Depuis plusieurs années, le CMN a développé dans plusieurs grands monuments du réseau des « Plans de gestion » des parcs et jardins. Ces plans de gestion sont mis en œuvre pour répondre aux problématiques récurrentes d’entretien et de maintenance des grands jardins d’intérêt historique, pour collecter de façon très large les données de connaissance historiques, pour permettre de programmer de façon plus appropriée les opérations exceptionnelles de réparation ou restauration.
Les domaines concernés sont par exemple ceux du Parc de Saint Cloud, de Rambouillet ou de La Motte-Tilly qui développent sur plusieurs centaines d’hectares, des boisements forestiers, des plantations d’alignements, des perspectives monumentales structurées accompagnées de réseaux hydrauliques, de bassins, de fontaines et de canaux caractéristiques des grands jardins d’agrément à la Française. On y trouvera aussi des fragments de paysages plus intimistes que sont les broderies et les massifs fleuris, les potagers et les serres de production.
Les parcs, jardins et les domaines forestiers peuvent comme dans les exemples cités plus haut constituer un monument historique par eux même de par leur intérêt exceptionnel, ce sont des espaces dominés par le végétal, conçus et ordonnés par l’homme où le bâti, présent dans la composition du paysage, ne semble jouer qu’un rôle secondaire.
Dans d’autres cas comme au château de Champs-sur-Marne ou à Bussy-Rabutin, le patrimoine bâti, le château et les communs constituent la colonne vertébrale et bien souvent le centre de la composition. Pour autant, le jardin n’existe pas sans le monument bâti, comme l’inverse constitue aussi une vérité. Les sites archéologiques comme ceux de Glanum ou Sanxay constituent un entre-deux ou les vestiges d’un bâti évanescent comptent beaucoup sur les structures végétales pour qu’en soient révélées les clefs de lecture.
La transmission d’un jardin monument historique aux générations futures constitue une gageure, contrairement au patrimoine bâti symbolisant une forme de permanence, les jardins mettent en œuvre des matériaux vivants où l’interaction des processus naturels doit en permanence faire l’objet d’un accompagnement par le jardinier sous peine de voir la valeur historique et la composition du jardin altérée de façon rapide et définitive.
Espace animé d’êtres vivants, de plantes, d’animaux, d’humains, le jardin se trouve soumis à l’évolution rapide des saisons, à l’altération des géométries, à la transformation des volumes d’origine par la croissance inexorable des grands sujets. Les perspectives monumentales lumineuses et ouvertes à l’origine ont tendance à se refermer, les limites géométriques des broderies se déforment et sont moins lisibles, les berges des étangs et canaux se diluent irrémédiablement.
Il est donc nécessaire de réfléchir sur la permanence des structures significatives de l’espace du jardin historique, d’en comprendre les processus et les éléments organisés qui en constitue les formes, d’observer les évolutions de ces mêmes formes dues au processus de dégénérescence consécutives aux maladies et aux altérations dues à un entretien souvent soigneux mais parfois inadapté.
Pour réfléchir à l’avenir et à la conservation d’un jardin, il faut aussi explorer les ruptures et les continuités de l’espace, les compositions, les formes architecturées, les masses végétales en combinant le regard de l’artiste, de l’architecte et du visiteur. Il faut porter un regard sensible sur le jardin pour percevoir combien la lumière des grandes perspectives et des canaux et bassins contraste singulièrement avec l’austérité le sombre et l’intimité des carrefours forestiers et des allées dessinées par le chasseur ou l’ingénieur forestier.
Il est utile d’identifier, de comprendre les processus évolutifs et cumulatifs qui en produisent les formes et les altérations que l’histoire impose à l’espace du jardin. La réflexion sur le devenir du jardin est indissociable de celle du monument et nous invite à nous adapter à la réalité objective, dont par exemple, la diminution des moyens humains mobilisables dans nos sites en est une dimension importante.
La demande de restauration et de sauvegarde des jardins, accompagne le renouveau du goût du public pour les jardins d’agrément, la mode de l’écologie, les nouveaux usages de l’espace des parcs et des jardins portés par les urbains et les urbains, le jogging, le VTT etc… apparaissent qu’il est nécessaire de ne pas méconnaitre.
Penser et organiser le monument et son jardin « dessiné » comme une continuité de l’espace des boisements et des autres grands espaces naturels aux abords est une approche nouvelle pour laquelle il n’existait que peu d’expérience structurée, ni de savoir constitué où nos réflexes habituels de conservation propre aux monuments historiques sont peu adaptés.
La tâche des jardiniers des monuments, souvent très investis dans leur mission, va bien au-delà du simple jardinage, ils doivent en permanence réinterpréter l’œuvre historique et faire des arbitrages qui dépassent bien souvent la gestion horticole courante. Il est indispensable de les accompagner dans leur mission. La prise en considération de l’intervention du jardinier en tant que nécessité biologique de conservation conduit à modifier la lecture et la vision prospective du jardin.
