La Zone
Jusqu’au 8 décembre 2018
MONTREUIL (93) - La Lumière des Roses
Certains mots sont comme des terrains vagues : on en comprend le sens, on les situe, mais on peine à les définir avec exactitude. « Zone » est de ceux-là. Accolé à Paris, il évoque aujourd’hui le flou de la banlieue, une forme d’ennui ou encore le seuil de la délinquance, mais on ignore souvent que la Zone s’ancre dans une réalité historique bien précise.
« La Zone » désigne une bande de terre de 250 m de large, qui court le long des 34 km de fortifications érigées autour de Paris en 1844. Il s’agit d’une zone militaire affectée d’une servitude qui la rend inconstructible, de manière à laisser un champ dégagé à l’artillerie, mais très vite, ce système de défense de la capitale s’avère inefficace et est abandonné. Une population pauvre, exclue de la ville et du logement, en profite pour occuper ces terrains qui se couvrent progressivement d’un enchevêtrement de constructions précaires, baraques souvent insalubres, dépourvues d’eau et d’électricité. La bourgeoisie parisienne s’inquiète très tôt de cette « ceinture de misère indigne de la capitale » qui ne cesse de s’étendre pour devenir un immense bidonville qui abritera plus de 40 000 personnes dans l’entre-deux-guerres. C’est à cette période que commencent les expulsions jusqu’à l’éradication complète de la Zone par le régime de Vichy. Enfin, en 1956, la construction du boulevard périphérique enterre définitivement sous le bitume les derniers vestiges de ce territoire en marge.
La photographie de l’entre-deux-guerres s’est peu intéressée à ce phénomène urbain et social, contrairement à la littérature et au cinéma qui ont largement contribué à façonner l’image d’une Zone malfamée mais peuplée de personnages hauts en couleurs comme les Apaches ou les chiffonniers. Ainsi, les photographies que nous présentons sont rares. La majorité d’entre elles sont l’œuvre de photographes anonymes dont certains répondaient à des commandes destinées à démontrer « l’aspect sordide qu’on peine à imaginer si l’on n’a pas eu l’occasion de parcourir la Zone ». Ces campagnes photographiques fixaient l’image de taudis afin d’accréditer la thèse de l’insalubrité qui allait justifier la démolition de la Zone, mais elles n’en offrent pas moins des renseignements précieux sur des manières d’habiter. Les matériaux de fabrication des habitations, les détails des intérieurs, les visages des occupants sont autant d’indices d’un mode d’existence précaire mais aussi d’un génie bricoleur des zoniers, d’un art de la récupération, d’une liberté de construire qu’autorisait un territoire qui échappait aux normes urbaines.
L’intérêt de l’exposition réside donc principalement dans son caractère documentaire, plus proche des photographies d’Eugène Atget rassemblées dans son album « Les Zoniers » au début du XXe siècle que de l’image pittoresque de la Zone qu’a pu véhiculer la photographie humaniste d’après-guerre. Échappant à l’autorité d’un point de vue, la diversité des ensembles photographiques réunis souligne la force d’une photographie documentaire qui constate et témoigne d’un « ça a existé ».
Aujourd’hui, comme une résurgence de la Zone, on voit réapparaître des îlots de pauvreté - bidonvilles, campements sauvages – le long du boulevard périphérique. Véritable césure dans la continuité urbaine entre le centre de Paris et la banlieue, cette barrière réelle et symbolique continue d’engendrer les mêmes maux que toute marge délaissée à proximité des grandes villes avec son cortège de laissés-pour-compte. Deux artistes contemporains, Stéphane Goudet et Lucile Boiron, interrogent ces nouvelles formes de misère qui émergent aux portes de la ville, et plus loin aux portes de l’Europe.
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