Le Belem

Il y aura trente ans l’année prochaine que le ministre de la Culture, Jack Lang, et son homologue le ministre de la Mer, Louis Le Pensec, présentaient les grands axes d’action à entreprendre en faveur de la sauvegarde du patrimoine maritime et fluvial.

Longueur : 58,50 m
Largeur maximale : 8,80 m
Hauteur du grand mât : 34 m
Tonnage : 531 tonnes
16 hommes d’équipage
25 voiles réparties sur 1200 m2 de voilure
2500 m de cordages
250 poulies

Cette conférence eut lieu sur le Belem, alors amarré au quai Branly, face à la tour Eiffel. Au travers de son histoire singulière, le Belem est, à plus d’un titre, révélateur des enjeux liés à la protection, la restauration et la mise en valeur des navires protégés au titre des monuments historiques.

Un navire aux multiples affectations

Le Belem est le dernier navire de charge (de l’anglais cargo-boat) français, à trois-mâts barque1 . Comme pour de nombreux monuments historiques, son affectation n’a pas toujours été la même. Il est donc le fruit d’une série de stratifications historiques. Construit en sept mois à Chantenay-sur-Loire près de Nantes par les chantiers Dubigeon, le navire a été inauguré le 16 juin 1896 pour rapatrier du Brésil le cacao vers les usines de chocolat Menier. Son nom, directement lié à sa destination, est celui d’un port brésilien qui lui servait d’escale. Avec l’expansion des bateaux à vapeur et l’obsolescence des navires à voile moins fiables et moins réguliers, le Belem sera finalement mis à la retraite en 1914.

C’est à cette époque que le duc de Westminster l’achète pour le transformer en un yacht de luxe. Deux hélices et deux moteurs sont ajoutés, un faux-pont dans la cale à marchandises est construit, le beaupré est raccourci, la dunette surélevée et entourée de balustres, plusieurs salons sont créés sur l’entrepont du bateau. Vendu en 1921 au brasseur irlandais A. E. Guinness, le navire prend le nom de Fantôme II et effectue de nombreuses traversées jusqu’à ce qu’il soit désarmé à Cowes pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1951, acheté par la fondation italienne Cini de Venise, il sert de voilier-école sous le nom de Giorgio Cini, Afin de faciliter la manœuvre, le gréement est modifié en trois-mâts goélette2 . Pour répondre à ces nouvelles fonctions, un dortoir est aménagé dans l’entrepont, unifant ainsi les deux volumes ajoutés durant l’intervalle britannique. En 1971, il est cédé pour une lire symbolique aux carabiniers italiens qui restituent le gréement d’origine.

« Maintenir pour que vogue un navire, maintenir afin de témoigner du savoir-faire qui se perd, […] maintenir comme un défi lancé à l’heure des navires Kleenex. » Paul le Bihan, président de la Fondation Belem.

En 1979, l’Union nationale des caisses d’épargne de France se porte mécène, rachète et rapatrie le navire en France. Il reprendra alors son nom d’origine. Ce mécénat d’une longévité remarquable dure toujours, au travers de la fondation Belem, reconnue d’utilité publique dès 1982. Aujourd’hui, le navire est armé en navire-école civil et peut accueillir une cinquantaine de stagiaires.

Un chantier de plus de dix ans

De 1982 à 1995, de nombreuses campagnes de travaux subventionnés par l’État, les collectivités et le mécénat, se sont succédé. Le parti de restauration a été de conserver et de mettre en valeur les éléments existants issus des périodes emblématiques de l’histoire du Belem tout en intégrant au mieux les équipements liés aux nécessités réglementaires de bateau navigant. En effet, contrairement à la Duchesse Anne, autre trois-mâts français, qui sert de musée à quai, le Belem a pour ambition de voguer au moins la moitié de l’année, la saison hivernale servant à l’entretien du navire.

À l’origine, la stabilité du navire était assurée par sa cargaison ou par le lest, lorsque les cales étaient vides. Quand le bateau fut transformé en yacht, son équilibre se trouva
modifié, le centre de gravité fut rabaissé et lesté par quantre-vingt cm de béton à même la coque d’acier avec, pour conséquence, de rendre toute surveillance ou réparation de la coque impossible. Il fut donc décidé de reconstituer la structure et le fond à neuf. Ce type de coque était constitué par des tôles métalliques assemblées par pas moins de vingt-cinq mille rivets. Or, les têtes des rivets sont soumises, côté mer, à une forte corrosion qui peut entraîner à terme une désolidarisation des tôles. Pour des questions de coût et de savoir-faire, on eut recours à un procédé contemporain, la soudure. Seules les parties ouvragées à l’arrière et à l’avant, où les formes sont les plus travaillées et les structures les plus complexes, restent dans leur état initial, rivetées.

Au cœur des enjeux patrimoniaux

Alors que la protection des monuments historiques maritimes est relativement ancienne -le phare de Cordouan, par exemple, a été protégé monument historique dès 1862-, celle des navires est récente. Il aura fallu attendre les années 1980 et la prise en compte des nouveaux patrimoines liés au monde du travail (rural, industriel, etc.) et aux loisirs. Le Mad Atao et la Duchesse Anne furent, en novembre 1982, les premiers bâtiments concernés par la protection au titre des objets mobiliers classés monuments historiques. Le Belem sera classé quelques mois plus tard, le 27 février 1983. De nos jours, près de cent trente-cinq navires font l’objet d’une protection et une centaine ont reçu le label bâtiment d’intérêt patrimonial, délivré par l’association Fondation du patrimoine maritime et fluvial, dont les effets sont comparables à ceux du label de la Fondation du patrimoine, pour le bâti ancien rural.

Parmi ces navires protégés au titre des monuments historiques, seuls 10 % sont antérieurs au XXe siècle, les plus anciens étant un dériveur et un bateau de sauvetage construits en 1887. Le Belem, sorti des chantiers neuf ans, plus tard fait donc partie des plus anciens navires de France ; la très grande majorité (plus de 70 %) datent de 1901 à 1950. 75 % d’entre eux naviguaient sur la mer et ceux de Méditerranée ne représentent qu’une petite dizaine de bateaux. Les bateaux de plaisance, de pêche et, dans une moindre mesure, de service (remorqueur, bateau de sauvetage, bateau-phare…) et de charge se partagent la quasi-totalité des protections. Il est à noter que seul le Maille Breze, ancien escorteur d’escadre datant de 1957, est protégé en tant que navire de combat.

Nouveau patrimoine, il y a trente ans, le Belem apparaît comme une icône patrimoniale. Plus qu’une valeur muséale, le mérite du Belem réside dans le fait que le navire transmet la notion de patrimoine au travers de l’émotion de la mer.

Guillaume LEFÈVRE
ABF

  1. Un trois-mâts barque est un navire à voile de trois mâts dont le mât de misaine (à l’avant) et le grand mût (au centre) sont gréés en voiles carrées tandis que le mût d’artimon (à l’arrière) porte une brigantine à corne et une flèche.
  2. Un trois-mâts goélette est un navire à voile comportant trois mâts, dont le mât de misaine est gréé en voiles carrées, tandis que les deux autres mâts ont des mâts de flèche et portent un gréement aurique, c’est-à-dire à voiles à cornes et des voiles de flèche. Ce dispositif de mâts goélette permet notamment de réduire le nombre d’équipage.
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