En 2002, la ville d’Orléans a entrepris une vaste campagne de ravalement de son centre ancien. Rapidement, les premières déposes d’enduit ont fait apparaître un potentiel historique à modeler et également la nécessité de construire une méthodologie répondant aux exigences et aux circonstances. En effet, cent façades, nombre conséquent, sont notifiées chaque année une fois l’espace public requalifié.
À l’occasion du millième ravalement, la ville d’Orléans édite un ouvrage témoignage qui retrace cette aventure, les enjeux et la méthode : Orléans, 1 000 fois plus belle - Le patrimoine au cœur de la ville (collectif sous la direction de Laurent Mazuy, éditions du Jeu de l’Oie, 2019.)
L’intention et le cadre
La campagne de ravalement s’inscrit dans un projet global d’embellissement : le projet centre-ville. Ce projet se caractérise par la reprise des sols à partir d’un pavage en pierre de calcaire dur (carrière de Souppes-sur-Loing) allant de façade à façade après la dépose des trottoirs, la mise en place d’une gamme de mobilier urbain adapté aux couleurs définies, une végétalisation et, enfin, une mise en lumière patrimoniale et paysagère. Ce programme de revitalisation repose également sur la mise en place d’un vaste quartier piéton au cœur de la vieille ville, plus de quinze hectares correspondant peu ou prou à l’emprise de la première ville remparée (IVe siècle après J.-C.).
Depuis, ces dispositions ont été déclinées et adaptées à l’intra-mail (boulevards extérieurs) à l’occasion d’autres projets d’aménagements notamment celui du quartier des Carmes et de l’ancien Hôpital de la Porte-Madeleine.
En 2008, après plusieurs années de travail et de concertation entre les services de la ville et ceux de l’État et, parallèlement aux premières requalifications, la Zone de protection du patrimoine, architectural, urbain et paysager (Cabinet Blanc-Duché) entre en application. Elle offre un nouveau cadre réglementaire et patrimonial à cette politique. Le secteur urbain correspondant au ravalement obligatoire couvre la totalité de l’emprise de la ZPPAUP : l’intra-mail, les bords de Loire, une partie des faubourgs et du quartier Dunois première extension urbaine planifiée en 1876 au-delà les anciens remparts du XVIe siècle.
Sont concernées par le ravalement toutes les façades visibles de plus des deux tiers de l’espace public : la maçonnerie, le second œuvre (menuiserie, ferronnerie et peinture), les gouttières et les descentes d’eau ainsi que les lucarnes1
. Un ravalement se construit à partir de la dépose de tout enduit non patrimonial : « Les façades les plus anciennes d’Orléans nous sont rarement parvenues intactes, leurs percements et leurs décors ayant été plusieurs fois modifiés. Après « décapsulage » de l’enduit de ciment qui les a souvent scellées, elles sont alors comparables à un vieil almanach dont réapparaissent les feuilles, collées les unes aux autres, parfois dans le désordre. » (Frédéric Aubanton, architecte des bâtiments de France du Loiret de 2001 à 2011).
Principes et rigueur patrimoniale
L’Unité départemental de l’Architecture et du Patrimoine et la Ville d’Orléans (Laurent Mazuy, Expert scientifique du Patrimoine architectural, urbain et paysager au Service projet urbain) ont travaillé main dans la main avec le Service régional de l’Archéologie à la mise en place d’un processus de ravalement s’appuyant en premier lieu sur des études historiques et des études de bâtis2
en phase avec les nécessités des chantiers et permettant un suivi scientifique et technique aux rythmes des restaurations.
Ainsi, toutes les façades font l’objet d’une expertise patrimoniale permettant de relever les caractères des programmes architecturaux successifs qui constituent l’évolution de chaque façade. Dans le cas d’un bâti singulier, notamment la grande architecture à parement de pierres ou de briques ou les pans-de-bois, cette expertise peut être associée à des études plus poussées, réalisées soit par l’expert scientifique du Patrimoine architectural, urbain et paysager, soit par le Pôle archéologique d’Orléans-métropole3
en fonction du grain souhaité.
Une fois acquise la connaissance des formes, des matériaux et des techniques, l’un des états historiques est proposé à la restauration aux propriétaires en accord naturellement avec l’architecte des bâtiments de France. Pour ce faire, un cahier des charges Ville/État est établi. Il permet, dans un second temps, sous la gouvernance des propriétaires, la mise en concurrence des différentes entreprises et corps de métiers. Les propriétaires peuvent naturellement s’adjoindre si besoin une maîtrise d’œuvre.
