Mayotte, les premières protections “monuments historiques”

Suite aux résultats largement favorables du référendum de 2009, Mayotte est officiellement devenu en mars 2011 le cent unième département français et le cinquième d’outre-mer. Ce nouveau statut favorise la mise en place de toutes les missions du ministère de la Culture et de la Communication et notamment les politiques patrimoniales. En mars 2012, s’est tenue la première commission mahoraise du patrimoine et des sites qui a permis de protéger deux exemples emblématiques de l’architecture vernaculaire et coloniale de cet archipel du canal du Mozambique.

La mosquée de Tsingoni (commune de Tsingoni)

Après celles de Paris, Fréjus et Bobigny, la mosquée de Tsingoni est le quatrième édifice de culte musulman a être protégé au titre de la loi de 1913. Située sur la côte occidentale de Grande terre, cette mosquée est la plus ancienne de France. Des vestiges plus anciens existent à Mayotte mais à l’état de ruines, notamment à Polé en Petite-Terre. C’est donc un patrimoine unique sur tout le territoire de la République que conserve ce département ultramarin.

Histoire

La localité de Tsingoni comporte des traces archéologiques d’occupations remontant au XIVe siècle. L’historiographie la présente comme la capitale du sultanat de Mayotte au XVIe siècle. Si l’existence sur ce site de traces antérieures reste à vérifier, les éléments conservés forment quoi qu’il en soit un ensemble cohérent et emblématique des influences croisées ayant véhiculé à Mayotte l’Islam et son architecture, via notamment les migrations shiraziennes. Ces dernières englobent un cadre géographique et chronologique large. Si les premiers Shirazi, en provenance directe du Golfe persique, s’installent sur la côte swahilie et dans l’archipel des Comores entre le Xe et le XIe siècle, les secondes migrations sont plus tardives et locales. Elles sont le fait de populations africaines qui n’ont de lien de parenté que lointaine et incertaine avec les Arabes ou Persans. Ces « Shirazi » n’appartiennent en réalité qu’au monde swahili.

Description

L’édifice est composé d’un bâtiment principal d’environ seize mètres sur onze et demi et d’une annexe plus récente de six mètres sur neuf. Le premier est constitué d’une nef centrale flanquée de deux nefs latérales toutes trois orientées nord-sud. La façade est comporte trois petites baies à arc ogival. La façade occidentale a été profondément modifiée suite à la construction récente d’une imposante mosquée en béton. Les murs sont constitués d’une maçonnerie en pierre basaltique hourdée au pisé. La couverture végétale d’origine a été remplacée par une tôle ondulée. La nef centrale constitue le haram, salle de prière et conserve un pilier octogonal la séparant de la quibla, mur indiquant la direction de la Mecque. Ce dernier accueille en son centre le mihrab, niche sacrée. Sur la partie orientale du même mur se trouve le minbar, chaire à prêcher. Le mihrab concentre toute la décoration de ce bâtiment d’une grande rusticité. La niche est entièrement décorée de bandeaux géométriques exécutés en relief et rehaussés de couleur. Ce décor se poursuit à l’intérieur de la niche où il est complété par des des strigiles. Son arcature est surmontée d’une forme en ogive terminant en pointe accentuée. Sous cet arc se découpe une ouverture trilobée. La pierre de fondation de la mosquée est taillée dans un bloc de corail et permet de dater le chantier de la première moitié du XVIe siècle.

De telles dispositions architecturales et stylistiques se retrouvent à la mosquée de Domoni située sur l’île voisine d’Anjouan, aux Comores. Dans les années 1980, un minaret est venu compléter l’ensemble.

Au nord-est de ce bâtiment, s’étend un ancien cimetière matérialisé par deux monuments funéraires. De plan carré, ces édicules sont constitués de murs incrustés de coupelles en faïence et sont surmontés d’un dôme pyramidal couvert de corail. Uniques à Mayotte, ces tombes d’inspiration shirazienne commémoreraient le sultan fondateur de la cité et son épouse.

La mosquée a été inscrite au titre des monuments historiques le 19 décembre 2012. Sa protection devrait permettre d’apporter des solutions quant au traitement de ses abords immédiats : la mosquée d’origine a été partiellement phagocytée par la construction d’une extension dont les volumes l’écrasent dans toutes ses perspectives.

L’ancienne résidence des Gouverneurs (commune de Dzaoudzi-Labattoir)

