Dans l’Orient déchiré, un patrimoine culturel entre désastres et résilience 2/2

Alep (Syrie) - Débris, triés et numérotés, du minaret de la mosquée des Omeyyades, janvier 2019 © s.abdulac
Alep (Syrie) - Débris, triés et numérotés, du minaret de la mosquée des Omeyyades, janvier 2019 © s.abdulac

Les conflits armés commençaient à être oubliés en Europe, quand dans sa proche périphérie, l’Irak, la Libye, la Syrie ou le Yémen sont devenus des théâtres de conflits sanglants. La sauvegarde du patrimoine culturel tangible y a malheureusement connu récemment une dimension tragique lors d’évènements récents. C’est sur ces situations que nous concentrerons nos propos.

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Alep (Syrie) - Restauration de l’une des piliers intérieurs de la mosquée des Omeyyades, janvier 2019 © s.abdulac.

La restauration de la citadelle est bien avancée, celle de la grande mosquée des Omeyyades aussi. Des mosquées et des églises sont plus ou moins bien restaurées. Le parcellaire urbain est conservé, ce qui devrait être positif pour la typologie du bâti résidentiel, mais la difficulté reste, à plus grand échelle, de s’attaquer à l’ensemble de la ville ancienne avec toutes ses composantes.

Il existe pourtant des traités internationaux pour éviter la destruction du patrimoine culturel comme la convention de La Haye de 1954 et son second protocole de 1999 qui mentionne le Bouclier Bleu. Malheureusement, ces instruments juridiques restent principalement taillés en fonction des principes des conflits mondiaux du siècle dernier et n’apportent pas nécessairement de solutions quand une ou plusieurs parties sont des entités non étatiques. Faut-il d’ailleurs rappeler ici que des unités des armées américaines et polonaises ont campé sur le site de Babylone il y a quelques années. Nous pouvons certes avoir la satisfaction morale de savoir un général serbe ou un chef djihadiste malien condamnés pour leurs déprédations, mais l’échelle des problèmes reste entière. L’Icomos1 a réalisé par pays des “guides rouges” pédagogiques à l’intention des services des douanes et de la police pour fournir des exemples typiques de patrimoine mobilier. La réglementation contre la contrebande d’objets culturels s’est renforcée au niveau international, régional et national, mais les résultats semblent encore maigres, surtout quand il s’agit de produits de fouilles jamais répertoriés.

Grâce à un financement européen, complété par le gouvernement flamand, l’Unesco a pu animer à partir de son centre régional de Beyrouth un programme de sauvegarde d’urgence du patrimoine culturel syrien comportant un observatoire, des rencontres et de multiples sessions de formation qui ont aidé les praticiens de terrain. Il est terminé depuis quatre ans et aujourd’hui, L’Unesco, avec le concours de l’Icomos, prépare des premiers programmes d’action pour retirer certains sites de la liste du Patrimoine mondial en danger qui sont soumis à l’approbation du Comité du patrimoine mondial.

Juste après l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, les comités libanais du Bouclier bleu et de l’Icomos ont activement participé à l’établissement des premiers diagnostics des dégâts provoqués dans les quartiers traditionnels. En Syrie, l’Icomos a le premier organisé, dès 2013, des webinaires de formation destinés à limiter les risques de destruction. Plus tard, le projet ANQA a permis de former des professionnels à l’utilisation de la 3D avec la fourniture de premiers équipements. Un suivi régulier et des visites durent depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui près de cent trente professionnels syriens ont leur carte de l’Icomos et un comité national doit bientôt voir le jour.

Les services des antiquités et des musées de la région sont très affaiblis par la sévérité et la durée de la crise traversée. Ils restent toutefois fonctionnels et dépositaires de la légitimité accordée par les instances des Nations Unies. La DGAM a perdu quatorze des siens, morts à leur poste de travail, victimes de tirs ou d’exécutions, qu’il s’agisse de simples gardiens de sites ou du célèbre archéologue Khaled al Asaad de Palmyre. Des équipes locales comme à Ghadamès ou ailleurs essayent de faire au mieux avec des moyens locaux limités.

Il y a quelques années, les États-Unis ont essayé d’intégrer des archéologues dans des unités mobiles de leur armée d’occupation en Irak. Leurs témoignages documentés restent précieux. Leur département d’Etat a également financé pendant deux ans, à travers ASOR, une association américaine de recherche orientale, une documentation au plus près de l’événement des destructions grâce à des photographies aériennes, complétées si possible par des recherches ou enquêtes.

Les aides étrangères sont variables : occidentales et du Golfe pour l’Irak, Russe, Tchéchène ou hongroise pour la Syrie. Dans ce dernier pays, il faut compter des financements non publics comme la Fondation Aga Khan ou l’Œuvre d’Orient qui s’ajoutent à ceux des waqfs, des églises orientales et quelques mécènes privés. Rien à voir avec la coopération internationale d’autrefois qui permettait de faire fonctionner près de quatre-vingt missions de fouilles et des centres de recherche.

Seule une poignée de professionnels français a individuellement gardé des liens actifs avec ses collègues syriens. Pourtant, la France avait autrefois établi de remarquables relations culturelles avec la Syrie. En particulier l’École de Chaillot avait passé un partenariat avec la faculté d’architecture de l’université de Damas depuis le début des années 2000. La collaboration s’est toutefois interrompue en 2012 alors qu’une formation spécifique à la prévention des risques et au traitement des dommages aurait été plus que jamais indispensable. Heureusement, les cours d’archéologie et de conservation se poursuivent localement. Une nouvelle génération de professionnels motivés dont beaucoup de jeunes femmes participe aux efforts de reconstruction et aux initiatives de la société locale.

Il s’avère, à l’expérience, que lorsque surviennent des situations dangereuses pour le patrimoine, ce ne sont souvent pas les experts étrangers qui peuvent effectuer des premières missions de terrain. La présence de professionnels nationaux nombreux, qualifiés et motivés représente un extraordinaire atout. L’expertise de confrères étrangers reste toutefois bénéfique pour éclairer les choix difficiles. L’urgence et l’ampleur des travaux de sauvegarde nécessaires ne sont pas à l’échelle de pays appauvris et épuisés par une ou plusieurs dizaines d’années de conflits. Reste à savoir si la non-assistance à un précieux patrimoine culturel en péril représentera dans le futur une perte irrémédiable pour l’humanité ou la “juste” sanction d’un régime…

  1. International Council on Monuments and Sites ou Conseil international des monuments et des sites)