La mise en œuvre d’un « plan de gestion » doit se faire en gardant toujours à l’esprit les lignes directrices suivantes, d’une part cette mise en œuvre résulte d’un travail collectif associant l’ensemble des spécialistes concernés, mettant sur le même pied d’égalité, l’intellectuel et le manuel, d’autre part elle doit laisser la part la plus large à l’observation du jardin lui-même que l’on doit considérer avec toute l’attention qu’il convient comme un organisme vivant.
Cette qualité d’observateur du jardin était déjà celle de Dezaillier d’Argenville qui écrivait :
« La première chose, et la plus essentielle qu’on doive observer, en choisissant un endroit pour planter un Jardin, est la situation du terrain. C’est de là que dépend la réussite d’une entreprise : en effet si l’on sait faire un bon choix, les arbres deviendront beaux & grands en peu de temps; au-lieu que si l’on s’y trompe, tous les soins & toutes les dépenses qu’on pourra faire deviendront inutiles ».
Le « plan de gestion » propose une approche, respectueuse, intuitive et douce, cette approche se distingue donc nettement de la réalisation d’un projet de restauration classique ou l’on concentre dans le temps court du chantier des moyens considérables, le plan de gestion parie sur le temps long et cherche à s’accommoder du rythme et des contraintes naturelles, des saisons et des moyens humains effectivement mobilisables. Il ne s’agit pas ici d’opposer deux types d’interventions, il est évident que les plans de gestion concernent en premier lieu les jardins dont les structures principales, même altérées, sont toujours lisibles.
L’élaboration d’un plan de gestion associe, jardiniers, administrateurs, spécialistes, conservateurs, architectes et services de l’État. Les plans de gestion sont portés par la maîtrise d’ouvrage et par l’administrateur ou le propriétaire du monument. Ces outils de gestion pilotés par l’établissement, dont la réalisation est confiée à un prestataire spécialisé comportent le plus souvent une phase d’étude et d’analyse, une phase d’observation et d’échange et une phase de proposition.
Première phase : Étude et analyse
Cette première phase a pour objet de collecter l’ensemble des connaissances disponibles sur le jardin, que ces connaissances soient historiques, botaniques, horticoles, hydrauliques ou paysagères. Cette collecte est pluridisciplinaire ; elle cherche à mettre en relation et confronter, sans les opposer, la pratique du jardinier avec l’érudition de l’historien, la technique de l’ingénieur avec la vision de l’architecte, l’appréciation des visiteurs avec les objectifs de fréquentation de l’administrateur, les moyens disponibles pour la gestion.
À titre d’exemple, cette phase collecte généralement les données suivantes :
• Généralités et paysage
• Contexte du domaine, données administratives
• Analyse et phases historiques de constitution du jardin
• Analyses paysagères et hydrographiques
• Études historiques disponibles et plans
• Analyse sur les arbres et état sanitaires des plantations ;
• Analyse des moyens humains disponibles
• Usages et conséquence de la fréquentation
Deuxième phase : Observations et échanges
Cette phase de réflexion collégiale a pour originalité de s’appuyer en premier lieu sur l’histoire du jardin et de travailler à la fois sur l’action immédiate et sur le temps long.
Il s’agit ici dans cette phase de développer et de discuter une ou plusieurs visions prospectives du jardin en travaillant durant une phase assez longue d’échange avec tous les partenaires concernées. Les objectifs sont discutés et hiérarchisés pour tenir compte des moyens effectivement disponibles et des contraintes prévisibles de réalisation.
Cette phase amène généralement à se poser les questions suivantes :
• Qu’est ce qui constitue la valeur patrimoniale du jardin ?
• Comment identifier et évaluer les éléments authentiques ?
• Comment améliorer sa présentation et conserver ce qui est authentique?
• Comment hiérarchiser et différencier les interventions ?
• Comment intégrer les objectifs de gestion écologique ?
• Faut-il laisser faire la nature dans certains espaces ? (cf. notion de tiers paysage proposé par Gilles Clément)
• De quels moyens notamment humains dispose-t-on pour l’entretien ?
• Quel est l’impact des usages sur les espaces, sous ou sur-fréquentation?
• De quoi témoigne le jardin pour les visiteurs et les habitants ?
De ce travail d’échange et de réflexion, il est attendu de dégager des protocoles d’intervention pour le jardinage du quotidien mais aussi de préparer et préfigurer les interventions éventuelles de réparation et restauration et les travaux de plus grande ampleur.
Troisième phase : Propositions et réalisation
Cette phase d’établissement des propositions constitue la synthèse des données de collectes sur le jardin et effectue le résumé des échanges de travail. Le rapport définitif établi par le prestataire constitue un guide de référence opérationnel pour toutes les facettes de la gestion future du jardin.
Elle comporte par exemple :
• La définition des propositions d’intervention par thème
• Les fiches-actions par thème et types d’interventions, patrimoine historique, patrimoine végétal, prise en compte écologique, gestion de l’eau, attractivité et connectivité, personnel, matériel
• La synthèse financière des actions à mener
• La synthèse des actions par tâches à mener en interne
• Le phasage de réalisation
• Le tableau récapitulatif des actions par thèmes
• La synthèse des actions à mener par unités de gestion
• Le Rapport général de synthèse