Le Vocabulaire du littoral - Réaliser un projet commun pour un espace pluriel

Corniche basque, Guétary, 2007. © Laurent Mignaux Terra La corniche basque est classée au titre de la loi de 1906 sur la protection des monuments naturels et des sites. La côte basque est soumise à une importante érosion marine accélérée par les mouvements de terrain liés à la proximité de la chaîne des Pyrénées.
Corniche basque, Guétary, 2007. © Laurent Mignaux Terra La corniche basque est classée au titre de la loi de 1906 sur la protection des monuments naturels et des sites. La côte basque est soumise à une importante érosion marine accélérée par les mouvements de terrain liés à la proximité de la chaîne des Pyrénées.

« Corniche : partie saillante qui couronne un édifice ; par extension, on parle de route en corniche lorsqu’elle suit en une position dominante le bord d’un plateau : une corniche rocheuse marque la présence d’une couche dure en haut d’un versant. »
Yves Lacoste, de la géopolitique aux paysages, dictionnaire de la géographie, 2003

Le Vocabulaire du littoral est un projet éditorial porté par les ministères de la Culture et de la Transition Écologique et Solidaire1 . Évoqué lors du Grenelle de la Mer2 , inscrit depuis 2015 dans les objectifs de la mission de l’Inventaire général du patrimoine culturel au sein de la collection des « Principes d’analyse scientifique », ainsi que dans la Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte. Le projet répond à une demande interministérielle forte. L’enjeu est principalement celui d’élaborer un vocabulaire commun pour les acteurs et tout lecteur, pour mieux partager l’espace littoral, espace rare, fragile et convoité où les conflits d’usage sont légions. Il confirme le souci méthodologique propre à l’Inventaire de définir avec exactitude au sein d’un espace identifié – ici, le littoral –, les termes utilisés tant dans la désignation des objets qui le composent, des sites qui le façonnent, que dans la description des biens patrimoniaux, matériels ou immatériels. Ni dictionnaire, ni lexique, ni glossaire, le Vocabulaire du littoral se veut un ouvrage utile, ouvert, large, poétique et prometteur d’un littoral vertueux dans la perspective de la préservation de cet espace en-commun.

Le patrimoine culturel : une invention permanente

L’Inventaire général du patrimoine culturel contribue depuis cinquante ans à l’identification, à la connaissance et à la diffusion du patrimoine culturel vers le plus grand nombre. Cet objectif scientifique s’est élargi à un usage plus récent d’aide à la mise en place concertée des politiques publiques contribuant au développement culturel des territoires.
Le travail de collecte des services d’Inventaire est considéré comme un révélateur du patrimoine, avec le sens que lui donne le photographe, l’image occupant une place pertinente dans les restitutions d’inventaire, et dans la phase d’analyse et de synthèse permettant à chacun de nommer le monde qui l’entoure.

À Bastia, la jetée du Dragon devant la citadelle protège, avec la jetée du vieux-môle, l’entrée du vieux port de l’impétuosité de la mer. Avec son piétement côté ville accessible, elle fait office de promenade. Côté mer, elle a été confortée par une batterie de tétrapodes. Derrière nous, hors champ, sur le musoir s’élève un feu cylindrique en maçonnerie. ©Mireille Guignard. « La photographie ne raconte pas, elle nomme. » F. Hers, B. Latarjet, Paysages Photographies. En France les années quatre-vingt. Mission photographique de la Datar, éditions Hazan, 1989, p. 13

