Port Saïd, à la reconquête des quartiers fragiles

« La tradition est un mouvement perpétuel, elle avance, elle change, elle vit. La tradition vive se manifeste pourtant. Efforcez-vous de la maintenir à la façon de votre époque. »
Jean Cocteau

En 2003, à l’initiative de l’Alliance française de Port-Saïd et avec le soutien du Gouvernorat de la ville, du Centre français de culture et de coopération du Caire et de la commission européenne, un programme d’évaluation du patrimoine architectural, urbain et paysager de la ville a été lancé.

Dans le cadre de cette action, nous avons encadré, avec Claudine Piaton, deux ateliers : le premier, en juin 2004, avec six élèves AUE de l’école d’application ; le second, en juin 2005, avec six élèves du cycle d’études spécialisées.

Les travaux des élèves s’inscrivent dans la problématique du programme européen Euromed Heritage II « Patrimoines partagés »1 qui vise à documenter et à protéger le patrimoine des XIXe et XXe siècles autour de la Méditerranée. Ils s’appuient également sur un partenariat avec le ministère de la Culture égyptien et plus spécifiquement le Conseil suprême des Antiquités qui est en charge de la protection des ensembles bâtis.

Analyse du terrain

L’intervention s’est développée sur deux ans ; les élèves se sont intégrés à une équipe pluridisciplinaire de chercheurs et de gestionnaires européens et égyptiens.

La première phase consistait à resituer la ville dans son territoire, dans l’espace et dans le temps. Port Saïd, ville neuve est créée ex-nihilo sur le lido séparant le lac Menzaleh de la Méditerranée à l’embouchure du canal de Suez dont le chantier (1859-1869) est ouvert par Ferdinand de Lesseps. Il s’agit d’une cité d’économie marchande liée à un équipement, d’inspiration coloniale. Nous sommes en présence d’un plan réglé, conçu par des ingénieurs et répondant aux règles d’aménagement de l’époque. La seconde phase consistait à réaliser l’analyse des espaces bâtis et non bâtis, afin de hiérarchiser le patrimoine ordinaire issu de l’architecture « savante ». Nous sommes en présence d’une production cosmopolite, d’influences et de cultures croisées du bassin méditerranéen, reflet des courants conceptuels de l’éclectisme, de l’orientalisme et du rationalisme.

Les analyses des trois quartiers et d’environ quatre-cents immeubles finement étudiés se sont inspirées des grilles de lecture du Service de l’Inventaire et des études urbaines qui associent connaissance, outils de protection et de mise en valeur (constats, évolutions, pathologies, propositions).

La troisième phase consistait à transmettre cette connaissance aux différents acteurs afin d’engager la ville dans un processus de reconquête et de revalorisation des quartiers fragiles :

  • cartographie révélant les typologies ;
  • composition des façades, des modes de distributions ;
  • matériaux, savoir-faire, décors intérieurs et extérieurs ;
  • description des ambiances, des pratiques quotidiennes, des modes d’occupations du contexte socioéconomique.

Le rapport de présentation, au service du projet urbain complète les travaux des différents chercheurs et amorce les notions de phase active de protection, de gestion, de réhabilitation, dans le contexte égyptien, ainsi que la formation des acteurs.

Le programme de requalification

La dernière phase consistait à réaliser un programme de requalification d’un îlot insalubre bordant le bassin du commerce et de réhabiliter l’ancien Hôtel National, pour accueillir l’Alliance Française dans ce lieu de mémoire exceptionnellement situé.

Les élèves de Chaillot ont favorisé la prise de conscience d’un patrimoine fragile car menacé de disparition à la suite de la paupérisation, la spéculation et le développement lié au tourisme.

La taudification et l’insalubrité de nombreux immeubles nécessitent des curetages que nous pourrions éviter en partageant la lecture des patrimoines matériels et immatériels et nos savoir-faire, au service de la reconquête du centre historique.

Actuellement, les outils réglementaires et opérationnels égyptiens, ainsi que le contrôle des autorisations de travaux, ne peuvent garantir les résultats espérés par nos partenaires locaux. Les modes de préservation et de mise en valeur, associés à des financements, que nous avons bâtis au cours des cinquante dernières années, sont encore balbutiants à Port Saïd et constituent l’enjeu de cette coopération.

Daniel DUCHÉ
Architecte urbaniste, professeur associé à l’École de Chaillot

  1. Programme coordonné par le laboratoire Citères (CNRS - Université de Tours).
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