Certains éléments emblématiques de la ligne Maginot ont été protégés au titre des monuments
historiques. Ces protections concernent des forts, des casemates, des galeries souterraines, c’est-à-dire des éléments ponctuels d’un dispositif militaire beaucoup plus vaste.
La ligne Maginot ne peut pourtant pas être considérée comme une série de positions fortifiées, mais comme un réseau d’ouvrages formant un véritable continuum, un chaînage défensif, une ligne continue parcourant et modelant les campagnes françaises. La mise en valeur de ce patrimoine et toute politique de valorisation touristique devraient donc adopter l’approche d’un ensemble linéaire et cohérent sur un territoire qui ne peut se limiter à des frontières communales où intercommunales. La politique culturelle en la matière ne peut faire l’économie de ce travail en réseau, dépassant les limites habituelles du projet de valorisation d’un ouvrage unique.
Dimension paysagère
Identique à un cours d’eau, une vallée, un élément naturel, la ligne Maginot structure en douceur les paysages traversés : pour un œil averti, les forts sont visibles de proche en proche, de point stratégique en point stratégique, redessinant la topographie des lieux. La ligne Maginot, de Nice à Montmédy, mais également dans ses prolongements ponctuels dans les Ardennes, entretient avec le grand paysage une relation d’extrême proximité. Pour des raisons stratégiques, les blocs d’entrée, d’observation ou de combat s’inscrivent dans leur site accompagnés de talus, remblais, délardements, de façon à s’intégrer au terrain transformé en glacis régulier. L’objectif est double : assurer la meilleure visibilité possible depuis les blocs tout en étant le moins visible possible par l’ennemi. Ainsi, il s’agit là d’un patrimoine caché, masqué, enterré, parfaitement intégré aux lignes du grand paysage. La topographie est retravaillée, mais dans un souci d’intégration stratégique. Les ingénieurs
ont même tenté dans certains cas de donner aux bétons une matérialité proche de celle de la roche.
Le rapport au grand paysage est donc fondamental dans la compréhension et la mise en valeur de ce patrimoine. Il incite à pousser les frontières du projet au-delà des aspects simplement architecturaux et techniques. Il implique aussi de la part des élus locaux qui portent un projet de développement touristique autour de la ligne Maginot, d’ouvrir des perspectives de travail plus larges que celles touchant à la matière patrimoniale de manière à ce que les paysages “surveillés” par la ligne soient préservés. Concrètement, que signiferait un projet qui nierait les paysages du territoire traversé ? Les documents d’urbanisme que sont notamment les PLU et les SCoT des territoires traversés par la ligne Maginot sont donc impactés par la présence de ce patrimoine pourtant caché.
Par exemple, le projet de mise en valeur du fort de la Ferté, à Villy dans les Ardennes, relais de la ligne au nord de Montmédy, ne saurait exister sans le large et extraordinaire panorama s’ouvrant sur la vallée de la Chiers qui s’étend à ses pieds. La maîtrise de l’urbanisation et le devenir de ces paysages doivent accompagner tout projet.
Contraintes touristiques
Se pose alors la problématique de l’accessibilité de ces ouvrages et de la construction d’éventuels bâtiments d’accueil nécessaires à la valorisation touristique. Là encore, l’enjeu paysager est incontournable : l’ouvrage et son territoire modelé, si discrets dans le paysage, risquent, si on n’y prend garde, de disparaître au profit d’aménagements contemporains marquant fortement le site et ses abords, au détriment d’une lecture claire du patrimoine visité. Ce patrimoine historique, lieu de mémoire, n’a pas la visibilité d’un grand monument. N’a-t-on pas d’ailleurs préféré, au sortir de la guerre, édifier des monuments aux morts imposants, propres à perpétuer le souvenir des soldats sacrifiés, plutôt que protéger et mettre en scène ces ouvrages très discrets et, qui plus est, synonymes de la défaite de 1940. Aujourd’hui, ces lieux de mémoire doivent trouver une place légitime dans les politiques culturelles et d’aménagement du territoire.
Hélène CORSET
ABF, chef du STAP des Ardennes