Ledoux pour les effets picturaux (« vous qui voulez devenir architecte commencez par devenir peintre »), le conduisent à abandonner les mesures prescrites par ses prédécesseurs au profit du sentiment des masses, à leur échelle et à leurs places : « on s’accordera généralement sur la beauté des ordres grecs, mais c’est à tort qu’on leur a donné les règles applicables à tous lieux, et à tous pays. La distance seule peut en fixer le diamètre et l’écartement ».

Classé monument historique dès 1926, malgré l’opposition destructrice de ses propriétaires d’alors, la saline royale fut sauvée par le Département qui, progressivement la releva de ses ruines. Les bâtiments sont depuis peu classés par l’Unesco au titre du patrimone mondial. C’est le onzième site ou monument francais, le cent cinquantième au monde, mais le seul au titre du patrimoine industriel.

Prédestinée depuis sa création a l’organisation du futur, à une réflexion sur l’avenir, le futur, la ville de Chaux accueille depuis 1971 « le Centre de réflexion sur le futur », Fondation Claude Nicolas Ledoux, dont le but, outre de faire vivre la saline par l’animation et la participation à des projets culturels, est de promouvoir un groupe de travail et de réflexion sur le thème de Culture et Économie et sur le futur de l’industrie européenne. « C’est un monde isolé du Monde, c’est un peuple laborieux qui développe et fait éclore tous les germes que la terre, dans son contrat avec les humains, a promis de féconder ».

Pierre CHATAURET

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