Gagner en productivité, en qualité, réduire les coûts : les promesses du numérique sont nombreuses dans le monde de l’architecture. Ces nouveaux outils sont-ils réellement indispensables ? Quels sont leurs avantages et leurs contraintes ?
L’évolution des techniques de représentation illustre l’irruption du numérique dans le quotidien des architectes. Si elle ouvre de nouvelles et nombreuses perspectives, elle suscite parfois des interrogations quant au choix des technologies les mieux adaptées.
L’ère du tire-ligne
Dans l’Antiquité et à l’époque médiévale, le maître d’œuvre était très présent sur le chantier ; son éloignement progressif et la nécessité de présenter le projet au maître d’ouvrage ont conduit à l’élaboration de plusieurs techniques de représentation graphique. Au début du XIXe siècle, Monge a développé la géométrie descriptive à partir des ouvrages de stéréotomie. Ces travaux ont abouti à la représentation architecturale sous forme de plans, coupes, élévations, que nous connaissons aujourd’hui.
Depuis la Renaissance jusqu’au milieu du XXe siècle, les techniques sont restées relativement stables, avec l’utilisation du té, de l’équerre, du compas, du tire-ligne, suivie de l’apparition des stylos techniques Graphos puis Rapidograph.
La révolution numérique
La technologie a bouleversé ces modes de représentation. Deux méthodes de relevés 3D se sont particulièrement développées à l’ère numérique :
• la lasergrammétrie, basée sur l’utilisation de scanners laser qui génèrent des nuages composés de millions de points,
• la photogrammétrie, qui produit des résultats similaires (nuage de points) calculé cette fois-ci à partir d’un grand volume d’images. Utilisée dès la fin du XIXe siècle, la photogrammétrie a récemment connu des développements très importants.
La lasergrammétrie
Les scanners laser balaient l’espace en mesurant de 500 000 à un million de points par seconde, de manière à obtenir un nuage de points exhaustif et précis de l’édifice relevé, pouvant être traité par des logiciels spécifiques. Le scanner doit être repositionné à plusieurs reprises pour que le modèle 3D soit complet. Le prix d’entrée d’un scanner laser professionnel est de 25 000 €.
La photogrammétrie
Le principe de la photogrammétrie est d’assembler un important volume d’images représentant différents angles de vue, de manière à restituer un nuage de points qui reconstitue le volume de manière fidèle et précise. Aérienne et terrestre, la photogrammétrie permet de gérer aisément différentes échelles : urbaine (en particulier grâce à l’utilisation du drone), architecturale, monumentale, et l’échelle de l’objet.
Le budget d’un relevé photogrammétrique avec production d’un modèle 3D complet texturé débute à 10 000 euros pour un édifice de petite taille jusqu’à 50 000 à 100 000 € pour des sites historiques de plusieurs kilomètres carrés. Le degré de précision proposé est compris entre moins d’1 mm pour les décors et détails jusqu’à une fourchette comprise entre 3 cm et 10 cm pour l’échelle urbaine. Il est possible, dans un même modèle 3D, d’afficher simultanément un site très étendu et de visualiser ses éléments architecturaux avec une précision millimétrique.
L’apport du drone
En photogrammétrie, le drone est extrêmement utile pour traiter les surfaces importantes et les zones difficiles d’accès. Plusieurs types de drones sont utilisables suivant les besoins : relevés sur plusieurs kilomètres carrés, relevés de façades, … Des drones-avions ou longue portée, disposant d’une autonomie de cent kilomètres environ, permettent de relever les sites dangereux et totalement inaccessibles. L’acquisition de données par drone est extrêmement rapide, en moyenne quelques heures pour un bâtiment.
Les différents outils présentés permettent de conserver une trace numérique fidèle de sites patrimoniaux, en particulier ceux menacés par des évolutions environnementales ou par l’action de l’Homme (urbanisation, conflits, destructions volontaires, …).
Il est aujourd’hui possible de reconstruire de manière extrêmement précise la géométrie d’objets, monuments et sites complets, mais aussi de recréer des textures photoréalistes en termes de couleur, épiderme, patine, avec des résultats très positifs sur la pierre, la brique, le bois et certains métaux.
L’avenir des copies numériques
La production de copies numériques 3D remplit trois objectifs
• l’analyse architecturale
Les relevés 3D rendent possible la production de plans, coupes, élévations, dans des délais beaucoup plus courts que les méthodes traditionnelles. Accessible sur des visualisateurs interactifs, cette documentation peut être analysée à distance et très facilement partagée avec toutes les parties prenantes du projet. Le temps passé sur le chantier est réduit, des tâches comme le relevé pierre à pierre sont largement facilitées. On peut également entreprendre une anastylose numérique pour préparer les restaurations sur le terrain.
• la connaissance archéologique et la conservation de la mémoire
Au Soudan, en Afghanistan, des vestiges archéologiques ont pu être découverts et documentés grâce aux relevés par drone. La modélisation 3D conserve l’image de monuments aujourd’hui disparus et relevés avant leur destruction : par exemple à Palmyre en Syrie, le mur du théâtre et le tétrapyle ; en Irak, la ziggurat de Nimrud.
• la muséographie
À partir des données brutes collectées et traitées, on peut à la fois répondre aux besoins des architectes et archéologues et proposer au grand public de nouveaux modes de découverte du patrimoine, grâce à des expériences immersives faisant appel à la réalité augmentée ou à la réalité virtuelle, qui se généralisent dans les expositions permanentes et temporaires des musées. Véritables doubles numériques, les modèles 3D photoréalistes sont un nouveau moyen d’initier le public à l’architecture et au patrimoine.
Relevé 3D de l’abbaye de Saint-Roman
Située sur le territoire de la communauté de communes Beaucaire Terre d’Argence (CCBTA) en Occitanie, l’abbaye troglodyte de Saint-Roman a subi de nombreuses transformations depuis son édification au Moyen-Âge. Elle a été classée Monument historique en 1990. Aujourd’hui c’est un site patrimonial menacé d’érosion qui doit être protégé, aménagé et valorisé. La nature troglodyte et rocheuse du site rend très difficile sa représentation graphique exacte.
Le relevé photogrammétrique aérien (par drone) et terrestre offre une solution performante pour visualiser et étudier le site. En octobre 2017, la CCBTA a confié cette mission à ICONEM1
, à la suite d’une première intervention de l’entreprise au château de Beaucaire en 2013. Actif dans 21 pays auprès de gouvernements, collectivités, universités et musées, ICONEM a développé une expertise multi-échelle dans le domaine du relevé et de la modélisation 3D.
La maquette numérique produite servira de support aux opérations de sauvetage et aux futurs travaux de réaménagement du site ; elle sera également très précieuse pour son étude archéologique et pourra être exploitée par la CCBTA sous forme de contenus numériques destinés au grand public.
- Pour plus d’informations, consulter leur site internet ICONEM ↩