Site Tour Eiffel, quel aménagement en héritage ?

Site Tour Eiffel - Fontaine du Trocadéro. © Gustafson Porter + Bowman
Site Tour Eiffel - Fontaine du Trocadéro. © Gustafson Porter + Bowman

Site d’exposition universelle, système de parcs ouverts, le site Tour Eiffel est unique. Comment y aborder la question d’un mode d’accueil contemporain ? Comment fonctionne la préservation du site mise en place par l’État ? Comment la consultation internationale menée par la Ville de Paris porte-t-elle l’intérêt public ? Quelques questions autour du « bien construire dans l’existant » éclairées par l’architecte urbaniste ayant participé à l’équipe de programmation.

Doté d’un budget de quarante millions d’euros, le projet de réaménagement du site Tour Eiffel entend « offrir une nouvelle expérience de parcours pour les visiteurs et un meilleur usage au quotidien » sur un site de cinquante-quatre hectares. Cette requalification, prévue pour 2023, se veut aussi exemplaire, en étant attentive aux enjeux climatiques, de résilience et d’inclusion. Lancée en mai 2018 par la Ville de Paris, quatre équipes pluridisciplinaires d’architectes, urbanistes, paysagistes ont été sélectionnées  : AL_A, Gustafson Porter, KOZ , TER (et autres mandataires)… Ces équipes complètes, comprenant des spécialistes du déplacement, de la sécurité, de la programmation culturelle, ont travaillé pendant une année en étroite relation avec les directions de la Ville de Paris. Le 21 mai 2019, l’équipe menée par la paysagiste Kathryn Gustafson (Gustafson Porter + Bowman architecte paysagiste mandataire, Chartier Corbasson architectes, Atelier Monchecourt & Co, architecte du patrimoine) est lauréate de la consultation internationale.

En amont du projet, la programmation de l’accueil Tour Eiffel a été le déclencheur d’un changement d’échelle, non pas seulement dans son acceptation spatiale, mais bien dans celle de la notion d’accueil. « Le projet de nouvel accueil de la Tour Eiffel s’inscrit dans le cadre d’un « grand site » : la visite du monument ne se limite pas à sa dimension verticale, mais commence dès que le monument est aperçu, vu ou même imaginé »1

Site Tour Eiffel - Vue aérienne. © GP+B.

La notion de grand site est à prendre au sens de grand site patrimonial, l’un des plus prestigieux qui soit au monde et, par conséquent, au sens de grand site touristique, soumis à l’une des plus importantes fréquentations qui soit également. Cette notion, issue de réflexions menées depuis quelques années sur d’autres sites patrimoniaux et touristiques, cherche à s’écarter d’une appréhension trop stricte du monument et trop fonctionnaliste de sa visite. « La question qui était posée aux architectes et paysagistes était bien celle de concevoir un nouvel accueil à la Tour Eiffel, non pas comme une fonction localisée, mais comme une expérience continue sur l’ensemble de l’espace et du temps de la visite »2

Par cette approche élargie -et donc intrinsèquement environnementale- il devient envisageable de sortir du schéma binaire où les monuments les plus emblématiques d’un territoire se trouvent soustraits à leurs habitants pour être livrés à un tourisme de masse. L’attractivité que possède un monument fait, en tout état de cause, partie de la vocation du monument et plus encore celle de la Tour Eiffel ; ce monument conçu exclusivement pour le plaisir de le voir et de le visiter. La qualité première des projets est certainement de retrouver les intentions essentielles de ce grand site/haut site où l’ensemble Jardins du Trocadéro/Tour Eiffel/Champ de Mars sera donné à découvrir dans un extraordinaire continuum horizontal/vertical.

Comment « bien » construire dans l’existant ?

Icône incarnant Paris, à la fois « regard, objet, symbole », comme l’écrit Roland Barthes, le monument Tour Eiffel n’est cependant ni inscrit, ni classé. Les architectes des bâtiments de France ont su laisser latitude et flexibilité à une métamorphose vivante de la Tour pour hier l’alléger, l’éclairer de l’intérieur, fluidifier sa visite avec de nouveaux ascenseurs, aujourd’hui la décaper…

Les verrières dans les piliers. © C+C - Site Tour Eiffel.

