Mauritanie, les bibliothèques du désert

Chinguetti Ouadane, Oualata, Tichitt, quatre noms qui évoquent les capitales de royaumes révolus, les haltes des caravanes de pèlerins se rendant à La Mecque ou en revenant, le transport du sel et des épices, le Paris-Dakar… et, bien sûr, les bibliothèques du désert ! Quelques milliers de manuscrits sont conservés par les familles, mémoire des échanges entre Tombouctou, Mopti, Djénné, Fès.

Quatre villes inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1993 pour cette richesse intellectuelle, religieuse, humaine, exemple unique en cette région d’Afrique d’établissements humains nés de la sédentarisation de tribus nomades depuis le XIIe siècle, notre Moyen Âge. Les sites diffèrent, mais les principes de l’implantation humaine se ressemblent quand il s’agit d’assurer la vie d’un groupe, de trouver de l’eau, de faire pousser de quoi subsister, de se montrer mais aussi de se défendre contre l’étranger, la chaleur et le sable !

Des conditions extrêmes

Il y aurait à Tichitt sept villes superposées, montées au fur et à mesure de l’ensablement du site. La colline ou “tell”, sur laquelle elle est aujourd’hui juchée en serait la manifestation topographique. Les ruines des maisons de Chinguetti montrent parfois des étages à demi ou complètement enfouis, Les murs extérieurs sont pris d’assaut par des mètres cubes de sable fraîchement apportés par la dernière tempête. Le nomade, même sédentarisé, garde le réflexe de partir ailleurs, un peu plus loin, de l’autre côté de l’oued, comme à Chinguetti, ou sur le plateau, comme à Ouadane.

L’eau, alimentant sporadiquement les oueds ou formant un dépôt saumûâtre dans les puits de Tichitt, provoque par temps de pluie les dégâts les plus immédiats et dévastateurs. L’étanchéité des terrasses en argile n’est plus entretenue, l’orage détrempe abondamment l’épaisse couche de terre portée par les stipes de palmiers qui, fléchissant sous le poids,
entraînent les murs. La ruine est immédiate, irréversible. Aujourd’hui on ne reconstruit pas de la même manière. Le ciment, matériau universel, et l’étanchéité réalisée en élastomère collé et peint de la couleur rouge de l’argile achèvent le tableau.

Un abandon inévitable

Les guerres, les incendies, les catastrophes naturelles ont de tout temps et partout produit l’exhaussement des villes et la modification de leur tissu. Les ruptures d’organisation sociale des groupes humains, les mutations économiques, l’apport de modèles nouveaux ont entraîné l’abandon, forcé parfois, insidieux souvent, de structures, de modes constructifs, de pratiques “ancestrales” que les touristes apprécient et que l’humanité tout entière, dans sa grande sagesse, voudrait préserver comme le reflet d’un miroir qui ne réfléchirait plus avant de renvoyer l’image.

La ville a ses limites : le groupe humain qui l’a conçue et gérée avec autorité ne sait plus faire au-delà d’une frontière invisible. Chinguetti accueille les touristes dans la “ville sainte”, qui conserve sa mosquée et vit de la fréquentation des bibliothèques, mais le développement urbain s’opère sur l’autre rive de l’oued. Ouadane, en ruines, n’a plus rien à montrer que des tas de pierres, les restes d’une salle de prière et un minaret reconstruit par une ONG pour distraire les visiteurs -quand il y en avait encore-, et le plateau bien plus accessible voit se développer de nouvelles maisons qui occupent beaucoup plus d’espace, plus conformes au confort souhaité. Depuis le terrible orage de 1999, Tichitt n’est plus le joyau préservé par l’Unesco et Oualata tente de masquer ses ruines par le théâtre de ses décors peints, mais ses habitants sont maintenant moins nombreux dans un espace qui a plus que quadruplé en surface. Des panneaux photovoltaïques poussent ici et là… Dans les ruines on trouve parfois des petits bouts de papier, des petits bouts de mémoire, mutilés par le sable, l’eau et les insectes.

Maintenir une tradition séculaire

Dès les années 1930, Théodore Monod attirait l’attention des scientifiques sur ces trésors en péril. Depuis une vingtaine d’années, un travail de recensement des bibliothèques et de préservation des manuscrits est en cours. Pour l’essentiel, il s’agit d’ouvrages consacrés au Coran et à la science coranique, à la poésie et à la grammaire, à la jurisprudence et aux chroniques familiales, à l’astronomie, aux mathématiques et à la médecine arabes. Comme le veut la tradition d’accueil mauritanienne, les propriétaires de manuscrits accueillent sous leur toit tout lettré le temps qu’il consulte les textes. À Chinguetti, la plus belle bibliothèque, celle de la famille Habott, compte mille quatre cents manuscrits, dont un traité de médecine d’Avicenne du XIe siècle. Aujourd’hui, ce fonds est sous la responsabilité de Sid Ahmed ould Habott, l’une des plus grandes fortunes mauritaniennes. Il vient d’offrir à la Fondation nationale pour la sauvegarde des villes anciennes1 un terrain au cœur de Chinguetti pour y édifier une maison traditionnelle répondant aux normes de conservation. À Ouadane, un local d’accueil des manuscrits est installé dans la Maison de la culture, perchée au bord de la falaise. Cinq familles y ont déjà regroupé leurs bibliothèques.

Jean-Michel PÉRIGNON
Inspecteur général, ministère de la Culture et de la Communication

  1. La Fondation nationale pour la sauvegarde des villes anciennes (FNSVA) est l’organe spécialisé chargé de la sauvegarde du patrimoine culturel et de la promotion socio-économique des quatre cités et de leur arrière-pays. Cet organe est également chargé de la coordination entre l’Unesco, les donateurs et les populations.