L’entrée en collection, les apports de la thématique littorale

La collection des « Principes d’analyse scientifique » est définie dans Les publications de l’Inventaire comme « une encyclopédie méthodique des termes utilisés dans tous les domaines de compétence de la direction de l’Architecture et du Patrimoine, et donc de l’Inventaire général […]. Chaque volume est consacré à un domaine distinct, dont il étudie le vocabulaire descriptif des œuvres et des techniques, analysé d’un point de vue typologique – termes fonctionnels ou structurels – ou technique selon un ordre de présentation méthodique et non alphabétique »3 . En cela, ils se rapprochent des thésaurus qui en sont issus.
L’entrée de la thématique Littoral dans cette collection ouvre un nouveau type de Vocabulaire, liant des notions supposées antinomiques dans la conception européanocentrée entre patrimoine naturel et patrimoine culturel. L’espace territorial est pluriel et non délimité. Il compose multiples disciplines, loin de la certitude d’un domaine strictement circonscrit, comme le vitrail, le jardin ou l’architecture. Le défi réside ainsi dans le choix sémantique dont la lecture transversale et interdisciplinaire rend obligatoire l’action interministérielle.
L’espace littoral entre terre et mer est exceptionnel, riche en biodiversité (terrestre et marine) et en biens culturels (endogène et exogène), prometteur en ressources, sous pression de l’urbanisation et donc voué à une spéculation urbaine sans précédent. Il est aussi très vulnérable car soumis aux impacts des phénomènes naturels qu’exacerbent le changement climatique et l’action anthropique : submersion, érosion, cyclone, tsunami, dérèglements des écosystèmes naturels ou dégradations par les pollutions telluriques, etc. En constant mouvement, lavé par l’eau douce et salée, il est de nature à fédérer des enjeux importants pour l’avenir des sociétés, à stimuler les problématiques nouvelles, éveiller les connaissances, les réflexions prospectives et engagements patrimoniaux.
Quels mots sont attendus ? L’entrée du patrimoine géomorphologique (double tombolo de Porquerolles, grande flèche du Hourdel, vallée fossile de l’île de la Réunion…), des paysages singuliers (plage, ria, crique, baie…), des ouvrages d’ingénierie côtière pour la lutte contre la mer (épis, enrochements, tétrapodes), et la mondialisation des ports maritimes impliquent de nouveaux domaines et donc des termes pour la lecture des paysages côtiers.

Des principes éprouvés

L’usage d’une syntaxe et d’un vocabulaire communs d’analyse des œuvres constitue un élément fondateur de l’Inventaire général du patrimoine culturel. Ce dernier est devenu ainsi au travers de la production de différents vocabulaires scientifiques, un producteur de normes reconnues établies à partir de dépouillements de textes anciens et modernes et de leur confrontation avec la diversité des patrimoines rencontrés sur le terrain. Grâce à cet ensemble normatif, il joue le rôle non seulement d’observatoire du patrimoine et de l’évolution des notions qui lui sont relatives mais aussi de lieu conservatoire de la langue française dans ce domaine.
L’illustration de chaque terme sera l’opportunité de valoriser les magnifiques fonds des iconothèques de nos institutions : bases de données, Plateforme Ouverte du Patrimoine (POP) du ministère de la Culture, iconothèques, photothèques des services de l’Inventaire en région, collections photographiques du Conservatoire du littoral, Mediathèque TerrA (MTES)…
Enfin, chaque entrée sémantique bénéficiera d’une définition synthétique pouvant contenir d’autres définitions de termes liés, un commentaire précisant aussi l’étymologie, et d’éventuelles déclinaisons vernaculaires.

Saint-Pierre-Quiberon, Port Bara, Côte sauvage de la presqu’île de Quiberon. Termes descripteurs liés à l’image : horizon, mer belle, vague, écume, falaise, grotte marine, érosion marine, galets, îlot, écueil, pointe, poste de douanier, estran rocheux, ganivelle, sentier balisé. © Anh Linh FRANÇOIS, 2011
Cassis, port de plaisance de la calanque de Port Miou. Termes descripteurs liés à l’image : Port de plaisance, port-abri, panne, ponton, passerelle, mouillage, amarrage, calanque, falaise, capitainerie, poste de mouillage. © Anh Linh François, 2014

Constitution d’un corpus

1 592 termes sont aujourd’hui réunis, au sein de sept grands chapitres. Ne sont retenus que les termes qui « font » littoral, sur les territoires français hexagonaux et ultramarins. Pour alléger le nombre et circonscrire les recherches, certains champs sont exclus : faune, flore, bateaux, phénomènes climatiques, représentations artistiques, outils, institutions culturelles comme les musées, les aquariums, etc.