Le chantier fait l’objet d’un suivi par la Ville et l’État afin de valider pas à pas la qualité et l’exactitude des réalisations : restauration et/ou restitution des maçonneries, des parements, des modénatures, des pans-de-bois, des menuiseries et des couleurs, conformément au règlement de la ZPPAUP. L’intérêt est de découvrir, au jour de la dépose de l’échafaudage, une façade accomplie sans reprise ni anicroche. Dans cette optique, une attention particulière est donnée au second œuvre notamment les fenêtres, volets, portes et portail. Souvent chahuté par le temps, les modes et les facilités, leurs remplacements dans le respect typologique du dessin et du métier contribuent à cette qualité retrouvée4
.
Il s’agit d’assurer aux propriétaires une qualité, car, bien souvent, le travail de restitution nécessite des innovations de gestes et de techniques qui impliquent des arbitrages après de nombreux échanges et essais.
Au gré des rues et de la promenade
« …reviennent à la lumière du jour en parement, ou en modénature, la brique rouge, noire ou jaune parfois vernissée verte et bleue à joints creux, affleurant ou saillants, la pierre calcaire dure ou tendre, éveillée ou lisse, layée ou bouchardée mais également l’enduit gras ou fin, feutré, brossé, épongé, ou bien projeté, des ton sur ton, beige ou gris aux nuances de bleu ou de jaune, sans oublier le plâtre en hourdis ou en faux appareillage. Pour les pans-de-bois, c’est au naturel ou peints en rouge, en brun ou en jaune, sans oublier le blanc (et la gamme des couleurs intermédiaires) qu’ils sont mis en œuvre. À ce cadavre exquis, il faut ajouter en bout de page, à bout de souffle, les bardages d’ardoise ou de bois en chêne ou en acacia qui couvrent tantôt un pignon, tantôt le rehaussement d’une façade, et le métal avec les ferronneries ou les fontes, avec les poutres industrielles… »5
La ZPPAUP préconise qu’un matériau doit être remplacé par le même matériau et les dispositions esthétiques historiques restaurées ou restituées. Résultent de ce croisement, une tension, une authenticité, une dynamique de typologies dont témoignent chaque rue, chaque front bâti. La diversité des surfaces et des épaisseurs, des matières et des couleurs sont conviées au cas par cas, façade à façade, excluant ainsi un modelé fade ou rationnel de l’ensemble. La rue est au naturel, une représentation et une illustration toute à la fois d’une diversité, de l’incongru et de la surprise.
Ce programme aujourd’hui à maturité, seize années et plus de mille cent façades, de toute nature et de toute période, du XIIIe au XXe siècle, restaurées sur la rigueur d’un retour à l’un de leurs états historiques, repose sur une transversalité naturelle des savoirs et également sur une règlementation adéquate, une ZPPAUP devenue Site patrimonial remarquable, permettant de porter l’argument : une ville accompagnée dans sa volonté de s’approprier son patrimoine historique, son identité architecturale, urbaine et paysagère.
L’aspect documentaire reste également l’une des spécificités et des qualités d’une procédure mise en place au fil du temps de façon pragmatique. L’autre élément fort est l’interface auprès des propriétaires invités à suivre, pas à pas, la restauration de leurs biens, de l’expertise patrimoniale à la conformité des travaux. L’ensemble de la procédure, de l’acquisition du savoir aux choix esthétiques et techniques est, en effet, présenté et partagé afin de responsabiliser et que chaque propriétaire puisse témoigner de l’architecture dont il a la charge.
- Dans le cadre de cette politique, la ville d’Orléans subventionne à hauteur de 30% du montant hors taxe des travaux (maîtrise d’œuvre compris) sur présentation des factures acquittées. Les propriétaires qui souhaiteraient ravaler les façades indépendamment de la notification bénéficient des mêmes aides et accompagnement patrimonial et technique. ↩
- Ces études peuvent être associées le cas échéant à des datations par analyse des bois (dendrochronologie). ↩
- En dehors du régime de la prescription afin de cadrer avec les plannings du chantier. ↩
- Le remplacement des menuiseries, principalement en PVC (posées sans autorisation) intègre les doubles-vitrages. ↩
- Extrait de l’article D’un ravalement l’autre in Orléans 1000 fois plus belle – Le patrimoine au cœur de la ville. ↩