La cité Rebard à Cayenne: problématique de conservation et de mise en valeur du patrimoine XXe en Guyane.

Villa bioclimatique au cœur du lotissement Rebard (1954). © Michel Denancé
Villa bioclimatique au cœur du lotissement Rebard (1954). © Michel Denancé

Chaque visiteur quittant le centre ville de Cayenne aux heures les plus chaudes, pour se rendre dans la cité Rebard, ressent immédiatement en arrivant à l’ombre des arbres, une agréable sensation de fraîcheur, facteur essentiel de bien-être en zone équinoxiale.

À Cayenne, au mois d’octobre 2014, l’alerte avait été donnée par l’expulsion d’occupants sans titre, suivie immédiatement par la démolition de villas situées Anse Chaton et Cité Rebard. Ces maisons de fonctionnaires faisaient partie d’ensembles urbains et architecturaux portant témoignage d’une conception moderne de l’habitat en milieu tropical et équatorial. La menace sérieuse et très inquiétante qui pèse actuellement sur cette partie du patrimoine du XXe siècle à Cayenne, nous a amené à documenter l’histoire récente de l’architecture en Guyane et à étudier des propositions architecturales et urbaines, économiquement viables pour sauver ces ensembles urbains remarquables. L’inspection générale des patrimoines a aussi été saisie sur ce dossier.

Plan de cayenne en 1941

La situation urbaine tout à fait exceptionnelle du « triangle » Rebard trouve son origine dans le faible développement urbain de la Guyane dans la première moitié du XXe siècle (comparativement aux autres territoires d’Outre-mer).
Ce développement va trouver un essor considérable après la départementalisation en 1946, avec la construction de nouveaux bâtiments, destinés à recevoir les services publics et loger les fonctionnaires. Ce qui constituera une chance formidable de voir se développer une architecture moderniste originale. La ville va s’étendre sur le quartier Est en prolongeant la trame urbaine normée avec la construction d’ensembles immobiliers, d’équipements et à son extrémité Est, de lotissements publics.

Plan du développement de la ville à l’est au XXe siècle

Le futur quartier Rebard occupe l’ancienne propriété de Monsieur Achille Houry, député maire de Cayenne, propriété qu’il avait dénommée «l’État» (1846). Il est délimité par le canal de la crique, la route de Montabo et la route de Baduel. Cette propriété, où successivement s’implanteront une briqueterie, une laiterie (John Henry) et un hôtel (le Petit Monaco), et dont le dernier propriétaire a été la famille Rebard, deviendra un quartier de résidences pour les fonctionnaires.
Avec la départementalisation en 1946 et sous l’égide du préfet Vignon, de 1953 à 1969, Cayenne verra la création d’une cité administrative, l’installation des administrations et des services publics, avec les logements de fonction dont doit disposer toute structure départementale. Le tènement « Rebard » acheté par l’état est situé hors la ville dans un secteur encore en partie naturel contre l’anse chaton, adossé au mont Montabo. Il profite d’une situation privilégiée à proximité de la mer avec un couvert végétal et le passage régulier des alizés en contrebas du relief orienté Est-Ouest du mont.

Le contexte avec la baie les bois et le canal
Plan du Terrain Rebard

L’Etat achète à la famille d’Euphrasius Rebard, négociant et industriel, ce terrain de 15 hectares (de forme triangulaire, situé immédiatement à l’Est du centre ancien et à proximité de l’Anse Chaton et du pont Million, sous la colline de Montabo).
Cette acquisition foncière est réalisée grâce au fond d’investissement des départements d’outre-mer (Fidom), destiné à la réalisation de programmes d’équipement. L’architecte départemental Boris Ziwès propose en juin 1951, un grand projet d’ensemble de lotissement avec un plan régulier s’inspirant du modèle des cités jardins anglaises.
La réalisation se fera de manière opportuniste, échelonnée et indépendante par chaque service. Les dossiers de permis de construire déposés aux archives départementales nous ont permis de restituer la chronologie des opérations. Une partition du terrain a été faite entre différents services (BAFOG, IFAT et BMG ) en préservant une parcelle pour la résidence de la veuve Rebard. Bien que le plan d’ensemble n’ai pas été respecté, les principes généraux de conception sont suivis, les orientations spécifiques, la typologie des maisons, le maintien d’une trame végétale, témoignent d’une volonté de développer une architecture au caractère moderne, parfaitement adaptée en terme de ventilation naturelle et de protection au soleil et à la pluie, répondant aux exigences des climats tropicaux et équatoriaux.
Cette série de lotissements et de constructions est réalisée sur une vingtaine d’années parfois en plusieurs campagnes en fonction du développement des services.

Exemple d’architecture XXe : L’IFAT.

Dans le nouveau quartier Est de la ville :

  • Laboratoire et logements pour l’institut français d’Amérique tropicale (IFAT), dont l’Institut de recherche et de développement (IRD) est l’héritier, service chargé des études d’hydrologie, de botanique, de sédimentologie et de pédologie,
  • Bâtiments pour l’Institut Pasteur, l’Hôpital Saint Denis, les écoles et collèges.
    Exemple d’architecture XXe : L’école Jean Macé
    Exemple d’architecture XXe : L’institut Pasteur

Et dans la cité Rebard :

Plan de repérage des bâtiments modernistes ou d’intérêt architectural
  • Logements pour le Bureau agricole et forestier de Guyane (BAFOG), créé en 1952, remplacé par l’Office national des forêts créé en Guyane en 1964,
  • Logements pour le directeur et les employés du bureau minier guyanais (BMG), devenu le BRGM, qui réalise les premiers inventaires géologiques de Guyane entre 1947 et 1965.
  • Un immeuble de logements pour le service des Postes Télégraphes et Télécommunications par Henri Pottier.
  • La maison de la veuve Rebard
    Nous nous intéresserons particulièrement au lotissement du Bureau Minier de Guyane réalisé en trois campagnes de construction :
  • 4 mai 1954 : un premier permis de construire concernant 4 maisons sur pilotis, dont une pour le directeur et trois pour les employés, orientées Nord/Sud dont la construction est confiée à l’entreprise « Monvoisin ».
  • 15 septembre 1955 : un deuxième permis de construire pour deux maisons plus compactes sur plan «carré» orientées Nord/Sud, la rue Michel Lohier apparaît.
    15 janvier 1957 : un troisième permis de construire est déposé pour les deux dernières maisons , leur orientation est modifiée pour être Est/Ouest.