Sous l’égide de l’État, c’est un environnement global, mémoire des expositions universelles, qui est préservé. Le classement du site Trocadéro-Champ de Mars, en garantit une intégrité, que l’inscription au patrimonial mondial de l’Unesco renforce en 1991, en l’incluant aux Rives de Seine de Paris. L’espace boisé classé (EBC) couvre la quasi-totalité des deux jardins. L’espace public de Voirie, inaliénable par définition, est d’occupation temporaire ou sous convention de douze ans maximum.
Cette notion d’environnement fait écho à la genèse des deux parcs conçus par Claude Nicolas Forestier de 1904 à 1926, pour le Champ de Mars, et par Jacques Gréber en 1937, pour le Jardin du Trocadéro. Ouverts sur la ville et reliés par des avenues promenades et des parkways. « Dans la lignée d’Olmsted, le réseau d’espaces verts solidarise la Ville et sa périphérie » (F.Choay).
Forestier3 anticipe l’enjeu environnemental et métropolitain contemporain. « Exprimer autant un climat et une géographie que l’histoire au sens strict »4 .

Masterplan Vision 2030. © GP+B - Site Tour Eiffel.

Le projet lauréat OnE invoque l’« harmonie » et l’« unité du site » pour « rééquilibrer la force gravitationnelle de la Tour Eiffel à l’échelle du site ». La force du projet tient dans le processus, « une cohérence et une hiérarchie des usages » qui clarifie la continuité « d’une ligne » et dessert cinq grands espaces urbains qui jouent avec le paysage. Le nouvel hémicycle de la place du Trocadéro est rattaché au parvis des Droits de l’Homme, le pont d’Iéna devient passerelle dans un projet manifeste de l’écologie urbaine. La plantation d’arbres alignés, est-ce un geste provocateur ou, au contraire, un geste asservi à l’image du moment ? Le parvis de la Tour Eiffel, carré, dallé, recueillant l’eau de pluie, apparaît cependant plus figé. Boutiques et services aux visiteurs se glissent au Champ de Mars sous des vagues végétalisées, se logent sur l’espace public de voirie dans des « compressions » de pièces métalliques de la Tour Eiffel ou s’abritent sous des auvents déployés depuis la Tour. Les Gustave, les bornes d’accès à la visite de la Tour Eiffel, diffusent une touche de familiarité et soulignent l’ampleur de la dévolution de la découverte aux futurs utilisateurs.

Site Tour Eiffel - Accès aux piliers. © C+C © GP+B.

Le degré élevé d’appropriation du site et du programme par les concepteurs offre une organisation et une mise à distance relative du tourisme de masse au profit d’expériences équilibrées entre riverains, visiteurs et touristes. Pour exemple, le circuit des cars de tourisme évite la traversée du jardin du Trocadéro et du pont-passerelle, réservé aux seuls bus.

Pour offrir une continuité à la ligne, le franchissement piéton des quais hauts tire parti des passages dénivelés existants par un renversement d’usage, d’une priorisation routière à une priorisation piétonne, sans toutefois être encore tout à fait défini.

En se concentrant sur l’accueil grand site, l’équipe semble laisser place à une réhabilitation ultérieure et au fil du temps des jardins.
L’équipe de l’agence TER proposait d’investir le milieu dans la profondeur des sols, de l’hydrométrie et de l’aération, engageant un métabolisme paysager transformant site et pratiques des usagers. Le projet puisait dans les ressources existantes, nouant connivence avec la rivière serpentine du Trocadéro aménagée en zone humide, avec un parvis dallé, volontairement simple, sous la Tour Eiffel, un fleurissement du Champ de Mars et des abords de la fontaine d’Expert au Trocadéro, une pièce d’eau au centre des Quinconces. Paysage-milieu, traversé par la Ville, il portait l’utopie d’une pratique métropolitaine de Paris, et par extrapolation, d’une mise en réseau des grands Parcs de la Seine. Précurseur, voire complémentaire du projet lauréat ? Trop tôt ?

