La ville souterraine de Sofia

Sofia est une ville au développement dynamique. Le noyau central de la capitale bulgare possède un riche patrimoine culturel et historique reflétant l’histoire pluriséculaire de la ville. Une place spéciale revient aux vestiges situés sous le noyau central actuel de Sofia, et qui témoignent des villes qui l’ont précédée.

Une vaste ville souterraine

Après la libération de la Bulgarie de la domination ottomane en 1878, Sofia devient la capitale du jeune État indépendant. Il devient urgent pour ses architectes et bâtisseurs de repenser la ville. C’est le début de la reconstruction ouvrant de grands espaces, des rues et des avenues rectilignes, des bâtiments prestigieux figurant l’ambition européenne de la capitale bulgare. Les strates historiques des époques antérieures vont disparaître sous la ville ottomane, puis sous la ville moderne. Ainsi, la cité romaine de Serdica et la ville médiévale de Sredetz se retrouvent aujourd’hui sous le centre-ville, à l’endroit où se croisent les axes principaux est-ouest et nord-sud, à proximité immédiate de la source minérale et au pied du mont Vitosha. Les strates de l’histoire sont intégrées aux ensembles modernes et représentent une richesse architecturale et urbaine dont on découvre encore de nouveaux éléments.

À l’occasion des travaux commencés il y a trois-quatre ans de la ligne orientale du métropolitain de Sofia, l’axe romain central (via principalis) a été mis au jour. Cette découverte a donné l’idée de créer un lieu d’exposition des vestiges des villes anciennes. Le projet élaboré par les architectes V. Kitov, S. Galabov et K. Andréev propose d’aménager une rue piétonne dotée d’un toit vitré protégeant les vestiges in situ. Les premiers travaux d’excavation pour la construction d’une nouvelle ligne du métro sur l’axe nord-sud ont révélé de riches bâtiments et des rues de l’époque romaine ou du premier âge chrétien. Il a fallu modifier le projet initial, y compris la partie concernant les lignes et les stations du métro, de manière à exposer les vestiges au niveau de leur découverte, notamment la partie centrale des rues, des viaducs et des réseaux de canalisation, des décors en mosaïque, des revêtements en pierre, des colonnes et des chapiteaux de l’époque romaine, ainsi que des temples en brique et des églises chrétiennes. Les corridors du métro ont dû “descendre” beaucoup plus bas pour permettre de montrer les biens authentiques dans un système de passages piétons sous terre et à la surface. Le vaste tableau de la ville souterraine de l’époque de la Basse Antiquité et du Haut Moyen Âge, dont la majeure partie se trouve sous le boulevard central de Sofia, présente également des parties à ciel ouvert qui sont visibles et accessibles aux piétons.

Allier mémoire et modernité

Dans le cadre de notre projet « La ville moderne et la préservation de l’identité nationale », financé par le Fonds de la recherche scientifique près du ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et de la Science, un sondage auprès de l’opinion publique a été réalisé sur les grands espaces emblématiques considérés comme symboles spécifiques de la ville. Nous avons constaté que l’opinion publique de Sofia est très critique et fort sensible aux interventions dans le milieu construit traditionnel et à la socialisation des témoignages historiques de cette culture urbaine pluriséculaire. Plusieurs décennies de travaux ont compromis certains monuments architecturaux et archéologiques considérés comme de précieux biens pour la culture et l’histoire de la ville et de la nation. Des habitants, conscients de l’intérêt des découvertes, portent aujourd’hui une grande attention et expriment publiquement leurs exigences à l’égard des grands travaux et des découvertes au centre de Sofia. Les chercheurs, les professionnels, les décideurs ainsi que la société civile sont à l’écoute et réfléchissent à la façon d’intégrer cette demande culturelle. Nous avons étudié un très grand nombre de cas de conflits d’intérêt sérieux entre la ville, le public urbain et certaines propositions architecturales “modernes” afin de chercher de nouvelles approches pour préserver les espaces, les ensembles et les bâtiments historiques qui possèdent une grande valeur. Nous avons, d’autre part, pu apprécier l’état d’esprit positif des Sofiotes et leur attente de valorisation des découvertes de la ville souterraine. Au fur et à mesure que les travaux avancent, les architectes, les urbanistes et les archéologues deviennent de plus en plus exigeants quant aux résultats.

En effet, la découverte des riches strates historiques rend nécessaire leur conservation et leur intégration dans les fonctions modernes de la ville. À l’étape actuelle de notre projet, nous avons attaché une attention prioritaire aux espaces jouxtant la zone des découvertes archéologiques. Il s’agit d’un quartier historique du XIXe siècle et du début du XXe, comprenant de remarquables bâtiments classés monuments architecturaux d’importance nationale et de quelques îlots intéressants, mais en mauvais état. De nombreuses questions sur la conservation se posent là où les vestiges souterrains entrent en contact direct avec le quartier. Aussi entendons-nous, non seulement proposer une solution concrète d’avenir, mais également mettre au point une méthodologie d’étude et des modèles de préservation et de gestion qui soient applicables à d’autres quartiers de Sofia et dans plusieurs autres villes bulgares lorsqu’il s’agit de quartiers qui présentent un intérêt culturel, urbanistique et architectural. Afin d’élargir le cercle de réflexion sur ces problèmes complexes, nous avons développé une coopération franco-bulgare à laquelle participent activement l’association nationale des architectes des bôâtiments de France, l’Inspection des patrimoines et l’association des architectes bulgares, avec le soutien actif de l’Institut français de Sofia.

Svobodna VANTCHEVA
Maître de conférences, docteur, architecte, responsable du projet « La ville moderne et la préservation des symboles de l’identité nationale », responsable de la coopération franco-bulgare.