Le chantier expérimental d’Orléans construit entre 1944 et 1949 sous la direction de l’architecte Pol Abraham occupe une surface de cinq hectares à l’intérieur de la limite des boulevards. Cet ensemble urbain, protégé depuis 2008 au sein de la zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) d’Orléans et récemment labellisé au titre du « patrimoine du XXe siècle », constitue un véritable atout dans la politique de reconquête urbaine du centre historique.
Le chantier expérimental d’Orléans au lendemain de la guerre
Les conflits de la deuxième Guerre mondiale ont fortement impacté le centre historique d’Orléans, en juin 1940 et en mai-juin 1944. Les abords de la place du Martroi sont intégralement démolis et la ville est identifiée comme chantier prioritaire. Jacques Morane, préfet du Loiret particulièrement investi dans les chantiers de reconstruction du département, recrute dès 1941 l’architecte-urbaniste Jean Royer pour étudier le plan de reconstruction de la ville. À l’issue d’un concours consacré à l’innovation des techniques de construction, organisé par le Commissariat technique à la construction immobilière en 1943, le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) engage l’un des tout premiers chantiers expérimentaux de la reconstruction sur le terrain de l’îlot IV situé entre la place du Martroi, la rue Bannier et la rue du Colombier, sous la direction de Pol Abraham, architecte en chef de la reconstruction d’Orléans.
Spécialiste reconnu des procédés de construction, Pol Abraham propose une méthode originale combinant savoir-faire traditionnels et techniques innovantes de préfabrication. En août 1945, le MRU décide d’étendre l’expérimentation aux trois îlots voisins, les îlots I, II et V. Commencé en 1944, le chantier expérimental d’Orléans s’achèvera en 1949.
Le programme de cette opération expérimentale prévoit la construction de 200 logements. La volumétrie générale, d’aspect traditionnel, reprend les dispositions de l’îlot traditionnel fermé autour de grandes cours privatives reliées aux rues adjacentes par de larges porches. Les appartements, spacieux et lumineux, répondent aux besoins de modernisation du parc immobilier et de lutte contre l’habitat insalubre portés par la politique du MRU.
En façade, l’architecte propose une écriture architecturale caractérisée par la simplicité des lignes constructives et par un savant équilibre entre uniformité et diversité. L’agencement de modules normalisés lui permet de développer une nouvelle forme d’ordonnancement dont la rigueur s’inscrit en continuité avec la tradition classique héritée des grandes compositions urbaines du XVIIIe du centre ancien d’Orléans.
Les modénatures traditionnelles sont remplacées par le quadrillage rigoureux des dalles de façades, l’agencement régulier des travées de fenêtres, la diversité des ouvertures et des menuiseries et la forme courbe des immeubles d’angles. L’ornementation se limite à deux sculptures monumentales placées en vis à vis dans les angles arrondis des îlots IV et V, au carrefour de la rue de la Cerche et de la rue Bannier. Œuvres des sculpteurs Belmondo, Gili, Janiot et Poisson ces décors traités en bas-reliefs représentent la renaissance d’Orléans.
La phase de chantier, amorcée dès le mois d’octobre 1944, permet d’expérimenter à grande échelle les recherches développées par Pol Abraham dans le domaine de la préfabrication durant l’occupation. Soucieux de rationaliser les méthodes de construction, l’architecte propose de réduire les aléas de chantier par une meilleure coordination destinée à réduire le temps de travail sur le chantier et à limiter le recours à une main-d’œuvre trop qualifiée.
Le procédé Croizat & Angeli permet de combiner la technique traditionnelle du mur banché avec l’emploi d’éléments préfabriqués tridimensionnels dénommés « blocs-tableaux ». Le coulage d’un béton maigre entre les deux plans de parements intérieurs et extérieurs assure la stabilité des éléments modulaires montés sans échafaudage.