1954 - Une villa bioclimatique originale

Villa bioclimatique au cœur du lotissement Rebard, 1954. © Michel Denancé.
Cette maison « d’employé » est de taille modeste, orientée Nord/Sud et se développe suivant un plan barlong. L’étude menée sur cette maison, deuxième d’une série de quatre (dont le ministère de la Culture est affectataire) illustre son originalité et les caractéristiques particulières propres à ces constructions modernes. Elle est construite sur pilotis à un étage, en structure poteaux-poutres avec remplissage maçonné en blocs de béton préfabriqués et développe le registre d’un nouveau vocabulaire architectural. Les espaces de vie sont aménagés à l’étage. Les pièces sont distribuées par un couloir filant, côté Sud ventilé par des claustras béton avec un escalier d’accès en encorbellement, hors œuvre et une grande loggia d’agrément en façade nord. L’ensemble est couvert par un pan de toiture débordant sur toute la longueur de la façade Sud pour assurer la protection au soleil. La maison est implantée en retrait de la voie sous un couvert végétal, sa conception architecturale s’adapte au contexte particulier d’un climat équatorial.
Assemblage sur une feuille à l’italienne des plans coupe élévations de la villa

Elle est conçue de manière bioclimatique avec un système de ventilation naturelle traversant. L’air entrant côté Sud par les claustras à jours carrés découpés dans le béton, passe dans le couloir en partie haute des cloisons pour ressortir à la fois par des grilles en plafond vers le comble ventilé et en façade Nord par un ensemble menuisé persienné assurant ainsi son parfait rafraîchissement sous l’effet des alizés balayant chaque pièce. La combinaison des claustras en béton, avec les persiennes et les ventilations basses protégées par des lames de béton installées aux extrémités Est et Ouest, privilégie une ventilation Nord/Sud.

Coupe montrant le principe de ventilation

La partie couverte du rez-de-chaussée offre un espace ventilé d’agrément, seulement occupé sur le côté Est par un lavoir et une petite pièce de service pouvant correspondre à la buanderie.
Le bâtiment présente un assez bon état de conservation, malgré l’adjonction d’une pièce supplémentaire en rez-de-chaussée et la présence trop prégnante des grilles de protection.

Inscrire la ville de demain dans une démarche raisonnée de mise en valeur de ses patrimoines

Aujourd’hui, seule une partie de ce patrimoine de l’État subsiste. Malheureusement vidés, un grand nombre de ces bâtiments sont en déshérence et certains sont occupés illégalement. Le programme de démolition intervenu puis stoppé témoigne de leur fragilité malgré leur évidente valeur à la fois architecturale, urbaine et paysagère. L’explication de ce phénomène trouvant son origine dans la désaffectation des constructions combinée avec la spéculation immobilière.
La direction des affaires culturelles de Guyane a engagée un travail de reconnaissance de ce patrimoine et rechercher un plan d’action accompagné d’une faisabilité économique permettant d’inscrire sa mise en valeur dans un projet d’éco-quartier à l’entrée de la ville.
Une telle solution peut s’articuler en trois phases successives :

  • la première phase correspondra à la réalisation d’une enquête sociale permettant d’étudier le relogement des occupants sans titre et à la réalisation d’une restauration exemplaire de la maison, dont le Ministère de la Culture est affectataire.
  • la seconde phase reposera sur deux points : la définition d’une nouvelle règle urbaine permettant par un densification mesurée d’aménager un éco-quartier dans une cité jardin. Et la recherche et la désignation d’un opérateur ayant la volonté et la capacité à porter le programme. Au vu de la situation du bailleur social, actuel propriétaire, il convient de favoriser la cession de ces parcelles à un maître d’ouvrage acceptant d’inscrire le projet dans une démarche d’exemplarité.
  • enfin la troisième phase devrait étendre la réflexion à la recomposition urbaine du quartier. Le cœur de cible correspondant aux parcelles BMG et Culture avec le quartier Rebard dans son ensemble comprenant la propriété de la DAAF et de la Collectivité territoriale de la Guyane (parcelle AFPA) mais également les propriétés de l’IRD et de Météo France pour couvrir l’ensemble de l’entrée de ville sur la baie Chaton ; espace de transition remarquable de grande valeur paysagère, à la croisée des trames verte et bleue dans le contexte urbain.
    La réalisation de ce projet, en entrée de ville conduit à prendre en compte globalement les aménagements urbain et paysager dans le contexte de la nouvelle AVAP et du PLU en cours de révision.
    La mise en place d’une enquête sociale combinée avec une recherche de relogement, visant à régulariser la situation des squats actuels peut contribuer, dans le contexte particulier des problématiques du logement et de l’immigration en Guyane, à développer des réponses adaptées pour un retour progressif au droit commun.
    La Direction des affaires culturelles de Guyane se propose de mettre en place de manière concertée avec la ville de Cayenne et la collectivité territoriale, différents outils opérationnels (protection MH et subventions au patrimoine) pour faciliter la réalisation de ce projet.