De l’horizon marin vers l’arrière littoral

Les rédacteurs de ce Vocabulaire, avec l’appui de son conseil scientifique4 ont volontairement choisi un périmètre élargi du thème littoral, entre les douze milles nautiques (limite du domaine public maritime naturel) et l’arrière-pays littoral. De l’avant-côte submergée au rivage, l’estran, l’arrière-côte, l’organisation s’attache à l’orientation forte de la mer vers la terre. Ce séquençage peut faire débat : la plage, est-elle substrat géomorphologique ou espace culturel ? Le polder est-il production agricole ou forme littorale ? Faut-il classer le moulin à marée dans la production d’énergie ou dans le marnage ? Autant de choix, autant de questions, autant d’organisations du monde littoral.
Aujourd’hui, le changement de paradigme est latent. Poussé par les accélérateurs de particules que sont le changement du mode de vie et le climat, les mots voyagent et se transforment. Les nouveaux termes pointent à l’horizon, d’autres sont déjà embarqués par la langue vivante des populations littorales : hydrolienne, paddle, barrage anti-sargasses…

Le vocabulaire de demain - Appel à idées « Imaginer le littoral de demain », panneau d’exposition de la restitution du jeudi 27 octobre 2016. © MTES

Le débat patrimonial que provoque le rassemblement des termes issus les milieux vivants et/ou des artefacts culturels, comme slikke, shorre, fours à goémons, herbus, ex voto, grue portuaire, révèle un formidable lieu de partage en ce début du XXIe siècle, tant par les sujets qu’il véhicule que par son ampleur. Il entretient surtout le débat et l’appropriation par le processus de réflexion sur ce qui fait littoral.

Polder de la baie de Somme. Les Bas-Champs du hâble d’Ault de la baie de Somme en Picardie protégés des assauts de la mer par un immense cordon de galets conforté par une batterie de 124 épis constitué d’ouvrages en béton armé recouverts de galets. Les Bas-Champs abritent des terres de cultures ou d’élevage (mouton de pré-salé) et aussi des étangs et huttes de chasseurs. Cette plaine maritime est une succession de poldérisations qui s’est faite durant des siècles grâce au savoir-faire des hollandais venus prêter main forte. Le polder est un « espace clos, conquis sur les eaux au moyen d’endiguements, puis asséché par le drainage à des fins traditionnellement agricoles. […] un polder – puisqu’il peut se voir envahi par les eaux marines – n’a donc pas vu sa surface rehaussée par le remblaiement, à la différence des terre-pleins industriels japonais conquis sur la mer et improprement appelés « polders industriels » (Lydie Goeldner-Gianella et Fernand Verger, 2009). © Laurent Mignaux - TERRA
  1. Action portée par la mission de l’Inventaire général du patrimoine culturel (MC), en lien avec le bureau du littoral à la direction de l’eau et de la biodiversité (MTes)
  2. Le livre bleu des engagements de la mer. Engagement 104, mesure h : Réaliser et publier des ouvrages de vocabulaires et glossaires du littoral et de la mer. (10 et 15 juillet 2008)
  3. Thésaurus de l’architecture élaboré par l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France et édité en 2000 aux Éditions du Patrimoine, France. Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Thésaurus de l’Architecture. Réd. Jean Davoigneau, Renaud Benoit-Cattin, Xavier de Massary et al. Dir. Hélène Verdier. Paris : Monum, Éd. du Patrimoine, 2000. (Documents & Méthodes ; 7).
  4. Sept membres : Sophie Cueille, conservateur général du patrimoine, chef de la mission de l’Inventaire général du patrimoine culturel ; Anne Konitz, paysagiste, directrice communication au conservatoire du littoral ; Alain Miossec, géographe, professeur émérite de l’Université de Nantes ; Françoise Péron, géographe, professeur émérite à l’École Normale Supérieure ; Claude Prélorenzo, sociologue, maître de conférence à l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées ; Philippe Vergain, conservateur général du patrimoine MC ; Fernand Verger, géographe et géomorphologue, professeur émérite à l’Ecole Normale Supérieure, décédé le 20 septembre 2018.
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