Histoire

Deux ans après la signature du traité de 1841 par lequel le sultan Andriantsouli cédait à la France ses droits sur Mayotte, l’administration coloniale actait la décision de développer sur le rocher de Dzaoudzi un grand centre militaire et commercial. Le commandant supérieur Rang des Adrets proposa à cet effet un projet d’aménagement visant à transformer le site en une puissante citadelle : fortifications bastionnées, port militaire et place d’armes autour de laquelle s’organiserait toute la composition urbaine. Jugé trop dispendieux, cet ambitieux projet fut rapidement écarté à la faveur d’un aménagement autrement plus simple et composant davantage avec les données du site. En 1846, huit maisons modèles furent commandées en France afin de loger le commandant supérieur et son administration en poste sur l’archipel. De plan carré, ces constructions en kit étaient pourvues d’un rez-de-chaussée, d’un étage et d’une galerie périphérique. Elles étaient couvertes d’un toit à quatre pentes terminé par un lanternon assurant la ventilation des combles. Leur ossature était réalisée en bois de sapin avec un remplissage en maçonnerie de briques. Quarante et un ans après sa construction, la maison principale présentait un tel état de vétusté qu’elle faillit s’effondrer sur le gouverneur. Cet incident déclencha la commande en 1890 d’une nouvelle maison, cette fois-ci à ossature métallique. Acheminée de France en pièces détachées dés l’année suivante, cette construction fut établie sur une plate-forme située dans l’axe de l’hôpital, lui-même érigé par l’administration coloniale en 1847. Ce parti de composition témoigne d’une forte volonté planificatrice visant à introduire à Mayotte les principes de l’urbanisme européen classique : axialité, alignement, hiérarchisation des espaces, goût de la mise en scène…

Description

La résidence de Dzaoudzi est un exemple typique des productions issues de l’industrie sidérurgique et destinées à équiper les nouveaux territoires annexés à l’empire colonial français. Des maisons sensiblement identiques sur leur principe constructif se retrouvent à la même époque à Madagascar ou en Afrique occidentale.

À l’analyse de photographies et de cartes postales anciennes et à celle, plus fine, de la structure du bâtiment, il semble que la maison du gouverneur ait connu de substantielles évolutions au cours de son histoire. Les varangues périphériques entièrement ouvertes et le faîtage du toit était doté de quatre souches de cheminées destinées à assurer la ventilation des combles.

Au vu de certains clichés photographiques du début du XXe siècle, il semble toutefois que les varangues aient été assez rapidement occultées par des panneaux persiennés en bois. Il s’agissait vraisemblablement de gagner quelques mêtres carrés supplémentaires dans un immeuble à la surface habitable relativement réduite.

Des cinq escaliers repérés, aucun ne permet de desservir l’immeuble de fond en comble. Deux escaliers extérieurs en pierre assurent la jonction entre la plate-forme d’assise et le premier étage. Un escalier hélicoïdal fait office de circulation verticale entre le RDC et le R+1. Cet ouvrage est le seul qui soit décoré marches et contre-marches présentant un décor en fonte moulée. Deux escaliers en bois, un en équerre et un trois-quart tournant, mettent en relation le R+1 et le R+2.

Les aménagements intérieurs ont été profondément modifiés. Les pièces autrefois traversantes ont été cloisonnées, tandis que d’autres ont été ajoutées sur les coursives. Les nombreuses modifications précédemment évoquées rendent quelque peu difficile la connaissance des dispositions d’origine notamment en terme de traitement chromatique. La face intérieure de certaines portes des tableaux de caissons garde toutefois des traces de peintures anciennes dans des tons rose clair et gris.

La conception architecturale et technique de la résidence répond à des critères de fontionnalité, la recherche d’effets décoratifs n’ayant visiblement jamais prévalu. Il s’agissait dans un premier temps de fournir aux colonies des bâtiments préfabriqués pouvant facilement être transportés et montés par des ouvriers peu qualifiés. Dans un second temps, ces constructions devaient être adaptées aux données climatiques des lointaines contrées pour lesquelles elles étaient destinées.

Les larges débords de toits et les grandes loggias périphériques protègent le bâtiment des pluies diluviennes fréquentes sous ces latitudes tropicales. Ces mêmes éléments architecturaux génèrent aussi une ombre portée évitant l’ensoleillement direct et donc la surchauffe des pièces qu’ils protègent.

Les caissons générés par la double épaisseur brique-bois des remplissages des pans de fer constituent quant à eux une efficace protection contre la chaleur : ces espaces agissant comme de véritables gaines de ventilation sur toute la hauteur du bâtiment.

Les pièces étaient initialement traversantes et l’absence de menuiserie de fenêtres favorisait une continuelle ventilation naturelle. Le plafond du dernier étage était séparé de la toiture en tôle par un épais matelas d’air dont la ventilation était efficacement assurée par quatre imposantes cheminées faîtières.

Pour toutes ces raisons, la résidence de Dzaoudzi constitue un remarquable exemple d’architecture adaptée au climat chaud et humide des zones tropicales.

Toutefois, force est de constater qu’après cent vingt ans d’utilisation, cet ingénieux dispositif a été passablement dégradé.

Ainsi, le passage d’un cyclone est-il certainement à l’origine de la disparition des quatre cheminées de ventilation. L’apparition de nouveaux besoins et de nouvelles fonctions a entraîné l’occupation partielle des galeries périphériques. La fluidité du plan d’origine a ainsi progressivement laissé place à un espace plus étriqué et moins adapté au climat mahorais, désagrément compensé par la mise en place de force climatiseurs.

La résidence a été inscrite au titre des monuments historiques le 5 novembre 2012. Avec le soutien du service des musées de France et de la Direction des affaires culturelles de Mayotte, le Conseil général a lancé une étude définissant les conditions d’installation dans ce bâtiment d’un centre d’interprétation de l’histoire de Mayotte.

Vincent CASSAGNAUD
ABF et chef du STAP de l’Aude