Les planchers de hourdis reposent sur des poutrelles en béton précontraint. Ce procédé, développé par l’ingénieur Eugène Freyssinet dans l’entre-deux-guerres, est utilisé pour la première fois à grande échelle dans un programme d’habitation.
Les éléments de second-œuvre et les installations domestiques sont également produits en série et assemblés sur le chantier. Les installations de chauffage, les conduits de ventilation et la plomberie sont regroupés autour des noyaux « blocs-eau » sur lesquels viennent se raccorder les équipements ménagers intégrés.
Un patrimoine remarquable à rénover
Le chantier expérimental d’Orléans constitue ainsi une étape fondamentale dans l’histoire de la préfabrication appliquée au bâtiment. La mise en application des recherches développées en matière d’industrialisation des techniques de construction à toutes les étapes du chantier marque le début d’une nouvelle manière de bâtir qui transformera en profondeur le paysage urbain de la France durant la période des Trente glorieuses.
Véritable laboratoire architectural et urbain, ce chantier expérimental constitue un témoignage majeur de l’aboutissement des recherches développées durant la deuxième Guerre mondiale et du basculement définitif de l’architecture dans l’ère de la préfabrication industrielle. La rigueur et la pondération de l’écriture architecturale témoignent par ailleurs d’une volonté nettement affirmée d’inscrire l’opération dans le paysage urbain historique, loin de toute tentation d’affirmation d’une modernité triomphante.
Les immeubles ont conservé la quasi totalité de leurs dispositions d’origine et restent dans un excellent état de conservation en raison de la qualité d’exécution du chantier et d’un entretien soigné et régulier. Identifiés au titre des immeuble de grand intérêt architectural de la zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) d’Orléans approuvée en 2008 par la municipalité, ils font l’objet de prescriptions spéciales consacrées à la mise en valeur de ce patrimoine récent.
Dans le cadre de la campagne de ravalement engagée par la ville depuis plus de dix ans, une attention particulière est apportée à la préservation de la valeur d’ensemble de cette opération emblématique. Le remplacement des menuiseries strictement à l’identique des modèles existants s’impose afin de ne pas altérer le caractère unitaire des façades. Les éléments préfabriqués d’origine dont le remplacement n’est pas envisageable font l’objet d’un simple nettoyage et de réparations légères.
Au-delà de la simple mise en valeur des façades existantes, la rénovation des appartements selon les normes de confort actuelles apparaît comme l’une des principales priorités des politiques de renouvellement urbain du centre historique. Une étude récente réalisée par l’agence d’urbanisme de l’agglomération orléanaise (AUAO) constate que les logements de la reconstruction sont majoritairement habités par des occupants de longue date et que le renouvellement de population souffre de la concurrence des logements neufs plus adaptés aux besoins des jeunes ménages.
La réhabilitation des parties communes, la mise aux normes et l’amélioration du confort des logements s’imposent pour éviter, à terme, une dégradation des copropriétés et une dépréciation du parc immobilier susceptible d’impacter l’ensemble du quartier. Ce projet ambitieux reste à élaborer dans le cadre d’une étude de rénovation urbaine inscrite dans la stratégie globale du programme local d’habitat (PLH). Souhaitons que les opérations de ravalement en cours de finalisation constituent l’amorce d’une opération de réhabilitation globale indispensable à la conservation de cet ensemble architectural et urbain de grande valeur.
Bibliographie
- Pol ABRAHAM, Architecture préfabriquée, Paris, DUNOD 1946.
- Robert BOITEL, « La reconstruction d’Orléans : Pol Abraham, architecte en chef », Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, n°98, octobre 1992, p.222-241.
- Yvon DELEMONTEY, « Pol Abraham à Orléans. Un chantier expérimental », AMC Le Moniteur, n°207, juin-juillet 2011, p.99-106.
- Aurélie ROUSSEAU, Le chantier expérimental de l’îlot IV, mémoire de maîtrise en histoire de l’art, Université François Rabelais de Tours, 2002.