L’équipe de l’agence KOZ nous invitait à Central-Park Tour Eiffel avec un enrochement du Champ de Mars qui, à la différence du granit rouge de l’île de Manhattan, rompait l’unité territoriale du Champ de Mars sans en faire surgir le socle premier. La forêt d’Eiffel renforçait les boisements mêlant strates existantes et nouvelles. Vers une saturation ?
L’équipe de l’agence AL_A proposait une accumulation d’objets-fonctions répartis sur tout le grand site et un espace central monumental piétonnisé avec un tapis vert minéralisé au Champ de Mars et une pièce d’eau dans l’hémicycle du Trocadéro. Une réécriture ?

En se concentrant sur le projet stratégique d’accueil grand site, sans s’investir autant dans l’aménagement des jardins, l’équipe lauréate semble avoir tiré particulièrement parti du pilotage par la Mission Tour Eiffel de la Ville de Paris.
Le projet lauréat a bien repris l’esprit et la lettre de la préservation et de la mise en valeur souhaitées. La découverte du site diffuse, ouverte dans toutes les directions, accessible par tous les modes, évitant l’envahissement, offre des perspectives variées et plusieurs implantations pour les grands évènements comme elle procure le confort simple de la visite. Le cantonnement des kiosques aux espaces publics urbains et le dégagement des terrasses du quai haut est une bonne surprise. Perdurera-t-elle ?

Si la maitrise d’ouvrage publique a indéniablement porté l’intérêt public, comment le portera-t-elle jusqu’à sa réalisation ? Tout n’est pas résolu notamment en termes de mobilité et de multimodalité dans la séquence du Quai Branly : la piste vélo Rive Gauche, en basculant côté Tour Eiffel, la circulation automobile, en réduisant les flux au calibrage des passages dénivelés.
Comment l’économie générale du projet sera-t-elle mise en place ? Le projet OnE fait appel au mécénat pour certains kiosques et deux œuvres d’art, de part et d’autre de la Tour Eiffel. Quel est l’objectif du mécénat d’Art sur ce site hautement convoité et qui décide ? Il s’agit d’éviter les polémiques du parvis du musée d’Art moderne de la Ville de Paris avec Jeff Koons. Aux Tuileries, l’arbre de Giuseppe Penone, le potager d’Anne Rochette, sont le fruit d’une politique ambitieuse d’art contemporain comme l’exposition temporaire des sculptures d’Henry Moore le fut au Jardin de Bagatelle.

Au final, comment le cycle des manifestations extraordinaires, des Expositions Universelles aux JO, inscrira-t-il les génies du lieu ? Dès la programmation, le Site Tour Eiffel a repris deux types de grands projets urbains, que la Ville de Paris a initiés par ailleurs et que le lauréat a concrétisés :

  • le pont d’Iéna en passerelle piétonne, plantée d’arbres, non commerciale, au contraire de trois passerelles « habitées » dont la Ville envisageait la création dans l’appel à projet innovant (APUI) « Réinventer la Seine », actuellement annulé par le Conseil d’Etat pour non-respect des procédures d’appel d’offres public.
  • la création d’une « nouvelle place parisienne » au Trocadéro à l’instar de Bastille, supprimant un barreau routier au profit d’un espace central rattaché à l’esplanade des Droits de l’Homme.

La consultation internationale a cependant transformé l’idée, le pont paysagé cristallise la transformation de pont en passerelle. Ce projet manifeste de l’écologie urbaine fait partie d’un nouvel imaginaire qui devra cependant convaincre dans sa forme. La place en hémicycle, à faibles gradins, prolonge l’espace magistral, un geste mesuré utile au JO 2024 et à l’héritage.

Le Pont d’Iéna Planté. © MIR for GP+B - Site Tour Eiffel - MarchingTrees - www.mir.no
  1. Café programmation, A et Cetera, C.M.O & programmation, Muriel Pagès architecte urbaniste.
  2. François Fressoz (Café programmation).
  3. Jean-Claude Nicolas Forestier, 1861-1930, Du jardin au paysage urbain. Actes du Colloque international sur JCN. Forestier, Paris 1990, sous la direction de Bénédicte Leclerc. éditions Picard, 1994.
  4. J.F. Lejeune, La ville et le paysage, Influence et projets américains ; Prévoir les usages nouveaux, des pratiques ludiques ou culturelles, D.Imbert ; Tracé architectonique et poétique végétale. The modernist Garden in France, Yale University press, New Haven/London, 1993.
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