Le patrimoine, reste une idée neuve en Europe
Le patrimoine est un bien fragile dont la découverte se nourrit de ce qu’André Corboz appelle joliment la «poétique du détour 1 ». En ce début de XXIe siècle, j’ai la conviction que le patrimoine et l’architecture conditionnent l’élaboration d’un cadre de vie mieux adapté aux attentes de nos contemporains.
Dès la création du ministère, Malraux a tracé les lignes de force de cette mission cardinale : faire dialoguer la mémoire et l’avenir. Cette démarche reste plus que jamais actuelle. Elle trouve une illustration à Marseille, à travers l’ensemble en miroir formé par le fort Saint-Jean, monument historique habillé prochainement de nouveaux espaces paysagers et le futur musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM), réalisé avec talent par Rudy Ricciotti.
Oui, face aux assauts réitérés de certains, mon ministère a continué à jouer son rôle de garant. Oui, les priorités du ministère de la Culture et de la Communication ont été entendues : garantir la qualité architecturale du bâti, promouvoir l’esprit des centres-villes anciens, des villages, sans oublier le patrimoine industriel, le patrimoine maritime,
celui du logement social. Oui, le classement de sites et de paysages au Patrimoine mondial de l’Unesco nous responsabilise ; il nous oblige plus que jamais à l’exemplarité.
Le ministère de la Culture et de la Communication a la chance de pouvoir compter sur l’action exemplaire des architectes des bâtiments de France (ABF) et des architectes et urbanistes de l’État (AUE), dont la compétence et l’engagement sont nécessaires à l’instauration de cette
politique. Je sais la part qui leur revient dans la mise en œuvre, dont je mesure l’exigence, d’outils rénovés, adaptés aux conditions du développement durable, à l’image des aires de mises en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP).
Sur de nombreux dossiers, l’ambition en matière de patrimoine, d’architecture et de paysage a été renforcée. Dans le domaine de l’archéologie préventive, j’ai réaffirmé l’importance des “archives du sous-sol” face à la tentation de la facilité qui transparaît localement. En matière d’urbanisme et de qualité paysagère, j’ai obtenu que les assouplissements du permis de construire ne se fassent pas au détriment du cadre de vie, en rappelant le seuil des cent soixante-dix mètres carrés à partir duquel le recours à un architecte est indispensable. J’ai obtenu que dans les secteurs protégés, dans les zones valorisées les documents d’urbanisme s’imposent pour servir la qualité des projets d’aménagement urbains et donc le développement de nos territoires.
C’est au nom de ce même principe que j’ai soulevé la question de la multiplication des parcs éoliens et de leur impact sur les grands paysages, notamment dans les zones bénéficiant de mesures de protection et au regard de nos engagements internationaux vis-à-vis de l’Unesco. À ma demande, un décret du mois de juin 2011 prévoit la soumission des schémas régionaux éoliens aux Commissions régionales du patrimoine et des sites (CRPS) qui pourront ainsi évaluer leur impact visuel dans le paysage. Plus globalement, je souhaite que la consultation de ces commissions ne soit pas comme aujourd’hui limitée aux documents de planification éoliens, mais s’étende à terme aux autorisations elles-mêmes et revête éventuellement un caractère contraignant.
Dans la mesure où 90 % de la population vit dans les villes, nous sommes aujourd’hui appelés à repenser en profondeur les cadres de vie, les exigences en matière de paysage, au point de rencontre entre les héritages dont nous sommes dépositaires et les aménagements futurs dont nous sommes destinataires. En d’autres termes, il s’agit de réinventer un “humanisme à visage urbain” où la ville soit faite pour l’homme et non l’homme pour la ville. Oui, le patrimoine est bien une idée neuve en Europe.
Frédéric MITTERRAND
Ministre de la Culture et de la Communication
- Pour une poétique du détour, Éditions de la Villette Paris 2010. ↩